Le 1er-Mai : de Chicago à Vichy en passant la IIème Internationale

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et Franck Ferrand , modifié à
La "Fête du Travail" a une origine américaine. En France, elle a été récupérée par l’extrême gauche à la fin du 19ème siècle, officialisée par le régime de Vichy, avant d’être institutionnalisée en 1947.

Mardi, entre manifestations et projections de films, les syndicats fêtent la journée internationale des travailleurs, plus communément appelée "Fête du Travail". Leur mot d'ordre est large : "contre la remise en cause des acquis sociaux, la sélection à l'université. Pour le progrès social, la paix, la solidarité internationale !". Dès son origine, le 1er-Mai a été le marchepied des revendications ouvrières. Avant de devenir un jour chômé d'aujourd'hui, cette "Fête du Travail" a parcouru un chemin étonnant : de Chicago à Vichy en passant la IIème Internationale.

Pour la journée de huit heures. Les racines de la "Fête du Travail" se trouvent aux Etats-Unis. Tout commence en 1884, quand l'American Federation Labor, qui regroupent les principaux syndicats ouvriers, se donne deux ans pour obtenir des employeurs une journée de travail de huit heures maximum, contre 10 à 12 heures. Si la date du 1er mai est choisie pour débuter les actions, c'est que pour beaucoup d'entreprises américaines, il s'agit du premier jour de leur année comptable.

Des grévistes tués par la police à Chicago. Le 1er mai 1886, à Chicago, éclate une grève des ouvriers pour réclamer une limitation de leur journée de travail. Si une partie d'entre eux obtiennent satisfaction, d'autres doivent continuer leurs actions collectives pour forcer la main de leur employeur. Le surlendemain, une manifestation est durement réprimée par la police : trois grévistes trouvent la mort. Le 4 mai, une marche de protestation est organisée, au cours de laquelle une bombe explose. Plusieurs policiers sont tués. Après l'arrestation de plusieurs suspects, trois syndicalistes anarchistes sont condamnés à la prison à perpétuité et cinq autres sont pendus. Les anarchistes décident alors de faire de ces événements un emblème de la répression.

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Un triangle rouge à la boutonnière. En France, c'est trois ans plus tard que le 1er-Mai s'impose. En 1889, les socialistes de 23 pays se réunissent à Paris où ils fondent la IIe Internationale socialiste, 17 ans après la dissolution de la Ière Internationale. Lors de ce congrès, Raymond Lavigne, syndicaliste français, propose "d'organiser une grande manifestation à date fixe de manière à ce que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail". Le 1er-Mai est alors retenu en référence aux événements de Chicago. Jules Guesde, dirigeant du Parti ouvrier français (POF), invente alors le terme de "Fête du Travail".

Dès l'année suivante, des ouvriers défilent dans l'Hexagone, un triangle rouge à la boutonnière afin de symboliser le partage de la journée en trois : travail, loisir, sommeil.

La fusillade de Fourmies. Ce n'est cependant qu'après 1891 que la"Fête du Travail" s'inscrit durablement dans la tradition ouvrière. Cette année en effet, à Fourmies, cité industrielle située dans le Nord, les ouvriers défilent le 1er mai pour obtenir la journée de huit heures. Mais la manifestation tourne au drame : les soldats chargés d'encadrer tirent finalement sur la foule, tuant neuf personnes. L'événement fait la Une des journaux. Ce n'est finalement que le 23 avril 1919 que la loi française adopte la journée de travail de huit heures. Le 1er-Mai continuent cependant à être utilisé par les syndicats pour porter de nouvelles revendications.

La "Fête du Travail"... et celle du maréchal Pétain. Si la célébration du 1er-Mai a donc une origine anarchiste, c'est à l'autre bout du spectre politique que son officialisation est décidée. Le 24 avril 1941, alors que la France est occupée au nord par l'armée allemande, le régime de Vichy, gouverne la partie sud du pays, adopte la loi Belin qui fait du 1er-Mai un jour chômé. Dans le même temps, la "Fête du Travail" est rebaptisée "Fête du Travail et de la Concorde nationale". Coup double pour Vichy qui souligne que le 1er mai est aussi la Saint-Philippe, soit le prénom du maréchal Pétain (aujourd'hui décalée au 3 mai). Le muguet, fleur symbolisant le printemps portée dans les défilés parisiens depuis le début du 20ème siècle, devient en même temps un symbole officiel de la fête. 

L'objectif est simple : le régime de Vichy souhaite amadouer les classes ouvrières. Mais ici, exit les militants d'extrême-gauche, par ailleurs pourchassés par le régime d'extrême-droite : les cérémonies, où le culte de la personnalité de Pétain est largement déployé, sont strictement encadrées par le régime, dans des stades ou des enceintes fermées, sous l’œil de policiers.

"Jour chômé et payé" depuis 1947. Ce recyclage par un régime collaborateur n'empêche cependant pas le gouvernement d'après-guerre de récupérer à son tour ce jour férié. Après sa suppression lors de la Libération, en 1947, sur proposition du socialiste Daniel Mayer, le 1er-Mai est ré-institué "jour chômé et payé" dans toutes les entreprises, publiques comme privées. Quant aux grands défilés syndicaux, après l’interdiction de défiler liée aux guerres d’Indochine et d’Algérie, ce n'est que le 1er mai 1968 que la CGT organise une grande manifestation dans les rues de Paris. La tradition perdure jusqu'à aujourd'hui avec plus ou moins de succès…

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Les 1er-Mai qui ont marqué l'histoire en France :

1889 : la IIème Internationale instaure le 1er-Mai comme grande journée de manifestation.

1891 : la fusillade de Fourmies marque les esprits et ancre encore plus le 1er-Mai dans la tradition ouvrière

1906 : il a été un des plus massifs de l'histoire, la CGT appelle à une grève générale toute la journée, la répression policière est féroce, deux manifestants sont tués.

1936 : entre les deux tours des législatives, les grévistes en se mobilisant en masse démontrent leur force à la veille de la victoire du Front Populaire.

1941 : le régime de Vichy récupère la "Fête du Travail" et la transforme en "Fête du Travail et de la Concorde nationale".

1947 : ce 1er-Mai est le premier depuis la Libération du pays, il est massivement suivi.

1968 : premier grand cortège syndical qui réuni un million de personnes, à la veille du grand mouvement social.

2002 : plus d'un million de personnes défilent pour dire "non" au Front National, qualifié pour la première fois au second tour de la présidentielle.