Justice : comment fonctionne le premier pôle national dédié aux «cold cases» ?

Éric Dupont-Moretti
Le ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti est à l'origine d'un pôle destiné aux affaires classées (Illustration). © ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
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avec AFP , modifié à
Un premier pôle national dédié aux "cold cases" (affaires classées) a été lancé lundi en France, au sein du tribunal de Nanterre dans les Hauts-de-Seine. Ce pôle vise à garder "vivants judiciairement" des dossiers sensibles, tels que l'assassinat du petit Grégory ou la tuerie de Chevaline.

De l'assassinat du "petit Grégory" à la tuerie de Chevaline, une centaine d'affaires criminelles non élucidées pourraient atterrir sur les bureaux des magistrats du premier pôle national dédié aux "cold cases" en France, lancé mardi. Au sein du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), ce pôle vise à garder "vivants judiciairement" ces dossiers sensibles, selon le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti qui a voulu cette nouvelle entité, créée par la loi pour la confiance dans la justice promulguée en décembre.

Trois juges d'instruction chevronnés

Parmi les trois juges d'instruction chevronnés qui intègrent ce pôle figure Sabine Khéris, qui avait réussi à faire avouer au tueur en série Michel Fourniret son rôle dans la mort en 2003 d'Estelle Mouzin. Elle endossera la fonction de première vice-présidente du pôle. Trois magistrats du parquet complètent l'équipe qui pourra être étoffée avec "la montée en puissance du pôle", a souhaité le procureur de Nanterre Pascal Prache. La justice française est actuellement saisie de 173 crimes non élucidés et 68 procédures de crimes sériels, selon le ministère.

Le tout nouveau pôle spécialisé aura vocation à prendre en charge les affaires - meurtres, empoisonnements, actes de torture et de barbarie, viols, enlèvements et séquestrations - qui "présentent une complexité particulière", explique la présidente du tribunal de Nanterre, Catherine Pautrat. Outre ce critère, les crimes devront être sériels et/ou leur auteur pas encore identifié, dix-huit mois après la commission des faits. Mais les affaires aux enjeux nationaux ou internationaux, ou "nécessitant un haut niveau de technicité et d'expertise" seront également éligibles.

"Accompagnement et explications à intervalles réguliers" pour les familles

La création du pôle est "une excellente nouvelle, révolutionnaire même, qui va changer nos pratiques et la considération qu'il peut y avoir pour (ces) dossiers criminels laissés de côté", s'est réjouie auprès de l'AFP Me Corinne Herrmann, qui forme avec Didier Seban un binôme d'avocats au service des familles de victimes de "cold cases".

Ces proches concentrent toutes les attentions des magistrats du pôle "car il n'y a rien de pire que de ne pas savoir", souligne Sabine Khéris auprès de l'AFP. Les familles bénéficieront d'un "accompagnement et d'explications à intervalles réguliers", promet aussi le procureur Pascal Prache pour qui "l'enjeu humain est majeur".

"On reprend le dossier à zéro"

Comment ce pôle tentera-t-il d'apporter de nouveaux éléments aux enquêtes entamées il y a dix, vingt, voire trente ans ? "On reprend le dossier à zéro, on l'atomise en fonction des compétences du personnel, que ce soit au niveau technologique, scientifique, en réétudiant des scellés ou en faisant de nouvelles reconstitutions", détaille pour l'AFP le général Fabrice Bouillié, chef du service central de renseignement criminel de la gendarmerie.

Cet officier est également à la tête de la division Diane, équipe pluridisciplinaire d'une trentaine d'enquêteurs, dont des spécialistes en détection de la sérialité et des analystes en matière comportementale et criminelle, qui s'appuie également sur les 250 scientifiques de l'Institut de recherche criminelle. Cette division sera en lien étroit avec le nouveau pôle dont "on attend une technicité supplémentaire", selon Pascal Prache. Une autre des plus-values du pôle est sa dimension nationale "de nature à faciliter les recoupements", complète le procureur.

80 à 100 tonnes de dossiers à traiter

Un aspect important aux yeux de Me Seban qui déplore que, jusqu'à présent, "la justice fonctionne sur de vieux principes géographiques (...) et les juridictions ne se parlent pas". Ce qui ne permet pas "la mise en perspective de ces meurtres" en France voire en Europe, estime l'avocat qui, avec sa consoeur Me Herrmann, représente notamment le père d'Estelle Mouzin.

Les dossiers - lourds "de 80 à 100 tomes", selon la présidente de Nanterre - méritent un focus particulier des juges d'instruction. Or habituellement, "dans ces affaires tentaculaires, où il faut un an pour connaître le dossier, ils ne prennent souvent pas le temps" de le faire, relève Me Seban. Une salle d'archivage équipée d'une vingtaine d'armoires devrait accueillir "la tonne de dossiers qui vont nous échoir", précise Mme Pautrat. Les scellés seront cependant d'abord conservés par les juridictions, dans l'attente de travaux d'aménagement "dès la rentrée". "Le champ des possibles est extraordinaire", résume, enthousiaste, Sabine Khéris.