Journée sans portable : à la maison comme au travail, nos conseils pour décrocher

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Mathilde Belin , modifié à
Loin d'être une cure de désintoxication, la "Journée sans portable" nous permet de réfléchir à notre comportement face au smartphone, parfois proche de l’addiction.

Il est là dès que le réveil sonne, sur la table de chevet, il accompagne les moments de solitude dans les transports en commun et nous suit jusqu’au travail… Le téléphone portable a aujourd’hui envahi notre quotidien. À l’occasion de la "Journée mondiale sans portable", de mardi à jeudi, Europe1.fr a demandé conseils à des addictologues et à un chercheur pour savoir comment décrocher (un peu) de son précieux smartphone… sans pour autant faire un sevrage radical.

  • "Être addict, c’est perdre le contrôle"

Applications, notifications, emails, SMS... La connexion est permanente avec le smartphone, même si nous sommes loin d’être tous souffrant de nomophobie (la pathologie qui traduit l’addiction au téléphone portable). "La première des choses à faire est de prendre conscience de son addiction. Ce n’est pas la quantité de temps passé sur son téléphone qui fait la dépendance. Être addict, c’est le fait de perdre le contrôle, de consulter son téléphone alors qu’on n’en a pas besoin", explique à Europe1.fr le docteur Xavier Laqueille, chef du service addictologie de l’hôpital Saint-Anne, à Paris.  

Si l’addiction est amplifiée par l’ennui, elle est surtout suscitée par l’envie, complète l’addictologue : "Comme lorsqu’on est avec des amis : on consulte son téléphone alors qu’on est bien entourés, c’est donc qu’on est addict. Il y a une forte dimension de plaisir provoquée par le smartphone." Et c’est bien là le problème : le téléphone représente une zone de confort et une source de satisfaction personnelle. "Il ne faut pas jeter la pierre au portable, cet outil a des avantages et des inconvénients", prône pour sa part le professeur Nicolas Simon, addictologue au CHU de Marseille et président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA). "Il est transportable donc en notre possession en permanence, il n’est jamais éteint et, si on est bien organisé, jamais déchargé. Tout cela participe à une certaine aliénation, on va vérifier en permanence si on n’a pas reçu quelque chose, si quelqu’un nous a répondu… C’est une vraie intrusion dans l’intimité", définit-il.

  • "Se poser des règles de bonne conduite"

Alors pour retrouver la maîtrise de sa consommation au quotidien, "il faut apprendre à utiliser le smartphone en se posant des règles de bonne conduite, pour ne pas en devenir esclave", détaille le professeur Simon. Et celui-ci de donner quelques règles simples de coupures chaque jour :

-Ne pas garder son téléphone sur soi à la maison

-Réapprendre à se servir du téléphone fixe pour joindre quelqu’un

-Mettre son smartphone sur mode avion de temps en temps

-Le bannir de la table à manger le temps du repas

-et de la chambre à coucher autant que possible

En outre, "un téléphone ne doit pas devenir un réveil. Même s’il a cette fonction, il vaut mieux garder un réveil standard car sinon on se couche avec le smartphone et on se lève en le consultant", ce qui perturbe le sommeil, prévient le professeur. Le smartphone aurait à ce point envahi l’intimité que, d’après un sondage CSA Link publié la semaine dernière, 41% des Français sondés préfèrent se passer de sexe plutôt que d’être privés de leur précieux smartphone.

  •  "Il y a une vie en dehors du téléphone"

"L’addiction crée un sentiment de vide et d’ennui lorsqu’on n’a pas l’objet. La stratégie consiste alors à gérer l’anxiété générée. Il faut changer les idées négatives ('je n'y arriverais pas', 'je vais me couper des autres') en idées positives ('je vais pouvoir faire autre chose'…). Cela permet de diminuer l’envie de consommer et prendre conscience qu’il y a bien d’autres choses dans la vie que le téléphone", prodigue le docteur Laqueille. Un conseil partagé par Nicolas Simon : "Ce n’est pas au téléphone de nous dicter notre train de vie, que ce soit dans le sport ou l’alimentation… On doit se poser la question de l’utilité réelle des applications qu’on veut télécharger, et ainsi trouver le bon équilibre tout en gardant son autonomie. Il faut des moments où l’on reste soi-même."

  •  "Un temps pour le travail et un temps pour le reste"

Mais il n’y a pas que dans la sphère privée que le smartphone pollue, dans le travail aussi. Près de 80% des cadres disent consulter leurs communications professionnelles sur leur temps libre, selon un sondage Ifop de juillet dernier. Un phénomène tel que la loi a introduit en janvier 2017 le droit à la déconnexion. Elle rend possible au sein des sociétés de plus de 50 salariés de négocier des règles de déconnexion en dehors des heures de travail. "Dans les entreprises, on s’est rendu compte qu’il fallait des règles de bonne conduite. Certaines ont même interdit l’accès aux emails en coupant les serveurs. C’est essentiel de se dire qu’il y a un temps pour le travail et un temps pour le reste si on veut profiter de la vie", estime le professeur Simon.

"On n’est pas obligés de couper les mails, mais il faut sensibiliser les salariés sur la porosité entre vie personnelle et vie professionnelle" qu’induit le smartphone, nuance le chercheur Cyril Couffe, directeur de la chaire "Talents de la transformation digitale" à l’École de management de Grenoble. Ce docteur en psychologie cognitive a notamment travaillé avec des sociétés pour mettre en place ce droit à la déconnexion. "Avec les outils numériques, tout devient plus urgent. Cela augmente la charge mentale de travail et donc le stress", rappelle-t-il. Mais ce droit est aujourd’hui loin d’être généralisé et il est non-contraignant pour l’entreprise. Reste que l’employé est libre de filtrer les appels de son employeur, l’obligation d’être joignable en permanence étant totalement illégale.

  • "Ma vie ne s’arrête pas au travail"

De la même manière, le smartphone peut aussi être une source de stress pendant les heures de travail. "Avec le smartphone au boulot, on devient moins productif. Des études ont montré que juste en présence d’un smartphone allumé, même sans rien recevoir, nos facultés de concentration baissaient. Car une part de nous dirige nos tensions sur ces outils", complète Cyril Couffe. Selon lui, les salariés doivent s’accorder des moments de déconnexion pendant le travail, comme en réunion ou lors d’entretien avec un collègue.  

Mais Cyril Couffe ne prône pas pour autant de bannir complètement le téléphone au travail : "Si j’ai un besoin de communiquer, je ne dois pas m’en couper car ma vie ne s’arrête pas au travail. Et ça peut être un moment où je gagne en efficacité sur ma vie personnelle." En somme, recevoir un message d’un proche peut être une source de bien-être pour le salarié… et donc un facteur de productivité. Le chercheur plaide enfin pour responsabiliser aussi amis et collègues : "Que ce soit professionnel ou personnel, il faut éduquer son entourage, lui dire quand il peut me joindre et sur quel canal de communication. Sinon, on se rend disponible pour tout le monde, tout le temps et on devient esclave des autres."