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Anaïs Huet
Lorsque Joël a dû annoncer sa séropositivité à son entourage, dans les années 1990, il a été le plus souvent rejeté. Il en a parlé à Olivier Delacroix mardi.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Dans les années 1990, Joël, aujourd'hui âgé de 54 ans, a été contaminé par le virus du sida à la suite d'un rapport sexuel non protégé. À l'époque, le manque de connaissance sur cette maladie a suscité peur et rejet de la part de son entourage familial et professionnel. Joël a raconté ses douloureux souvenirs à Olivier Delacroix, mardi sur Europe 1.

"À l'époque, il y avait peu d'informations qui circulaient sur le VIH. On savait juste que ça touchait les homos, les toxicos, etc. Mais on n'avait pas d'informations comme on peut en avoir maintenant. Dans les années au cours desquelles j'ai commencé ma vie sexuelle, je me disais que la maladie ne se voyait pas, qu'il n'y avait pas de signes extérieurs. Les personnes que je rencontrais étaient en pleine forme, donc je ne me protégeais pas.

Quand le diagnostic m'a été transmis, c'était pour moi comme si on signait mon arrêt de mort. C'était la fin de ma vie, la fin de mes projets. Tout s'est cassé d'un seul coup. Je me suis retrouvé dans une sorte de bulle, comme si j'avais quitté le monde. Je n'étais plus avec mon médecin, j'étais ailleurs.

Entendu sur europe1 :
Ma mère est la première personne qui m'a ouvert ses bras après l'annonce de cette maladie qui signifiait, à cette époque, la mort

J'ai d'abord annoncé ma séropositivité à ma mère, qui m'a tout de suite soutenu. Ça a été très important pour moi. Hélas, elle est aujourd'hui décédée. Mais aujourd'hui encore, quand ça va très mal, je repense à cette phrase qu'elle m'a dite : 'Tu sais Joël, tu resteras mon fils, quoi qu'il se passe'. Cette phrase me porte. Ma mère est la première personne qui m'a ouvert ses bras après l'annonce de cette maladie qui signifiait, à cette époque, la mort.

Sans cela, j'aurais très vite baissé les bras. Je crois que je serais parti, d'ailleurs. Je me serais dit : de toute façon, j'ai très peu de temps à vivre.

>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici

Entendu sur europe1 :
Mon père ne supportait pas les homosexuels, et encore moins le sida, qu'il considérait comme la punition divine

Quand je l'ai annoncé à mes frères et sœurs, en revanche, je n'ai pas du tout eu de soutien. Je me suis retrouvé face à un vide sidéral, une incompréhension, du rejet pur et dur. J'étais sale de cette maladie. Le but, c'était pour eux de s'écarter de cette maladie. C'était compliqué d'avoir quelqu'un de leur famille qui était séropositif. En somme, ils me disaient : 'Tu l'as cherché, maintenant tu le payes, et ne viens pas pleurer'.  

Je n'ai pas parlé de ma séropositivité avec mon père. On avait une relation qui était un peu spéciale. Mon père ne supportait pas les homosexuels, et encore moins le sida, qu'il considérait comme la punition divine, quelque chose que l'on avait cherché. Quand je me suis retrouvé séropositif, je me suis dit que mon père allait me mettre dehors, me mettre au ban.

Entendu sur europe1 :
Très progressivement, j'ai perdu mon poste, et je me suis retrouvé aux archivages. Je ne voyais plus personne

Outre la sphère familiale, j'ai aussi été rejeté par ma sphère professionnelle. En 1998, la maladie m'a rattrapé, et j'ai alors développé les symptômes du sida. J'ai été hospitalisé en urgence. Je me suis retrouvé dans le coma pendant 45 jours. J'ai mis deux ans à me rétablir, à me reconstruire. Lorsque j'ai voulu réintégrer l'établissement bancaire dans lequel je travaillais, les choses n'étaient plus du tout comme avant. Un jour, j'ai eu une altercation avec un collègue, et ça s'est fini dans le bureau de la direction. Là, la nouvelle directrice m'a annoncé : 'Joël, tout le monde sait que tu es séropositif'. Il était 9h05, cette remarque sortait de nulle part. Ça a été comme si on m'annonçait une deuxième fois mon arrêt de mort. Une seconde fois, on plaçait sur ma tête cette espèce de chape de plomb.

J'ai su plus tard que lorsque j'étais en soins intensifs pendant mon coma, ma directrice de l'époque a cherché à avoir des informations sur mon état. Elle est alors allée à l'hôpital, s'est présentée aux urgences en se faisant passer pour ma sœur, et elle a pu avoir accès à mon dossier. Et elle a relayé ces informations à l'équipe…

On m'a ensuite demandé d'annoncer ma séropositivité en réunion, parce que ça mettait une mauvaise ambiance au travail. Très progressivement, j'ai perdu mon poste, et je me suis retrouvé aux archivages. Je ne voyais plus personne.

Entendu sur europe1 :
Tant qu'il y aura des fausses croyances autour du VIH, la peur du séropositif restera ancrée dans nos sociétés

Il y a une dizaine d'années, mon traitement est passé de 48 gélules par jour à un comprimé par jour. L'avancée de la science est énorme. Maintenant, on a une liberté, on a presque une vie normale.

Pourquoi vivre avec le VIH est-il encore tabou aujourd'hui ? Je pense que c'est la peur inconsidérée, et surtout la méconnaissance. C'est pour ça qu'aujourd'hui, j'accepte d'en parler à visage découvert, de témoigner dans les écoles. J'entends encore que l'on peut être contaminé par la salive ou en allant aux toilettes après une personne séropositive. Ce sont des choses complètement aberrantes. Et tant qu'il y aura ces fausses croyances, la peur du séropositif restera ancrée dans nos sociétés."