Intoxications dans l'Ouest : qu'est-ce que le métam-sodium, ce pesticide pointé du doigt ?

Le métam-sodium est notamment très utilisé par les producteurs de mâche.
Le métam-sodium est notamment très utilisé par les producteurs de mâche. © PATRICK PLEUL / DPA / AFP
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Thibauld Mathieu avec AFP
Au moins 70 personnes ont été intoxiquées ces derniers jours en Maine-et-Loire suite à l'épandage de métam-sodium, une substance active notamment utilisée par les producteurs de mâche.

Dans un rapport remis en décembre 2017 au gouvernement français, le métam-sodium était déjà décrit comme l'une des "substances les plus utilisées et identifiées comme les plus préoccupantes". Depuis quelques semaines, ces doutes trouvent un écho tout particulier dans l'ouest du pays. Des cas d'intoxications ont en effet été relevés dans la région d'Angers, conduisant la préfecture du Maine-et-Loire à suspendre l'autorisation du produit phytosanitaire jusqu'au 26 octobre. La Loire-Atlantique réfléchissait mardi à prendre la même décision.

Comment de tels incidents ont pu arriver, pourquoi ont-ils eu lieu dans cette région, quels sont les risques du métam-sodium à court et à long-terme ? Europe 1 vous explique tout.

Son épandage a déjà fait (au moins) 70 victimes

Le 9 octobre dernier, l'épandage de ce pesticide sur la commune de Brain-sur-l'Authion, en Maine-et-Loire, avait provoqué des irritations des voies oculaires et respiratoires chez 61 personnes. "Les gens ont ressenti une gêne, un picotement aux yeux, des problèmes respiratoires", se souvient Katrin Brecheteau, cogérante de la serre de Kastell, dont les sept salariés avaient été intoxiqués. Outre des employés travaillant dans la pépinière où s'était produit l'incident, une quinzaine de riverains de l'entreprise avaient également été exposés au produit, selon la préfecture. Dix-sept personnes avaient même dû être hospitalisées quelques heures.

Et le même scénario s'était reproduit trois jours plus tard à Mazé-Milon, une autre commune de la région d'Angers. Neuf personnes, dont quatre pompiers avaient alors été incommodées par des émanations.

La préfecture du département, qui recense donc officiellement 70 victimes, a alors décidé de suspendre l'utilisation du métam-sodium jusqu'au 26 octobre. Et d'ajouter que le 28 septembre, déjà, le proviseur du lycée de Narcé, situé dans la zone horticole de Brain-sur-l'Authion, avait signalé un problème dans l'air.

Mais ces incidents ne sont pas si nouveaux, à en croire Ouest-France, qui rapportait récemment un précédent cas survenu en 2013 aux Sorinières, en Loire-Atlantique.

Il est très utilisé par les producteurs de mâche

Ces événements ne surviennent pas dans l'Ouest par hasard : c'est en Loire-Atlantique qu'est achetée près de la moitié des produits contenant du métam-sodium en France, soit 576,8 tonnes en 2017, selon l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Car la région nantaise représente "90% de la production française" de mâche, une culture maraîchère qui utilise particulièrement ce genre de pesticides.

Concrètement, les producteurs répandent le métam-sodium dans leurs champs au maximum une fois par an, en septembre-octobre, soit une dizaine de jours avant de cultiver. Un tel usage leur permet alors de récolter une mâche débarrassée d'éventuelles herbes, champignons et autres impuretés. La mâche a en effet la particularité d'être semée directement et non plantée, ce qui rend le désherbage très difficile une fois qu'elle pousse.

Avec ces intoxications, Dominique Visonneau, président de la coopérative Océane, qui rassemble une quarantaine de producteurs autour de Nantes, craint pour l'image de ces feuilles de salades tendres, cultivées toute l'année, et se veut rassurant. Le métam-sodium "n'est pas un traitement sur la mâche, c'est un traitement du sol", explique-t-il. Certes une autre technique consiste à stériliser le sol à la vapeur, mais elle requiert "entre 2.500 et 3.000 litres de fioul à l'hectare", signale Dominique Visonneau, qui pointe l'augmentation du prix de ce combustible.

Certains le considèrent comme "plus dangereux que le glyphosate"

Pour Yves Lepage, président de l'association Sauvegarde de l'Anjou, affiliée à la fédération France Nature Environnement, c'est clair : "le métam-sodium est plus dangereux que le glyphosate". "Comme il a été mal appliqué, on a vu qu'il y avait des problèmes immédiats sur les personnes, le glyphosate, lui, peut donner quelques problèmes immédiats, mais c'est surtout par accumulation qu'un jour ou l'autre, se déclenche un cancer ou autre chose", explique-t-il auprès de l'AFP. Son association a d'ailleurs porté plainte contre X auprès du tribunal d'Angers pour demander l'identification des personnes responsables du mauvais épandage.

Sur son site, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) rappelle d'ailleurs que le métam-sodium "présente des effets irritants, sensibilisants et corrosifs pour la peau, les voies respiratoires et les yeux".

Alors que la substance active est présente dans cinq produits en France, la fiche technique de l'un d'eux, repérée par franceinfo sur le site d'une centrale d'achats, indique notamment : "nocif en cas d'ingestion" et "par inhalation", "provoque des brûlures de peau et des lésions oculaires graves", "peut provoquer une allergie cutanée", "susceptible de provoquer le cancer", "susceptible de nuire à la fertilité ou au fœtus", "risque présumé d'effets graves pour les organes à la suite d'expositions répétées ou d'une exposition prolongée" ou encore "très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme".

Son application est encadrée par des règles précises

L'application des produits contenant du métam-sodium reste toutefois soumise à des règles précises. L'Anses rappelle d'ailleurs la nécessité pour les travailleurs d'utiliser des "protections respiratoires, des combinaisons, des bottes etc..". "Le respect de l'ensemble des conditions d'emploi (modalités d'application, bâchage,  etc..) permet également de protéger les riverains", complète l'agence publique.

Les maraîchers du Maine-et-Loire sont quant à eux tenus de respecter l'arrêté préfectoral du 20 janvier 2017, qui réclame d'enfouir le métam-sodium dans le sol plutôt que de le pulvériser. Chaque applicateur doit également se déclarer en préfecture et suivre une formation. Toute utilisation du produit à moins de 20 mètres des habitations est proscrite, et la mairie doit être avertie.

Autant de conditions qui n'étaient manifestement pas réunies dans les trois cas récents d'intoxications. La mairie de Brain-sur-l'Authion n'a pas été prévenue, assure ainsi la maire déléguée, Huguette Macé, interrogée par nos confrères de franceinfo. "Ils ont prétendu qu'ils l'avaient fait par e-mail ou par courrier, au niveau de la commune, mais on n'a trouvé aucune trace écrite", affirme l'élue.

L'arrêté visant à suspendre l'autorisation du métam-sodium dans le département souligne de la même manière des manquements supposés à la réglementation, "associés à des conditions climatiques exceptionnelles rendant les sols trop secs et trop chauds pour son application sans risques". La température élevée du sol aurait en effet rendu le produit particulièrement volatil.

Il est a priori autorisé jusqu'en 2022…

En 2012, l'Union européenne a renouvelé l'autorisation de cette substance active jusqu'en 2022 au moins, bien que celle-ci ne soit utilisée que dans quinze pays sur le continent.

Alors que son interdiction a été proposée à plusieurs reprises par des parlementaires depuis décembre 2017, l'Anses a décidé de se pencher plus sérieusement sur la question, suite aux intoxications de ces derniers jours. À l'issue du réexamen, elle pourra décider "un renforcement des conditions d'emploi", "le retrait de certains usages" ou "le retrait des autorisations de mise sur le marché".

Le parquet d'Angers, de son côté, a ouvert une enquête préliminaire "pour faire la lumière sur les conditions d'utilisation de ce produit".