Immigration : la France championne d’Europe de la rétention administrative ?

Centre de rétention administrative
Le Centre de rétention administrative de Mesnil-Amelot, près de Paris. © JOEL SAGET / AFP
  • Copié
Dans un rapport publié jeudi, la Cimade dénonce une politique migratoire "à court terme, sécuritaire et méfiante". 

La France serait le pays d’Europe qui aurait le plus recours à la rétention administrative pour les migrants. Selon un rapport de l'association Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués) publié jeudi, près de 50.000 personnes ont, en 2016, effectué un séjour dans un centre de rétention administrative (CRA), contre moins de 10.000 en moyenne dans les autres pays de l'Union européenne.

La Cimade, dans un rapport qualifié de "volontairement à charge", pointe notamment une utilisation détournée de la rétention. "Ces centres ne sont pas seulement utilisés pour leur fonction ‘classique’ d’antichambre de l’expulsion, mais aussi pour dissuader les personnes migrantes, pour gérer les ‘indésirables’", dénonce l’association qui lutte pour les droits des migrants.

Une utilisation "détournée" de la rétention. En France, les centres de rétention administrative (C.R.A.) sont utilisés pour retenir les étrangers auxquels l'administration ne reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français. Mais selon la Cimade, le gouvernement n’attend pas que les personnes effectuent une demande d’asile. L’association déplore notamment le recours à la détention administrative "hors de tout cadre légal" pour démanteler des campements, notamment à Calais, d’où 1.200 réfugiés ont été acheminés en C.R.A. Interrogé fin 2015 par Libération, le cabinet de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, avait d’ailleurs assumé cette politique d'enfermement. "On a décidé de prendre une mesure hautement dissuasive, ce qu'est le placement en C.R.A", expliquaient les équipes de l’actuel Premier ministre, assurant toutefois que les réfugiés venant de pays en guerre n’étaient pas concernés.

Tout assumée qu’elle soit, cette politique avait suscité l’indignation de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan. Celle-ci avait dénoncé "une utilisation détournée de la procédure qui entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes ainsi privées de liberté". Un passage en centre de détention, en effet, doit être suivi d’une expulsion du territoire. Or, selon Catherine Hazan, seuls 4% des réfugiés exclus de Calais ont été renvoyés dans leur pays d’origine, les autres ayant été relâchés.

Encore trop de mineurs dans les centres. La Cimade déplore, enfin, la présence jugée encore trop nombreuse de mineurs dans ces centres de rétention. Selon l’association, dans l’Hexagone, pas moins de 176 mineurs auraient été placés en rétentions administratives avant leur expulsion, malgré la promesse de François Hollande de mettre fin à cette pratique en 2012 et de la remplacer par des assignations à résidence. Si leur nombre a bien baissé entre 2011 et 2014 (de 312 à 45), il est reparti à la hausse depuis deux ans. A Mayotte, ils auraient même été… 10.000 entre 2014 et 2015, dont 6.400 mineurs isolés ! La pratique avait récemment été dénoncée par le Défenseur des droits et condamnée en juillet par la Cour européenne des droits de l’homme, ces derniers ne donnant toutefois aucun chiffre sur le nombre de mineurs concernés.

Interrogé par le Sénat en juillet 2016 sur la question, Jean-Marie Le Guen, ministre chargé des relations avec le Parlement, avait tenu à nuancer ces accusations. "Je tiens à affirmer devant vous la volonté du gouvernement de limiter très strictement les mesures de privation de liberté pour les mineurs", avait-il affirmé. "La rétention des mineurs est devenue exceptionnelle et ne concerne en réalité que deux cas de figure : celui des familles qui se sont soustraites de toutes les manières possibles aux mesures d'éloignement et celui des familles devant prendre un vol très tôt le lendemain matin", argumentait-il, sans toutefois se prononcer sur le cas de Mayotte.

 

"Logiques répressives stigmatisantes"

Au-delà de la question des centres de rétention, la Cimade déplore dans son rapport les visions "à court terme, sécuritaires et méfiantes" des politiques publiques en matière d'immigration. L’association dénonce notamment des logiques qui "confortent l'idée que ‘l'immigration est un problème ou une menace’" et "renforcent, de fait, le camp de ceux qui prônent le rejet ou la haine, au risque de fragiliser plus encore la cohésion sociale".

Parmi les "logiques répressives, stigmatisantes ou discriminatoires" dénoncées, l'association pointe notamment la "suspicion" des préfectures qui voient dans les personnes étrangères de "faux malades", "faux parents d'enfants français" ou "faux couples". Au niveau européen, la Cimade regrette un "marchandage de la coopération" avec des pays (la Turquie, principalement) "souvent moins regardants en matière de respect des droits" et qui "s'engagent à faire le sale travail en échange de contreparties" pour empêcher l'arrivée de migrants ou les expulser. Le rapport s'en prend aussi à une "obsession du tri des personnes" via les "hotspots" en Grèce et en Italie, dans l'idée d'écarter des personnes "pourtant en quête de protection".