«Il avait la bonne manière de s'adresser à un terroriste» : les confidences de la caissière sauvée par Arnaud Beltrame

Julie Grand 7:16
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Julien Moreau / Crédits photo : BERTRAND GUAY / AFP , modifié à
Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne s'est ouvert ce lundi 22 janvier devant la cour d'assises spéciale de Paris. Le 23 mars 2018, le terroriste islamiste Radouane Lakdim avait froidement assassiné quatre personnes, dont le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame. La caissière qui avait été prise en otage, Julie Grand, est revenue au micro d'Europe 1 sur cette journée traumatisante.

Trois hommes abattus sur un parking et dans un supermarché, une agente d'accueil prise en otage, jusqu'à ce que le gendarme Arnaud Beltrame se livre à sa place, au prix de sa vie : le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, en 2018, s'est ouvert ce lundi 22 janvier à Paris. La caissière en question, Julie Grand, est revenue au micro d’Europe 1 sur cet événement qui a marqué sa vie. "C'était évidemment une journée très banale. Je courais partout pour la location des camions et des véhicules utilitaires. Ça faisait un an et demi que j'y étais et il me restait un contrat de six mois. J'avais l'intention d'arrêter et de retourner à des métiers qui correspondaient plus à mes compétences", a rapporté la jeune femme.

"Il m'a trouvée tout de suite"

Dans ses souvenirs, elle n’a pas immédiatement pris conscience qu’un drame était en cours. "On a tous entendu un premier claquement, comme un claquement de palette qui tombe au sol. C'était en fait le premier meurtre. Notre collègue Christian, le boucher, qui s'est écroulé derrière la caisse, mais ma collègue, une autre caissière, n'a pas crié à ce moment-là, donc personne n'a vraiment réagi", a ajouté Julie Grand. "Au deuxième 'claquement de palette', je lève la tête et je vois l'arme à feu. Je vois qu'il tire un coup en l'air et je me baisse à ce moment-là. Et je réfléchis à la manière dont je peux sortir de ce recoin de l'accueil. Malheureusement, je ne trouve pas de solution", a déclaré l’autrice du livre Sa vie pour la mienne.

Elle a été rapidement prise de panique puisqu’elle a entendu Radouane Lakdim, le terroriste, venir en sa direction. "Il m'a trouvée tout de suite et il est entré dans le bureau en disant 'c’est bon, j'ai mon otage, allez sort de là. Je ne te ferai pas de mal. Viens, on appelle les flics'. J'ai appelé les secours, le 17. J'ai répondu à leurs questions", s’est souvenue Julie Grand. Ne voulant pas se laisser dépasser par les émotions, la jeune femme a décidé de se tempérer. "J’ai une culture familiale qui m'a aidée. J'ai un père médecin généraliste qui intervenait régulièrement avec les pompiers, une maman infirmière en milieu hospitalier. C'étaient des personnes qui étaient capables de garder vraiment leur sang-froid dans des situations compliquées", a lancé la jeune femme au micro d’Europe 1. 

En attendant les forces de l’ordre, Radouane Lakdim décide d’expliquer à la caissière les crimes qu’il vient de commettre, le meurtre de deux personnes sur le parking et d’une personne dans le magasin. "Les forces de l'ordre sont entrées dans le magasin et cinq gendarmes très équipés ont formé une ligne en s'avançant vers nous, en nous tenant en joue, en ouvrant le dialogue avec le terroriste. Mais c'était un échange très tendu. Le terroriste, à ce moment-là, m'avait placée dans l'encadrement de la porte. Il s'était glissé derrière moi, il avait posé son arme sur mon crâne. Je sentais que son couteau était de l'autre côté, au niveau de mes côtes. Le dialogue était très tendu et je réfléchissais si j'avais des chances de survie avec les balles qui allaient me traverser", s’est remémorée Julie Grand.

"Vos gueules, les gars, reculez, je prends"

Arnaud Beltrame décide alors de prendre les devants. "Vos gueules, les gars, reculez, je prends", a crié le lieutenant-colonel. "La manière dont il engage le dialogue, la négociation, dès le départ, il était très professionnel. C'étaient des mots finement choisis. Il avait une posture absolument idéale. Je sais, c'est très compliqué de trouver la bonne posture, il avait la bonne manière de s'adresser à un terroriste qui est là pour mourir", a déclaré celle qui témoignera au procès contre les sept présumés complices de Radouane Lakdim. "Il parle de moi en disant 'Relâche la petite dame, elle n'y est pour rien, prends-moi à sa place. Moi, je représente l'État", a-t-elle ajouté.

Dès qu’elle a appris le décès du lieutenant-colonel, elle s’effondre. La compagne d’Arnaud Beltrame lui envoie un message, mais elle ne trouve pas les mots pour lui répondre. "Elle m'a écrit peu de temps après l'attentat. Je n'ai pas réussi à lui répondre tout de suite. Ça m'a pris un an à trouver les mots pour répondre à son épouse. Je lui ai donc écrit au bout d'un an. On s'est rencontrées dans les semaines qui ont suivi et ça a été une rencontre importante. Elle m'a confirmé des choses que j'avais pressenties sur la personnalité de son mari. Et moi, j'ai pu lui dire ce que j'avais vu de l'action de son mari le jour J et ça m'a aidée d'emblée à travailler sur ma culpabilité", s’est rappelée Julie Grand.

Dans les trois ans qui ont suivi l'attentat, la jeune femme a enchaîné les épreuves douloureuses et c’est une rencontre avec un prêtre qui lui a permis de prendre de la hauteur sur les événements. "C’était un prêtre qui connaissait bien Arnaud Beltrame. J'ai su par exemple que lui-même s'était tourné vers la foi. Je me suis dit 'Bon, si c'est encore un exemple de plus d'une personne tout à fait sensée et tout à fait pragmatique, qui se tourne vers la foi, bon, c'est peut-être qu'il y a quelque chose à aller voir là-dedans, à trouver'. Et j'ai commencé à rencontrer des gens très bienveillants, qui m'ont accompagnée dans cette foi naissante. Et un jour, j'ai commencé à prier et ma vie a commencé à changer", a rapporté l’autrice de livre Sa vie pour la mienne. Désormais, la prière l’aide à surmonter les images d’horreur qui lui envahissent l’esprit.