C'est la toute première fois en France que la justice annule une autorisation de mise sur le marché pour un produit phytosanitaire.
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Pour la première fois en France, la justice a annulé mardi l'autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, un désherbant commercialisé par Monsanto et contenant du glyphosate. Une décision effective le jour-même, et qui pourrait en appeler d'autres.
ON DÉCRYPTE

C'est "le début d'une guerre", avait lancé Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, quelques heures après la condamnation historique de Monsanto par la justice californienne, en août 2018. Six mois plus tard, c'est en simple observateur que l'écologiste a assisté à l'une de ses batailles : mardi, le tribunal administratif de Lyon a décidé d'annuler l'autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, un produit désherbant contenant du glyphosate et commercialisé par le géant agrochimique, qui subit là un nouveau revers judiciaire. D'autant que la décision a déjà pris effet. Autrement dit, la vente, la distribution et l'utilisation de cet herbicide sont désormais interdites.

Une première en France

C'est en effet la première fois en France que la justice annule une autorisation de mise sur le marché (AMM) en s'appuyant sur le fameux "principe de précaution". Le tribunal a ainsi considéré que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) avait "commis une erreur d'appréciation au regard du principe de précaution", en autorisant ce produit le 6 mars 2017.

En s'appuyant notamment sur les travaux du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) sur le glyphosate, les juges administratifs ont estimé que le Roundup Pro 360 "est un produit potentiellement cancérigène pour l’homme, suspecté d’être toxique pour la reproduction humaine et pour les organismes aquatiques" et dont l'utilisation "porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé humaine". Davantage que le glyphosate seul, c'est donc la composition du produit, c'est-à-dire l'interaction entre la matière active et ses adjuvants, qui est ici remise en question.

Pour se défendre, l'Anses avait fait valoir que celle-ci était "strictement identique" à celle du Typhon, un herbicide commercialisé par le groupe Adama et autorisé en France depuis 1996. Un argument balayé par le tribunal, qui a jugé que le caractère cancérigène du Typhon n'avait "pas été étudié" dans l'avis de l'autorité sanitaire.

Une décision qui pourrait concerner d'autres Roundup

Alors, pourquoi le Roundup Pro 360 plutôt qu'un autre ? Tout simplement parce qu'il  s'agit du dernier à avoir bénéficié d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) avait en effet deux mois pour saisir la justice afin de réclamer le retrait de ce produit, utilisé notamment sur les cultures légumières, fruitières et la vigne. Ce qu'elle avait fait en mai 2017. Un choix aléatoire, donc. "Mais il n'y a aucune différence entre les Roundup", souligne auprès d'Europe 1 l'avocate de la CRIIGEN, Me Corinne Lepage.

" On arrive au bout d'un système : désormais, en mettre d'autres sur le marché me paraît très difficile "

L'ancienne ministre de l'Environnement (1995-1997) s'est réjoui d'un jugement "très motivé" et "absolument majeur (…), le tribunal considérant que tous les produits contenant du glyphosate sont probablement cancérogènes". Selon l'avocate, "on arrive au bout d'un système : désormais, en mettre d'autres sur le marché me paraît très difficile", affirme-t-elle. Le CRIIGEN, notamment aidé dans son combat par France Nature Environnement (FNE), compte en outre demander la réévaluation des quelque 190 produits contenant du glyphosate actuellement vendus dans le pays.

Europe-Écologie-Les Verts a déjà introduit un tel recours devant le tribunal administratif, en réclamant le réexamen en urgence de la dangerosité du glyphosate par l'Anses.

Le rôle de l'Anses en question

Depuis le 1er juillet 2015, l'agence a déjà procédé pour des raisons de sécurité sanitaire au retrait de 132 autorisations de mise sur le marché de produits à base de glyphosate. Le 30 novembre dernier, elle indiquait par ailleurs que près de 70 nouveaux produits faisaient l'objet d'une demande d'AMM.

Concrètement, l'étude de chaque dossier comprend une première étape, traditionnelle, d'évaluation de la toxicité du produit (absence de "risques inacceptables" - doses et seuils de sécurité définis au niveau européen - pour les manipulateurs, les riverains, l'environnement...). La France s'étant engagée à sortir du glyphosate d'ici à 2021, l'Anses regarde enfin si pour chaque usage il existe une alternative non chimique ou de biocontrôle.

" Je pense que les Français ont des comptes à demander à l'Anses "

"L'Anses a fait beaucoup de progrès mais le problème majeur réside dans l'organisation actuelle", dénonce toutefois Corinne Lepage.  En France, le même organisme est en effet chargé à la fois d'évaluer et de donner son feu vert. "Ce n'est pas acceptable", juge l'avocate. "L''évaluation du risque et la gestion du risque, ce n'est pas la même chose."

"Dans les documents sur lesquels se base l'Anses, certains ne sont que le copié-collé de l'argumentaire de Monsanto", fustige pour sa part Cécile Claveirole, pilote du réseau agriculture au sein de FNE, en référence au plagiat commis par l'institut fédéral allemand d'évaluation des risques au moment du renouvellement de l'autorisation de l'herbicide en 2017. "Je pense que les Français ont des comptes à demander à l'Anses", glisse cette ingénieure agricole de métier.

La décision du tribunal administratif de Lyon pourrait ainsi motiver les différents acteurs du secteur à mener une réflexion sur le rôle des agences sanitaires, dont certaines sont accusées de travailler main dans la main avec les lobbies. Le glyphosate, et à travers lui le Roundup, fait toujours l'objet d'études scientifiques contradictoires quant à son caractère cancérigène. En novembre 2017, les conclusions de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) avaient conduit l'Union européenne à renouveler son homologation pour cinq ans.