Fait religieux : vers qui les entreprises peuvent-elles se tourner ?

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IMAGE D'ILLUSTRATION © MENAHEM KAHANA / AFP
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De plus en plus d'entreprises se trouvent confrontées au fait religieux, un domaine dans lequel elles ne sont pas forcément spécialistes. 
ENQUÊTE EUROPE 1

Les convictions religieuses s'affichent de plus en plus au travail. Selon une étude de l'Institut Randstad et de l'Observatoire du fait religieux en entreprise, 65% des salariés disent avoir constaté une poussée des revendications religieuses dans leur entreprise, contre 50% en 2015. Dans 91% des cas, ces convictions religieuses s'expriment par des requêtes et pratiques personnelles : demandes d'absence pour une fête religieuse, d'aménagement du temps de travail (planning, horaires), port ostentatoire de signes religieux, les prières pendant les pauses etc. "C'est la majorité des cas et ils n'entravent pas le travail", assure toutefois Lionel Honoré, directeur de l'OFFRE.

Mais dans 9% des cas, cela peut devenir conflictuel. Prosélytisme, pressions pour venir prier, refus de travailler avec une femme ou avec des pratiquants d'autres religions… Les salariés ont constaté une hausse de 3% des cas conflictuels en un an. Entre 2013 et 2016, la proportion est passée de 3 à 9% de situations conflictuelles. Or, pour faire face à ces problématiques ou même pour favoriser la diversité religieuse sans entraver leur bonne marche, les entreprises ne savent pas toujours vers qui (ou quoi) se tourner. Voici quelques pistes.  

" La loi laisse une zone d'inconfort aux managers "

"Tout d'abord, il faut connaître la loi. Tout bon juriste peut faire une note de synthèse de ce qui est légal ou pas. Les Fédérations professionnelles, comme le Medef, sont également bien renseignées en la matière", indique pour Europe 1 Laurent Morestain, Secrétaire général de Randstad France. Dans le public, la loi est plutôt claire : la direction peut imposer la neutralité religieuse. Dans le privé, le cadre est plus flou : le fait d'imposer la neutralité doit être "justifié et proportionné" par la nature de la tâche que l'employé ou le collaborateur doit accomplir (le détail dans notre article ici).

"Cela laisse une certaine zone d'inconfort aux managers. Les grandes entreprises, généralement, savent à qui s'adresser : elles ont leur réseau de juristes, d'experts ou de conseillers en diversité, en 'Responsabilité sociétale des entreprises' (RSE). Pour les PME, c'est plus compliqué. Elles peuvent se tourner vers le Medef ou l'Association des directeurs de ressources humaines (ANDRH), qui ont rédigé pas mal de notices pratiques sur le fait religieux", poursuit Laurent Morestain. Le gouvernement va également distribuer dans les prochains jours un guide sur le sujet, avec une multitude de réponses concrètes à des questions que se sont déjà posées des  managers. 

" Les formateurs ont un parti pris de départ "

Les Instituts Montaigne et IMS entreprendre, également, travaillent régulièrement sur ces questions et produisent des rapports. "Mais tout cela reste plutôt flou. Des études sont lancées, des démarches sont faîtes, mais peu se concrétisent", explique à Europe 1 Guy Trollier, consultant formateur en fait religieux en entreprise et enseignant-diplômé à l'Institut européen en sciences des religions (IESR). "Certaines entreprises, d'ailleurs, assurent qu'elles se forment. Mais lorsqu'on creuse un peu, il est difficile de savoir auprès de qui elles se forment vraiment. C'est un sujet encore tabou", renchérit Guy Trollier.

Au-delà des instituts d'études ou des organisations non spécialisées, de nombreux cabinets de conseils ou de formateurs indépendants proposent une expertise spécialement centrée sur le fait religieux. "Il en existe pléthore. Mais très peu ont une réelle connaissance à la fois du monde de l'entreprise et du principe de laïcité. Il faut faire attention aux diplômes, à l'expérience", selon Guy Trollier.

"Le problème, dans ce secteur, c'est que tous les conseillers et les formateurs ont un parti pris de départ", ajoute Omero Marongiu-Perria, sociologue spécialiste de l'Islam (Université catholique de Louvain, IESR) et lui-même formateur. "Moi-même, je suis davantage pour dire qu'un salarié qui exécute la majorité de sa vie dans son entreprise doit pouvoir légitimement exercer un certain nombre de choses liées à son culte, comme aller prier ou se recueillir un moment pendant une pause par exemple. D'autres formateurs vont au contraire tout faire pour favoriser la neutralité religieuse et le rejet des demandes à caractères religieux", poursuit Omero Marongiu-Perria.

" Les managers aussi sont une source d'information ! "

Côté prix, les journées de formation dans le domaine de la diversité ou de la lutte contre les discriminations sont aujourd'hui facturées entre 600 et 1.500 euros. Pour obtenir un "label" "Responsabilité sociétale des entreprises" (RSE) ou "diversité" reconnu, cela peut même coûter des dizaines de milliers d'euros. Mais il n'existe pas de prix de marché fixe dans le domaine précis du fait religieux. Plusieurs cabinets privées, comme Astrées, Les entreprises dans la citée ou In Agora commencent toutefois à se faire un nom dans le secteur. Des associations, comme Grandir ensemble, la plus connue, proposent aussi des conseils et des formations. Convivencia, une entreprise sociale (pas d'actionnaires, plafonnement des salaires etc.) liée à l'association Coexister (une association qui milite pour le dialogue inter-religieux), à qui elle reverse tous ses bénéfices, a également développé une expertise en la matière.

Pour s'y retrouver, chez Randstad, on conseille aux entreprises de se renseigner auprès de plusieurs cabinets avant de faire un choix. "Le prix n'est pas tellement l'enjeu, cela ne coûte pas plus cher qu'une formation à la diversité ou à l'éthique. Il faut surtout regarder l'historique de leurs actions, leurs références, leur méthodologie", avance Laurent Morestain. "Ces conseillers peuvent apporter une vraie aide. Pour aider le chef d'entreprise à se positionner. Mais aussi pour former les managers. Au bout d'un moment, les managers doivent pouvoir se dire : ce sujet, je ne le maîtrise pas, et j'ai besoin d'aide pour mettre en place un environnement qui évitera les conflits", développe le secrétaire générale de Randstad France.

Selon Randstad, d'ailleurs, la première personne vers laquelle un chef d'entreprise doit se tourner se trouve … dans leur entreprise. "Les managers aussi sont une source d'information ! Il ne faut pas que les chefs d'entreprises oublient de consulter leur hiérarchie intermédiaire. Les managers connaissent le terrain, et ils sont souvent plus au courant des situations que les patrons", insiste Laurent Morestain. Or, selon l'enquête Randstad, un manager sur deux n'est pas consulté par les chefs d'entreprise lors de la gestion du fait religieux.