Le président de la région Paca, Renaud Muselier, n'est pas du tout satisfait des mesures prises à Aix-Marseille. 6:04
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Ariel Guez
Invité de "C'est arrivé cette semaine", l'historien Jacques de Saint Victor est revenu samedi sur Europe 1 sur la tension entre le gouvernement et les élus marseillais, alors que de nouvelles mesures pour lutter contre la propagation du coronavirus doivent être appliquées dimanche. Il explique que cette crise est due en partie à la décentralisation.
DÉCRYPTAGE

>> À Marseille, pendant 48 heures, les murs ont tremblé en fin de semaine. Les annonces mercredi soir d'Olivier Véran sur la fermeture des bars et des restaurants dès samedi ont provoqué la colère des professionnels du secteur, mais aussi des élus locaux, toutes tendances politiques confondues. Vendredi par exemple, l'adjointe à la maire Samia Ghali affirmait que la police municipale ne sanctionnerait pas les restaurateurs qui laisseraient ouverts leurs établissements. Finalement, la situation a débouché sur un compromis : la fermeture des bars et restaurants aura lieu dimanche soir pour permettre aux restaurateurs de vider leurs stocks.

Invité de C'est arrivé cette semaine, Jacques de Saint Victor, historien du droit et auteur de Histoire de la République en France, est revenu samedi sur cette tension entre la capitale et la cité phocéenne. Selon lui, la "révolte de la province contre le pouvoir central" n'est pas quelque chose de nouveau.

Paris et Marseille, une histoire longue

"Ça s'est vu à l'origine même de la République puisque sous la révolution, il y a eu un courant républicain qui était en rupture avec le centralisme du Comité de salut public et qu'on appelait en 1793 le courant fédéraliste", explique l'historien. D'ailleurs, Marseille a fait partie des villes qui étaient en rupture avec la volonté centralisatrice du Comité de salut public, au point que la cité phocéenne a été très violemment sanctionnée par les révolutionnaires : pendant quelques mois, la ville a été débaptisée. "On l'a appelée 'la ville sans nom' parce que justement, elle s'était révoltée contre la République", dit Jacques de Saint Victor.

Si les révoltes populaires ont toujours existé, il est assez rare, depuis la fin de l'Ancien Régime, de voir des élus mener la fronde. "L'exemple le plus célèbre qu'on a eu, c'est la Commune de Paris qui s'est révoltée contre Versailles, qui était à l'époque le gouvernement officiel", indique Jacques de Saint Victor. "Mais les conditions étaient particulières", précise-t-il. 

"La force de la France, c'était son histoire ultra centralisatrice"

Pourquoi les élus se sont peu révoltés depuis la proclamation de la République ? "La force de la France, c'était son histoire ultra centralisatrice", répond Jacques de Saint Victor. Mais la donne est en train de changer. "Actuellement, du fait probablement du mouvement de décentralisation qui donne de plus en plus de pouvoirs aux élus et qui les institue un peu comme des sorte de potentats féodaux locaux, on voit naître cette tendance un peu nouvelle". 

"Les élus locaux se mettent à relayer cette antipolitique et appuient ce mouvement contre l'autorité officielle élue"

Surtout que l'opposition Paris-Marseille, déjà très forte dans le monde du football avec le "Classico", est de plus en plus présente, jouée et analysée dans le monde politique. Dans le Sud, "on utilise beaucoup la rhétorique de dire 'les pouvoirs parisiens'", rappelle Jacques de Saint Victor. "Mais en réalité, ce sont des pouvoirs qui ont été élus par l'ensemble du peuple français. Et jusqu'à très récemment, il y avait cette idée idée que le pouvoir à Paris représentait le pouvoir de l'ensemble du peuple."

Autre nouveauté : ce n'est plus seulement le peuple qui proteste contre le pouvoir central. "Ce sont aussi les élus locaux qui se mettent à relayer cette antipolitique qui est née dans les années 2014-2016 et qui maintenant appuient ce mouvement contre l'autorité officielle élue", continue l'historien citant par exemple les propos de la maire d'Aix à l'encontre du ministre de la Santé Olivier Véran. "On est là dans quelque chose d'assez neuf dans l'Histoire de la République."

"Il y a une crise de la représentativité"

Mais ce mouvement de contestation n'est pas uniquement français, précise Jacques de Saint Victor. "Je pense même que la France est arrivée un peu plus tard que les autres pays d'Europe, notamment en Italie. Mais c'est très clair qu'aujourd'hui, il y a de la part du peuple l'idée que les gouvernants ne nous représentent plus assez bien. Il y a une crise de la représentativité", continue l'historien, avant de conclure, peu optimiste. "C'est très récent et c'est un mouvement qui, hélas, va se poursuivre parce que de plus en plus, on rêve d'un pouvoir direct du peuple vers la décision immédiate."