Cinq ans de #Metoo : ces commissariats débordés par les plaintes de femmes victimes de violences

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Les commissariats doivent traiter un nombre de plaintes pour violences de plus en plus important (Illustration). © Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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avec AFP
Cinq ans après le début du mouvement mondial #Metoo, qui a permis de libérer la parole sur les violences conjugales et les agressions sexuelles, les commissariats de France sont débordés face à l'afflux de dossiers. Un projet de loi doit permettre de doubler le nombre d'enquêteurs spécialisés, soit 2.000 agents supplémentaires.

Trois policiers pour plus de 700 dossiers. Depuis le mouvement #Metoo, "entre cinq et dix" nouvelles plaintes sont déposées chaque semaine dans un petit commissariat de l'est de la France, explique un responsable sous couvert d'anonymat. "Malheureusement, on n'a pas les capacités de pouvoir toutes les gérer." Quand les procédures concernent des violences dites "en flagrance", ou que les fonctionnaires estiment qu'il y a un danger particulièrement important pour la victime, les violences sont généralement traitées sans trop de difficultés.

Des délais qui s'allongent si les faits sont antérieurs

Mais si les faits dénoncés sont antérieurs, les délais s'allongent. "Si on a quelques jours de disponibles, sans garde à vue en flagrant délit, on essaie de sortir des dossiers", poursuit le responsable. "Mais le flux est tellement important qu'on ne peut pas." Depuis l'été 2021 et des consignes données par le gouvernement après une série de féminicides, notamment ceux commis à Hayange et Mérignac, les dossiers les plus anciens ont été éclusés.

Dans le commissariat de l'est, le délai entre le dépôt de plainte et une décision judiciaire a été ramené à six mois pour les violences conjugales. Mais au détriment des autres types de violences, viols ou agressions sexuelles, déplore le policier.

Des enquêteurs épuisés face au nombre de dossiers

"J'ai vu des enquêteurs pleurer", épuisés de ne pouvoir traiter correctement les dossiers en attente, poursuit le responsable. Quand un corps de femme démembrée a été découvert dans la région, les policiers ont tous espéré "qu'elle n'avait pas de lien avec un de nos dossiers". Cette situation se retrouve dans plusieurs commissariats de France, en particulier dans les zones souffrant d'un manque d'effectifs et d'un turn-over important, selon plusieurs sources syndicales. Les gros services de police sont moins concernés, bénéficiant plus facilement de l'appui d'autres groupes d'enquêteurs.

Côté police comme gendarmerie, un état des procédures mensuel ou trimestriel est réalisé dans les services. "Si les délais n'ont pas été respectés, on monte en puissance", avec des effectifs déployés en renfort, explique à l'AFP la lieutenant-colonelle Dorothée Cloître, référente violences intrafamiliales de la gendarmerie.

Le projet de loi prévoit 2.000 d'enquêteurs supplémentaires pour ces affaires

Idem dans la police, assure à l'AFP la commissaire Gabrielle Hazan, référente pour la police nationale. Mais elle reconnaît que ce système ne permettra pas de faire face sur le "long terme" à l'afflux de plaintes, qui "risquent de continuer à augmenter". Le projet de loi de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi), examiné à partir de mardi au Sénat, prévoit de doubler le nombre d'enquêteurs spécialisés dans les violences intrafamiliales, soit 2.000 agents supplémentaires.

Au-delà de ces renforts, la commissaire plaide pour une meilleure évaluation des risques encourus par les victimes, notamment via des questionnaires, sur le modèle de l'Espagne. Ce, pour adapter les investigations aux spécificités des plaintes reçues, plutôt que de suivre un "canevas identique quels que soient les faits".

Plus de 230.000 plaintes chaque année

Selon les autorités, les services de police et gendarmerie enregistrent chaque année plus de 230.000 plaintes pour violences conjugales et violences sexuelles. Des chiffres en constante augmentation : les plaintes pour violences sexuelles (viols, tentatives de viols ou agressions sexuelles) sont par exemple passées de 41.600 en 2017, année du mouvement #Metoo, à 75.800 en 2021. Globalement, la prise en charge des victimes par les forces de l'ordre s'est "nettement améliorée", assurent les avocates spécialisées interrogées par l'AFP, évoquant notamment un "effort" sur la "formation" des policiers et gendarmes.

Mais des "progrès" restent à faire, poursuivent-elles, appelant à la mise en place de juridictions spécialisées. Si les faits les plus graves "sont traités plus rapidement et avec plus de délicatesse", les dossiers qui traînent créent chez les victimes "un sentiment de lassitude, d'être rien du tout", explique Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans ces violences depuis 30 ans. La "police fait comme elle peut mais elle est sous-dotée comme la justice", déplore de son côté Me Anne Bouillon. "Il y a une injonction de déposer plainte mais c'est paradoxal, la justice n'est pas formatée pour."