Bébés échangés : "on en a pour toute notre vie avec cette histoire"

Sophie Serrano et sa fille Manon, en 2014, avant l'ouverture du procès.
Sophie Serrano et sa fille Manon, en 2014, avant l'ouverture du procès. © AFP
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Chez Christophe Hondelatte, Sophie Serrano revient sur son histoire et l'erreur dont elle a été victime : son bébé a été échangé avec un autre à la naissance.

C'est une histoire à la fois incroyable et tragique, celle de Sophie Serrano et, par voie de conséquence, celle de sa fille et d'une autre famille. Dix ans après avoir mis au monde un enfant, Sophie Serrano a appris qu'on avait échangé son bébé avec un autre à la naissance. Le début d'un combat pour la vérité, comme elle le raconte au micro de Christophe Hondelatte mardi.

La jaunisse de Manon. Sophie Serrano accouche d'une petite fille, Manon, le 4 juillet 1994, dans une clinique de Cannes. Le bébé a une jaunisse. L'enfant doit régulièrement être confié à des infirmières, qui placent Manon sous des lampes afin de la guérir. Un dispositif de routine.

Un jour, après une séance, Sophie trouve Manon différente, notamment ses cheveux. "C'est bête", se dit-elle, "mais ils ont l'air plus long que tout à l'heure". Elle s'en inquiète auprès de l'infirmière qui balaie ses doutes : les rayons des lumières peuvent faire pousser les cheveux plus vite. Sophie Serrano se sent idiote d'avoir posé la question. La vie reprend son cours, Sophie et Manon finissent par quitter la clinique pour rejoindre le domicile familial où les attend Davy, le père de Manon et le mari de Sophie.

 

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Le couple se brise. Les jours passent, puis les mois et Manon grandit. Ses cheveux bouclent, son teint devient plus mat. Dans le village de Sophie et Davy, on commence à jaser : "la petite ne ressemble pas à son père, elle n'est pas de lui". La rumeur court les rues, jusqu'à atteindre les oreilles de Sophie, qui n'en revient pas. Elle sait que Davy est bien le père de Manon, elle ne l'a jamais trompé ! Au même moment, son entourage essaye de lui faire passer un message : Davy aurait des maîtresses. D'autres rumeurs ! Décidément, Sophie finit par croire qu'on en veut à sa famille.

Un jour, Davy finit par apprendre que tout le village bruisse qu'il n'est pas le père de Manon. Il pique une colère contre Sophie, fou de rage. Le couple, lentement mais sûrement, se délite. Et il finit même par se briser définitivement lorsque Sophie se rend à l'évidence : Davy la trompe. Il avoue. Le couple se sépare et Sophie part s'installer chez une amie.

"J'ai immédiatement repensé à cette scène des cheveux". Au fil des années, Davy s'est désintéressé de Manon. Avec la séparation, il a été de moins en moins présent pour elle. Un jour, Sophie reçoit une lettre du tribunal. Davy conteste la paternité de Manon, alors âgée de 7 ans et demi. Il veut savoir s'il paie une pension à sa vraie fille biologique. Sophie est scandalisée mais elle n'a pas le choix. Elle se plie à deux prises de sang. Suivront une année d'attente et d'angoisse avant un verdict terrible, annoncé par son avocate : Davy n'est pas le père de Manon et Sophie n'est pas sa mère non plus.

Lorsque son avocate lui annonce la nouvelle, Sophie fait un brusque retour en arrière. "J'ai immédiatement repensé à cette scène des cheveux, où je m’étais sentie ridicule alors que j’avais raison", se souvient Sophie Serrano au micro d'Europe 1. Pour elle, on a échangé son bébé avec un autre, c'est une certitude. Elle mettra trois semaines avant d'annoncer la nouvelle à Manon, qui a alors dix ans.

"C’est une torture psychologique". Sophie dépose plainte à la gendarmerie, contre la clinique. Elle veut que la vérité soit établie. "J’ai mis au monde un bébé et je ne sais pas où il est. C’est une torture psychologique : une fois que je sais cela, ça ne peut plus sortir de ma tête", indique Sophie Serrano.

Peu de temps après, on lui annonce qu'on a sans doute trouvé l'autre famille. Une nouvelle batterie de tests s'engage. Les résultats tombent rapidement cette fois-ci. C'est confirmé, les bébés ont bien été intervertis à la naissance. L'enquête montrera plus tard que l'échange de l'époque vient sans doute d'une auxiliaire de puériculture, qui avait des problèmes et buvait. Elle a placé deux bébés sous une même lampe, faute de place, puis s'est trompée au moment de rapporter les enfants à leurs mères.

La difficile vérité. Les deux familles vont se rencontrer, les deux petites filles se voir. Évidemment, il n'est pas question que Manon et Mathilde (le prénom de la fille biologique de Sophie) soient échangées et retrouvent leurs parents biologiques. La vérité, aussi cruelle soit-elle, ne remplace pas des années d'amour. Mais alors que tout se passe bien entre les deux familles au début, les parents de Mathilde vont se montrer de plus en plus distants. Un éloignement qui pèse sur Sophie Serrano et la plongera dans la dépression. Le temps passant, la médiatisation de l'affaire et un livre lui permettront de remonter la pente. "Cela m’a apporté le soutien dont je manquais", explique-t-elle.

Vingt ans après les faits, un procès a lieu en 2014. Au total, les deux familles seront dédommagées à hauteur de 900.000 euros chacune. Est-ce que Sophie aurait aimé ne jamais connaître la vérité ? Que ces tests n'aient jamais eu lieu ? "C'est une question compliquée. (...) Dans le fond, j’aurais peut-être préféré ne pas savoir, car je n’aurais pas vu ma fille souffrir, ni Mathilde souffrir, ni les autres parents souffrir, (...) et en même temps je n'aurais jamais connu Mathilde", conclut Sophie Serrano, "on en a pour toute notre vie avec cette histoire."