A quoi pourraient ressembler les "prérequis" avant l’entrée à l’université ?

© CHARLY TRIBALLEAU / AFP
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Les débats pour trouver une alternative au tirage au sort entrent dans le vif du sujet ce lundi.

Comment éviter que l’entrée à l’université se décide par tirage au sort ? C’est le sujet majeur au cœur des groupes de travail qui commencent à plancher lundi sur l’accès à l’enseignement supérieur. Cette année, plus de 3.000 néo-bacheliers aspirant à des études supérieurs se retrouvent sur le carreau. Ayant formulé leurs vœux via la plateforme APB, ils n’ont obtenu aucune place dans les établissements qu’ils avaient choisis. Ce logiciel décrié répartit les inscriptions en fonction des vœux et des places disponibles dans les établissements. Or, lorsque les filières sont saturées, l’inscription se fait par tirage au sort, sans tenir compte des notes de l’étudiant.

Fin août, dans un entretien au Point, Emmanuel Macron le promettait : dès la rentrée 2018, "on ne tirera plus les gens au sort" pour entrer à l'université. Mais comment se passer du tirage au sort, alors que le nombre d’étudiants augmente d’environ 30.000 chaque année ? S’il refuse pour le moment de parler de sélection à l’université, l’exécutif a déjà évoqué à plusieurs reprises sa volonté d’instaurer un système de "prérequis". A quoi cela pourrait-il ressembler ? Eléments de réponse.

Que promet le gouvernement ?

Dès la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait donné le ton : "Chaque université affichera les prérequis de chacune des formations qu’elle propose […] Un lycéen ne disposant pas de ces prérequis pourra s’inscrire après avoir comblé ses lacunes, par des cours d’été ou par la validation de modules universitaires ", pouvait-on lire dans son programme de candidat. Avec cette exemple à la clé : "Pour une licence en sciences, ces prérequis pourront être des acquis minimaux en Mathématiques, en Sciences Physiques ou en Sciences de la Vie et de la Terre".

Depuis l’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron, ces fameux "prérequis" ont plusieurs fois été abordés par des ministres, qui se sont toutefois gardés d'entrer dans les détails. "Il faut qu'on soit en capacité de donner une réelle information aux étudiants y compris sur leur probabilité de réussir" à travers les "prérequis", avait esquissé la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, mi-juillet sur France Inter. Début juillet, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre Edouard Philippe avait évoqué des "contrats de réussite étudiante" qui indiqueront aux jeunes "les prérequis pour réussir dans la filière visée".

Que proposent les acteurs concernés ?

Ces "prérequis" seront-ils simplement informatifs ou sélectifs ? Se baseront-ils sur les notes du bac ou sur l’ensemble de la scolarité ? Prendront-ils en compte la motivation et les activités extra-scolaires ? Pour l’heure, l’exécutif entretient le flou et plusieurs lignes se dégagent entre les acteurs concernés.

Pour les syndicats étudiants, ces "prérequis" ne doivent être qu’informatifs, avec cette idée que le futur étudiant prendra la bonne décision s’il est bien informé en amont. La Fage, la principale organisation étudiante, prône l'instauration, pendant les années lycée, "d'une véritable orientation, qui responsabilise le jeune et lui permette de comprendre les formations de l'enseignement supérieur, en fonction de ses compétences et ses aspirations". Selon les syndicats étudiants, en effet, un lycéen n’est pas suffisamment "responsabilisé", et il ne sait pas forcément quelle matière il doit travailler pour préparer efficacement son avenir, d’où l’injustice d’imposer des prérequis dès le lycée. "Cela entraînera une concurrence entre universités et empêchera certains bacheliers de s’inscrire dans une filière où ils auraient pu se révéler", s’inquiète Hervé Christofol, président de la Fage, interrogé cet été par 20 Minutes.

" Un prérequis informatif, ce n’est pas un prérequis "

La Conférence des présidents d'université (CPU), elle, se prononce clairement en faveur de "prérequis" sélectifs, qui pourraient être invoqués par les universités pour refuser l’entrée à un néo-bachelier. Par exemple, l'obligation d'avoir fait de la biologie au lycée pour s'inscrire en Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), une filière engorgée qui a refusé cette année près de la moitié des postulants. Ainsi, plus que la note moyenne au bac, c’est la note dans les matières qui serviront plus tard au futur étudiant qui serait prise en compte. Des places pourraient également, selon la CPU, être réservées à des lycéens qui ne répondraient pas aux prérequis mais dont le dossier prouverait la motivation. Les compétences acquises hors du cadre scolaire (avec des activités périscolaires par exemple) pourraient aussi être scrutées de près.

"Un prérequis informatif, ce n’est pas un prérequis. Sinon, il faudra m’expliquer comment on met fin au tirage au sort ! Cela ne servira pas pour autant à exclure. Un lycéen qui ne remplit pas les conditions devra se voir proposer une solution alternative", détaille dans Le Monde François Germinet, de la conférence des présidents d’université. La CPU évoque notamment l'idée d'une année de remise à niveau avant d'entamer la licence pour certains postulants.

Comment ça se passe ailleurs ?

En France, l’idée d’instaurer une sélection à l’entrée de l’université n’est pas nouvelle, mais elle n’a jamais vraiment pris corps. En 1968 et en 1986, le gouvernement avait dû reculer face à la pression de la rue (surtout des étudiants) sur cette question. Pourtant, à l’étranger, c’est plutôt le système de tirage au sort qui fait figure d’exception.

Seuls la Belgique et l’Italie ont un système aussi ouvert que le nôtre. Mais le nombre de lycéens aspirant à entrer à l’université étant moindre, ces deux pays n’ont pas recours au tirage au sort (sauf pour la fac de médecine, en Belgique).

Les pays anglo-saxons, asiatiques, la Suède ou le Danemark, pour leur part, laissent leurs universités libres de sélectionner leurs étudiants dès l’entrée en première année. En Espagne, les étudiants doivent même passer un concours pour l’entrée dans n’importe quelle université, avec une difficulté qui évolue en fonction de nombre de places disponibles.

L’Allemagne et l’Autriche, enfin, opèrent un mixte. Certaines filières restent ouvertes, et d’autres sont particulièrement sélectives : une sélection est alors opérée par concours avec un nombre de places délimitées à l’avance, un numerus clausus.

Pour quels résultats ?

Un rapide regard sur les classements universitaires permet de dresser un constat édifiant : les pays qui trustent les premières places des classements des meilleures universités, notamment les établissements anglo-saxons et asiatiques, opèrent une sélection à l’université.

Reste que dans ces pays, l’écart de niveau entre les différentes universités est parfois abyssal. En outre, cela ne vaut pas pour tous les pays : l’Espagne, par exemple, particulièrement sélective, ne s’illustre pas par le résultat de ses universités dans les classements internationaux.

La même remarque vaut pour le taux de diplômés : avec 43,6% de 30-34 ans diplômés de l’enseignement supérieur, la France reste certes en dessous du Royaume-Uni (46%), mais au-dessus de l’Allemagne (31%) ou de l’Espagne (40%). Autant de données que le gouvernement va devoir prendre en compte pour trouver le bon équilibre.