Lille : sept ex-khâgneux devant la justice pour un bizutage

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avec Lionel Gougelot et AFP , modifié à
Ces étudiants étaient jugés pour avoir brûlé une jeune femme au troisième degré lors d'une séance de bizutage d'un grand lycée lillois.

Le tribunal correctionnel de Lille s'est invité mercredi dans les secrets des rites initiatiques d'une grande classe prépa du Nord de la France. Sept étudiants, alors élève en classe préparatoire littéraire, y comparaissaient pour avoir brûlé une jeune femme au troisième degré lors d'une séance de bizutage. Quatre jeunes hommes et trois jeunes femmes, dont certains poursuivent des études de philosophie ou préparent l'ENS, ont reconnu avoir bizuté - et pour deux d'entre eux avoir giflé- la victime le 10 octobre 2013.

Un rite initiatique entre khâgneux. Le jour des faits, la jeune femme qui vient d'intégrer une classe d'hypokhâgne du prestigieux lycée Faidherbe de Lille, reçoit un texto lui fixant un rendez-vous. Elle doit subir un rite d'intronisation afin d'entrer au "KB", le "Komité de bienvenue". L'association, destinée à promouvoir l'intégration des nouveaux étudiants, est un "mythe" dans le lycée, selon une prévenue. "Curieuse" de découvrir le mystérieux KB, la victime dit avoir été rassurée par texto par sa "marraine" : "'tu vas voir, c'est assez déconcertant, montre leur que tu n'as peur de rien'", lui avait-elle écrit.

Une lampe dans les yeux  "comme à la Gestapo".  Accueillie par le chef du KB, baptisé "69", la jeune fille est soumise au rite : les yeux bandés, déchaussée et privée de son portable, on lui impose "l'étoile", la faisant tourner plusieurs fois sur elle-même pour la désorienter avant de pénétrer dans l'appartement. Entourée de sept personnes, on la met à genoux et on lui projette de la lumière dans les yeux, "comme à la Gestapo", selon son avocat. Quelques gifles, des crachats de bière et des mains baladeuses la mettent immédiatement mal à l'aise. "J'étais complètement en dehors de moi-même", confie la jeune fille au micro d'Europe 1. "Je me sentais dégradée", reprend-elle, mais la situation et les intimidations subies l'empêchent de reprendre le dessus. "J'avais qu'une envie, c'était d'arrêter, mais j'étais déstabilisée par toutes les remarques, les attaques physiques, la violence".  

"Elle avait du répondant". La jeune femme subit un "interrogatoire", devant répondre aux questions du "Komité". "Est-ce que tu t'es déjà fait prendre par un cheval ?", lui demande-t-on notamment.  "Elle avait du répondant", balbutie "69", entré en classe préparatoire après avoir décroché son bac avec mention très bien. Son attitude encourage deux membres du comité à gifler la victime une dizaine de fois, "afin de mettre une tension".

Brulée au troisième degré. De retour chez elle, la victime constate qu'elle a été brûlée accidentellement au 3e degré par la lampe qui servait à l'aveugler.  "J'ai échappé de peu à une amputation", raconte-t-elle à l'audience en disant avoir dû subir deux greffes de peau. Huit jours après les faits, cette fille de policière avait déposé plainte.

"Un déchainement de violences". Le procureur de la République Antoine Berthelot a condamné "une mise en scène perverse", accompagnée par "un déchainement de violences". Il a requis 140 heures de travaux d'intérêt général (TIG) contre cinq des prévenus et, contre les deux auteurs des coups, 210 heures de TIG et 1.000 euros d'amende. Les prévenus, tous engagés dans des études supérieures de bon niveau, faisaient profil bas devant la justice au tribunal. "Ces jeunes gens de bonne famille ont reproduit bêtement des traditions qui existent dans des établissements de prestige comme Faidherbe", a avancé l'avocat des prévenus, Me Philippe Vignon. "Ils n'ont inventé "ni le KB, ni le 69". 

L'association a depuis été dissoute. La victime dit poursuivre "normalement" ses études supérieures. Le jugement doit être rendu le 12 novembre.