La laïcité s'invite chez les nounous

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Assiya Hamza avec Guillaume Cahour , modifié à
Les assistantes maternelles pourraient être amenées à s'engager à rester neutre à leur domicile.

C'était il y a deux ans. Une employée était licenciée de la crèche baby loup, dans les Yvelines, pour avoir refusé de retirer son voile sur son lieu de travail. Cette fois, c'est par le Sénat que la question de la laïcité dans la petite enfance s'invite à nouveau dans le débat démocratique. Une proposition de loi, adoptée au sénat en première lecture le 17 janvier, envisage d'étendre le principe de la laïcité dans les structures privées en charge de la petite enfance. 

Que dit le texte ?

Le texte, porté par la sénatrice du Parti radical de gauche de Haute-Garonne, Françoise Laborde, prévoit que les crèches bénéficiant d'une aide financière publique seront désormais "soumises à une obligation de neutralité en matière religieuse". "Toute manifestation ostensible d'appartenance religieuse (tenues, représentations, symboles, discours, prières...)" serait donc exclue.

Seule exception les crèches ne bénéficiant pas d'aides publiques. Ces établissements seront alors autorisés "à apporter, si elles le souhaitent, certaines restrictions à la manifestation de convictions religieuses de leurs salariés qui figureront dans le règlement intérieur".

Mais, parmi ces propositions, l'article 3 cristallise particulièrement les crispations. "À défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l'assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d'accueil d'enfants", dit le texte. Les nounous devront ainsi préciser dans une clause de leur contrat de travail signé par les parents si elles souhaitent observer un rite ou porter un vêtement religieux.

Les parents ne sont pas "aveugles"

Intolérable estiment les principales intéressées. "Croyez-vous que j'ai attendu une loi aussi idiote et ridicule à l'image de ceux qui l'ont proposée pour dire que j'étais voilée (...) Si les parents sont dérangés par ce détail, ils ne me confieront pas leurs enfants et c'est tout ! Les enfants voient mes cheveux, le sourire que je leur donne avec amour et ils m'aiment, pour moi c'est cela le principal", témoigne Tolérance sur le forum Nounous, Taties et Cie.

Pour le collectif Mamans Toutes Egales (MTE), créé en réaction à la loi de mars 2004 sur l'interdiction du voile à l'école, "c'est une loi d'exclusion insupportable car il interdit certaines professions à une catégorie de citoyennes, en raison de leur appartenance religieuse", estime le collectif. La loi "vise une catégorie de la population et une seule, les citoyennes musulmanes, confrontées à une véritable chasse aux sorcières visant à les exclure de l'espace public, social, et allant jusqu'à les contrôler dans le privé", ajoute MTE.

Même son de cloche au Conseil français du culte musulman qui dénonce "une restriction disproportionnée et déséquilibrée de la liberté d’expression et de la liberté de conscience, à des personnes privées qui n’incarnent pas l’Etat. Ces personnes ne peuvent être soumises à l’obligation de neutralité imposée aux fonctionnaires de l’Etat car cela leur interdirait d’exercer effectivement leur liberté d’expression et leur liberté de conscience", déplore le CFCM dans un communiqué.

Une pétition dénonçant une "grave atteinte à nos libertés et à l’esprit, non seulement de la Constitution mais aussi à celui de la Loi de 1905" a été lancée par la Coordination contre le racisme et l'islamophobie. Avec déjà  27.474 signatures, cette organisation espère réunir 10.000 signataires avant l'arrivée de la proposition de loi devant l'Assemblée.

L'auteure se défend de tout islamophobie

Françoise Laborde, elle, se défend d'avoir voulu stigmatiser les musulmanes. Pour la sénatrice PRG, cette proposition de loi est avant tout "un premier pas" vers la mise en place d'un "service public" de la petite enfance. Chaque subvention versée aux assistantes maternelles par le biais de la Caisse d'Allocations familiales ou aux parents, notamment par les déductions des frais de garde de leur déclaration de revenus, justifie l'extension du principe de neutralité déjà présent dans les structures publiques.

"Ce n’est pas mon envie d’interdire le voile chez les assistantes maternelles", affirme sur Europe 1, la sénatrice PRG François Laborde en soulignant qu'on l'accuse à tort "d'islamophobie". "La philosophie de cette loi, c’était de mettre à égalité tous les systèmes de garde d’enfants", précise Françoise Laborde.

"Dans cette loi, on met simplement que si la personne veut afficher sa religion, le parent doit être au courant. S’il n’y a rien d’inscrit dans le contrat de travail, il y a une obligation de neutralité. A aucun moment, ça n’empêchera une personne musulmane pratiquante d'avoir l’agrément", prévient Françoise Laborde. "Je crois qu’on a un peu de mal à comprendre cette proposition de loi parce que la religion la plus marquée visuellement est la religion musulmane.  A aucun moment je n’ai prononcé de termes islamophobes et à aucun moment dans ma proposition de loi vous ne retrouverez une stigmatisation d’un groupe de personnes en particulier", ajoute la sénatrice Laborde en précisant qu'il est également question des "témoins de Jéhovah" ou de personnes de "religion juive".

"Le parent doit être au courant" :

Le PS ne votera pas le texte à l'Assemblée

Reste que la proposition divise dans les rangs même de l'opposition. Les sénateurs Europe-Ecologie-Les Verts ont voté contre, les sénateurs communistes se sont abstenus. Et si la plupart des sénateurs socialistes ont voté pour, le porte-parole du parti socialiste, Benoît Hamon, a d'ores et déjà annoncé que l'article 3 ne serait pas voté par le groupe de Jean-Marc Ayrault lors de son passage à l'Assemblée nationale.

"En expliquant que demain, dans le cadre d’un contrat privé, une femme voilée ne peut pas exercer le travail d’assistante maternelle à domicile, non seulement je pense que c’est inconstitutionnel, et que ça ne passerait pas le cap de l’examen par le Conseil Constitutionnel, mais c’est de surcroit avoir une représentation brouillée de ce qu’est le rôle de la République et de l’application de la laïcité", expliquait-il sur Radio Pluriel vendredi dernier.

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