L'Eglise a-t-elle des bâtiments vides ?

Un couvent de Bénédictines.
Un couvent de Bénédictines. © MAXPPP
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Alcyone Wemaere, avec Arthur Helmbacher , modifié à
ZOOM - Cécile Duflot l'a laissé entendre lundi. Qu'en est-il vraiment ?

L'Eglise est-elle à la tête d'un patrimoine immobilier en partie vacant ? La ministre du Logement Cécile Duflot l'a clairement sous-entendu lundi en appelant l'institution à mettre ses immeubles vides à disposition de l'Etat et des associations en vue de loger des familles et des gens qui en ont besoin.

>> A quoi fait référence la ministre ? L'Eglise dispose-t-elle réellement de nombreux bâtiments inoccupés ? Europe1.fr a mené l'enquête.

• Les endroits auxquels pense Cécile Duflot :

Cécile Duflot

Quels sont ces immeubles vides appartenant à l'Eglise évoqués par la ministre du Logement ? Devant les journalistes, Cécile Duflot n'a fait référence qu'au seul diocèse de Paris : "il semble que l'archevêché de Paris possède des bâtiments quasi vides. Je viens donc de leur écrire pour voir avec eux comment utiliser ces locaux", a-t-elle ainsi déclaré. Son entourage assure que la ministre a des lieux précis en tête… mais refuse de dire lesquels.

Des "révélations récentes de la presse" ont toutefois été évoquées… Une allusion évidente à un article du Canard enchaîné daté du 14 novembre. L'hebdomadaire satirique y dressait la liste de tous les biens immobiliers de Paris appartenant à des communautés religieuses et, selon le journal "le plus souvent aux trois quarts vides."

Et le Canard Enchaîné de citer, entre autres, les quelques sœurs et pères des Sacrés-Cœurs-de-Jésus-et-de-Marie-et-de-l'Adoration se partageant dans le 12ème arrondissement, 2,3 hectares avec sept nonnes de l'Enfant-Jésus-du-Puy et une vingtaine d'étudiants ment. Autre exemple : la trentaine de religieuses de l'ordre des Franciscaines Réparatrices de Jésus-Hostie vivant dans plusieurs milliers de mètres carrés vides dans le 17ème arrondissement de Paris. (Reprenant la liste du Canard Enchaîné, Rue 89 a en a fait une carte)

Les informations du Canard Enchaîné sont-elles la seule source de Cécile Duflot ? Joint par Europe1.fr, Jean-Baptiste Eyraud, le président de Droit au logement - dit "espérer" que "les services de l'Etat" ont travaillé en amont et que la ministre a "plus d'informations que cela". Le DAL, qui pense à ouvrir prochainement sur son site un espace participatif pour recenser tous les locaux vacants, n'a, pour l'instant, pas formellement connaissance d'endroits vides appartenant à l'Eglise même si "c'est très clair qu'à Paris il y en a".

Connu pour réquisitionner régulièrement des immeubles laissés à l'abandon, le collectif Jeudi Noir, également joint par Europe1.fr, n'a pas le souvenir d'avoir déjà investi un bâtiment vacant "lié à l'Eglise" mais "cela aurait tout à fait pu arriver".

• Un recensement complexe :

Le milieu associatif dispose de peu de données quant aux bâtiments vacants dont disposerait l'Eglise. Ce n'est pas étonnant : l'Eglise elle-même semble peiner à faire un état des lieux. Surtout, il faut distinguer les églises et les paroisses, qui relèvent directement du diocèse, des congrégations religieuses (qui composent l'intégralité de la liste du Canard Enchaîné).

Ces dernières - les Bénédictins, les Franciscaines, les Capucins, les Petites sœurs des pauvres… - sont en effet "indépendantes" comme on le souligne au diocèse de Lyon, autre grande ville en proie au mal logement, joint par Europe1.fr. "Chaque congrégation est propriétaire des locaux dont elle a l'usage, et les diocèses ne les gèrent pas", peut-on d'ailleurs lire dans l'analyse des comptes des diocèses de 2011 rendu public par la Conférence des évêques de France. De quoi se demander si Cécile Duflot a bien fait de s'adresser au diocèse de Paris…

Au-delà du "qui gère quoi ?" se pose une autre question : que faut-il entendre par "bâtiments vides" ? D'après toutes les sources interrogées par Europe1.fr, les bâtiments complètement abandonnés semblent être l'exception plutôt que la règle, dans les grandes villes du moins. C'est vrai pour les biens à usage pastoral - le culte, la catéchèse… - "indispensables à l'annonce de l'Evangile" selon la Conférence des évêques de France.

C'est également le cas pour "les biens à usage des congrégations", des lieux de vie où, comme on peut le déduire à la lecture du Canard Enchaîné, les bâtiments sont plus "sous employés" - avec un taux d'occupation parfois très faible - que réellement "vides". "A ma connaissance, il n'y a pas d'immeubles vides dans le diocèse de Paris", a d'ailleurs assuré Charles Gazeau, délégué épiscopal pour la solidarité au diocèse de Paris lundi midi sur Europe1.

• L'Eglise met en avant sa "bonne volonté" :

Ces dernières années, l'Eglise a plutôt eu tendance à se délester de ses biens immobiliers peu ou pas utilisés, comme on peut le lire dans "La grande braderie" de Marc Payet. Un hôtel particulier parisien a ainsi été vendu à l'émir de Bahreïn pour la somme spectaculaire de 66 millions d'euros. Une vente validée par le Vatican à la condition que son produit soit consacré au financement de l’enseignement catholique. Car l'Eglise se montre très vigilante, d'après Marc Payet, envers ses transactions immobilières.

Quelques heures après la sortie de Cécile Duflot, le Secours Catholique, l'Archevêché de Paris et la Conférence des religieux et des religieuses de France mettaient d'ailleurs en avant, dans un communiqué commun, la finalité de certaines des ventes immobilières de l'Eglise. Etait notamment citée cette aile de 1.000 m2 du  monastère de Notre-Dame de Jouarre, en Seine-et-Marne, cédée pour être transformée en 26 logements de réinsertion sociale qui seront bientôt ouverts par le Secours Catholique.

Mais le Secours Catholique, l'Archevêché de Paris et la Conférence des religieux et des religieuses de France ont aussi tenu à mettre les choses au point de manière générale : "l’Eglise n’a pas attendu la menace de réquisition brandie par la ministre Madame Duflot pour prendre des initiatives", peut-on ainsi lire dans le communiqué. Tout en rappelant que "la responsabilité de l’hébergement repose sur l’Etat, non sur les associations", le communiqué recense ainsi plusieurs initiatives de l'Eglise en faveur des mal logés et rappelle que l’opération "Hiver solidaire" menée depuis 5 ans dans les paroisses de Paris vise précisément à l'accueil des exclus.

"Tous les ans "Hiver solidaire" progresse et cette année ce sont 26 paroisses qui hébergent des gens en créant du lien", a fait valoir le délégué épiscopal pour la solidarité au diocèse de Paris sur Europe1. Du côté du diocèse de Lyon, on souligne que sur les 800 places pour sans-abris trouvées l'an dernier dans le cadre du plan froid, 200 "venaient de l'Eglise" grâce, notamment, à la mise à disposition de la maison diocésaine Saint-Irénée.