François Debré, le fils maudit

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Prévenu dans le procès Chirac, le frère de Jean-Louis et fils de Michel, détonne avec sa famille.

Quand il prend la parole, d’une voix faible mais élégante, on croit entendre son frère Bernard. Pas de doutes, et ses traits sont là pour le confirmer, François est bien un Debré. Cette famille qu’il a rejetée, professionnellement, idéologiquement et socialement, mais qu’il n’a jamais pu vraiment quitter.

L’homme qui s’est exprimé à la barre mardi lors du procès Chirac, pour répondre d’un emploi fictif, n’a pas la présence physique de ses frères, les jumeaux Jean-Louis, président du conseil constitutionnel, et Bernard, urologue réputé et député de Paris. Car le deuxième fils de Michel Debré, Premier ministre sous le Général de Gaulle, aujourd’hui âgé de 69 ans, d’une minceur à la limite de la maigreur, que ne parvient pas à cacher son costume gris-sombre, est un homme marqué par la vie.

"Chez nous, on ne parle de rien"

Marqué, surtout, par l’usage de drogues. L’opium et ses dérivés, François Debré les a rencontrés à la fin des années 1960 et lors des années 1970, lors de ses nombreux voyages en Asie du Sud-Est où il couvre les conflits qui déchirent la région. Car au rebours de ses frères et de son père, le fils rebelle des Debré délaisse la chose publique pour le journalisme. Au Cambodge ou au Vietnam, il gagne ses galons de grand reporter. Il remporte même le prix Albert Londres en 1977 pour un essai sur les khmers rouges intitulé Cambodge, du rêve à la réalité.

Mais les honneurs ne sont pas les seules choses qu’il ramène d’Asie fin 70’s. Dans ses valises, François Debré rapporte une addiction aux opiacés, donc, mais aussi des angoisses nées des scènes de guerre auxquelles il a assisté. Le jeune homme qui fréquentait les "gauchistes" du Quartier Latin, alors que son ancien Premier ministre de père est détesté et moqué par ses camarades, est désormais un homme dans la force de l’âge, mais tourmenté. Et il ne peut pas compter sur l’appui de sa famille. "Chez nous, personne ne s’immisce dans les histoires des autres. On ne parle de rien, ni d’argent, ni de sexe, ni de drogue, ni de politique", affirmait-il en 1998 dans Libération, pour décrire une famille de taiseux, menée d’une main de fer par Michel Debré, un père forcément encombrant. 

La mort de sa femme rompt le fragile équilibre

Tant bien que mal, et même plutôt bien, François Debré poursuit sa carrière de journaliste, tout en restant accroc aux drogues dures. A partir de 1977 et jusqu’en 1985, il est grand reporter pour TF1. Il couvre notamment la destitution de Bokassa en Centrafrique ou la montée en puissance de Solidarnosc en Pologne. En 1988, il est nommé rédacteur en chef adjoint d’Antenne 2, en charge des magazines de la chaîne. Parallèlement, il écrit deux romans, Le livres des égarés, sélectionné au prix Goncourt en 1981, et Les fêtes d’automne.

Mais ce fragile équilibre vole en éclat en 1988, au décès subi de son épouse Ondine, la mère de ses deux filles, d’une rupture d’anévrisme. Rien à voir avec la drogue donc, mais François Debré, qui l’avait "initiée" aux "plaisirs" de l’opium, en nourrira une culpabilité qui ne le quittera plus. "Sa mort, je l’ai vécue comme une sanction", confiait-il dans Libération. A tel point qu’il fait mourir d’une overdose la femme de Bertrand, personnage principal de son roman quasi-autobiographique, Trente ans de solitude, paru en 1998.

"Il est seul en Touraine"

Cet ouvrage, son dernier en date, François Debré l’a écrit à la sortie de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne, où il avait été interné à la demande de sa famille, mais contre son gré. "J’y allais toutes les semaines", nous assure Bernard Debré, son frère cadet. "Mais j’ai appris que les drogues arrivent dans les cellules de Sainte-Anne. Je l’ai fait sortir au bout d’un certain temps, et on a pris d’autres mesures". Cette hospitalisation de près d’un an aura été l’aboutissement funeste de ses nombreuses années d’errance, d’excès et d’addiction.

Depuis sa sortie de l’hôpital, François Debré est des plus discrets. "Il est seul en Touraine, à part moi, il n’a quasiment plus aucun rapport avec le reste de la famille. Sauf, évidemment, avec ses deux filles", décrit Bernard Debré. Mais, glisse-t-il, "il ne s’en sort pas trop, trop mal, il nous a déjà fait beaucoup plus peur". Au sujet du deuxième des quatre frères Debré, il nous confie aussi : "j’aurais beaucoup aimé qu’il écrive, car c’est quelqu’un de très intelligent". Mais, raconte encore celui qui est lui-même député de Paris, "il se contente de vivre en retraité". Le présent des excès passés ? "Il ne touche plus à la drogue".

"Faire plaisir à mon père"

François Debré lui n’évoque plus publiquement cette toxicomanie qui l’a accompagné et le poursuit encore aujourd'hui. Même mardi, lors de son audition au procès Chirac. Lui a juste évoqué des "problèmes personnels" pour expliquer pourquoi il avait sollicité, en 1993, Jacques Chirac, grand ami de son frère Jean-Louis, mais qu’il ne connaissait pas. "Je ne l’ai rencontré qu’à trois ou quatre reprises", a-t-il affirmé devant le tribunal, au cours d’une audience où chacun a reconnu que le prévenu devait son embauche à son patronyme. Tout en niant l’aspect fictif de la mission sur la communauté asiatique de paris qui lui était confiée. C’est finalement son avocat qui évoquera la "toxicomanie" de son client pour expliquer, aussi, les nombreux arrêts maladie qui ont émaillé les cinq ans de son contrat de chargé de mission à la mairie de Paris.

Lui-même convient que son embauche relevait d’"un désir de faire un geste aimable" de la part de Jacques Chirac. Aux enquêteurs, pendant l’instruction, il avait aussi fait part d’une impression diffuse : que le maire de Paris de l’époque voulait "faire plaisir à son père, inquiet à son sujet". Chez les Debré, même discrète, la famille n’est jamais très loin.