Physiques ou psychiques, les bienfaits étonnants du juron

L'artiste Javier Calleja durant la Foire Internationale d'Art Contemporain à Madrid en 2011
L'artiste Javier Calleja durant la Foire Internationale d'Art Contemporain à Madrid en 2011 © DOMINIQUE FAGET / AFP
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A.H.
Selon le Guardian, une étude présentée jeudi à Brighton affirme qu'un langage injurieux rend plus fort. Et si ce n'était pas le seul effet des jurons?

Vous peinez à terminer votre footing ? À grimper une cote ? Lâchez un bon juron ! Proférer des insultes de manière répétée durant un exercice physique améliorerait la performance. C'est en tout cas la conclusion d'une étude réalisée par des chercheurs britanniques et présentée ce jeudi à la célèbre et très sérieuse British Psychological Society. Selon le Telegraph, cette nouvelle découverte va dans le sens de multiples études menées ces dernières années, louant les vertus de la "violence dans le vide". Car, si les scientifiques n'incitent pas à s'insulter les uns les autres, nombreux sont ceux qui suggèrent qu'un bon petit juron prononcé de temps en temps dans le vide peut vous faire le plus grand bien.

Jurer pour améliorer les performances physiques et l'endurance. Selon l'étude présentée jeudi par l'équipe du docteur Richard Stephens, spécialiste britannique en psychobiologie, une expérience menée sur 81 individus âgés de 19 à 21 ans montre que des personnes ayant répété des insultes durant l'épreuve d'effort ont fait preuve d'une force supérieure à celles qui avaient répété des mots "neutres. Pour l'équipe de chercheurs, l'enjeu est désormais de comprendre comment une telle relation de cause à effet est possible.

" Le fait d'insulter de manière modérée peut être une manière de soulager rapidement et facilement la douleur "

Des insultes pour apaiser la la douleur. Il y a quelques années, le même Richard Stephens démontrait déjà l'existence d'une corrélation positive entre insultes et tolérance à la douleur dans une étude publiée dans le Journal of Pain, revue scientifique américaine. Dans cette étude datant de 2009, le psychobiologiste suppose que faire preuve de violence orale permet d'augmenter son rythme cardiaque ainsi que sa résistance à la douleur.

Afin de réaliser cette étude, ces chercheurs de l'Université de Keele avaient recruté 64 cobayes volontaires et leur avaient demandé de plonger leur main dans un bac d'eau glacée le plus longtemps possible en répétant le gros mot de leur choix. Ensuite, les cobayes devaient réitérer l'expérience en répétant un mot "neutre" de leur choix. Selon le site de la BBC, les expériences réalisées ont permis de découvrir que jurer permettrait de supporter la douleur deux fois plus longtemps qu'en temps normal. Pour le Docteur Richard Stephens, cette conclusion n'est pas étonnante. Pour lui, "le fait d'insulter de manière modérée peut être une manière de soulager rapidement et facilement la douleur, notamment si l'on est dans une situation dans laquelle une prise en charge médicale ou un recours à des antidouleurs sont impossibles". 

" Il est indéniable que l'émetteur ressent un soulagement, voire un certain plaisir "

Insulter pour libérer ses émotions. Si le recours au juron pourrait ainsi s'avérer bénéfique sur le plan physique, il pourrait également être intéressant sur le plan psychologique. En effet, pour Thimothy Jay, psychologue professeur de psychologie au Massachussets College of Liberal Arts, les mots tabous présentent l’avantage de permettre aux individus de dépasser les interdits et ainsi d'exprimer leur ressenti profond. Cette théorie, exposée dans une étude publiée en 2009 dans la revue américaine Perspective on Psychological Science, définit les insultes comme un facteur de libération morale. Selon l'auteur de l'étude, "les personnes agressives apprennent des jurons et les utilisent ensuite pour exprimer leur agression envers les autres".

Il y a quelques années, lors d'une interview pour le site Atlantico, le professeur de lettres modernes Gilles Guilleron mettait aussi en avant la satisfaction morale que peut amener le juron. Pour l'auteur du Petit dictionnaire des gros mots, "quel que soit le but recherché et selon la nature du gros mot, de l'insulte, il est indéniable que l'émetteur ressent un soulagement plus ou moins intense, voire un certain plaisir".

La vulgarité pour améliorer sa réputation ? La vulgarité est-elle aussi le signe de d'une certaine honnêteté ? Cette conclusion, assez étonnante à première vue, est pourtant formulée à la fin d'une étude très sérieuse et publiée en début d'année, nommée Frankly, We Do Give A Damn. Un groupe de chercheurs américains, composé entre autres de professeurs des universités Cambridge et Stanford, met en avant l'existence d'une relation liant vulgarité et honnêteté. Grâce à la participation de 274 individus et une analyse d'environ 74.000 profils Facebook, cet article affirme que le fait d'incorporer à son discours des insultes serait perçu comme une preuve d'honnêteté. Ceux qui profèrent des jurons gardent moins les choses pour eux, et seraient en quelque sorte moins hypocrite. Leur vulgarité ne rebute-t-elle pas ?

En s'appuyant sur le fait que l'honnêteté et l'authenticité représentent des traits de caractère vus comme des qualités, les chercheurs concluaient qu'avoir un langage plus grossier que la moyenne provoquerait une meilleure intégration sociale. Selon les chercheurs, "les expériences menées montrent que les insultes sont publiquement associées à moins de mensonge et moins de déception sur le plan relationnel". 

Jurer afin de désamorcer une crise. Si proférer des insultes dans le vide semble ainsi bénéfique sur le plan individuel, en prononcer face à quelqu'un pourrait également être fructueux dans certaines situations. En effet, selon Dominique Lagorgette, professeure en sciences du langage et membre de l'Institut Universitaire de France, l'insulte pourrait générer des crises mais aussi en désamorcer quelques unes. Afin de justifier le fait qu'insulter son interlocuteur puisse être une attitude pacifiste, Dominique Lagorgette avance que proférer une insulte permettrait de purger une tension dans une forme de violence verbale, qui éviterait ainsi une dérive brutale et physique. Etre injurieux pourrait ainsi revenir à gérer son énervement de manière morale, et mènerait par conséquent à moins de conflits physiques. La condition ? Elle doit se prononcer à la fin d'un conflit sur le point de dégénérer, juste avant le passage à une éventuelle violence physique. Pour la professeure, "l'insulte peut suffire à réparer un outrage, du moment qu'elle est publique et qu'elle clôt l'échange langagier". En clair, insulter votre interlocuteur au milieu d'un simple désaccord n'aura pas vraiment l'effet escompté.