Un couple, du cambouis et un boom : voici l'histoire du gel hydroalcoolique

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David Castello-Lopes, édité par , modifié à
Dans l'émission "Historiquement vôtre" sur Europe 1, le journaliste David Castello-Lopes revient sur l'origine du gel hydroalcoolique. Incongruité hygiéniste il y a quelques années, cette solution est devenue, avec l'épidémie actuelle de coronavirus, un instrument indispensable en matière de santé publique.

Le journaliste David Castello-Lopes, dans l'émission Historiquement vôtre sur Europe 1, revient tous les jours sur les origines d'un objet ou d'un concept. Mercredi, il remonte à la naissance de notre nouveau meilleur ami en société à cause de l'épidémie de coronavirus. D'où vient le gel hydroalcoolique ? À quoi servait-il au départ ? Pourquoi a-t-il cartonné soudainement il y a près de 20 ans ? Voici l'histoire d'un produit devenu indispensable à l'humanité cette année.

"Il y a une catégorie de personnes à laquelle je pense beaucoup depuis le début de la pandémie : les gens qui utilisaient déjà du gel hydroalcoolique avant. Vous savez, ces gens qui sortaient leur petite fiole à chaque fois qu’ils touchaient une poignée de porte. Ils se frictionnaient les mains avec une tête un peu pincée et nous, les gens normaux, les regardions en nous disant 'Dieu que leur sexualité doit être complexe'. 

Quid des "pionniers" du gel ?

Aujourd'hui, donc, je pense à ces gens. Ces gens qui ont vu leur goût de niche pour le gel hydroalcoolique devenir l’une des passions les plus partagées de l’histoire de l’humanité en quelques mois. Il y en a certainement qui doivent être un peu énervés. Quand ils marchent dans la rue, il n'y a rien qui permet de savoir que ce sont des aristocrates pionniers du gel hydroalcoolique, qui les distingue de la masse de ceux qui ont commencé à utiliser du gel hydroalcoolique il y a trois semaines.

Ils doivent se sentir comme nous quand on est fan d’un écrivain obscur qui, soudain, devient ultra populaire et qu’on a l’impression qu’on nous a volé une partie de notre identité. On a envie de hurler à tout le monde 'Guillaume Musso, je le connaissais avant qu’il soit connu, ok !'. C'est pareil pour les amateurs de gel hydroalcoolique : ils doivent avoir envie de hurler 'Moi, le gel hydroalcoolique, j’aimais ça avant que ce soit cool !'. Certains doivent malgré tout être un peu contents. Peut-être qu’il y en a même quelques-uns qui ont le deuil léger.

Quand j’étais petit, il n'y avait pas de gel hydroalcoolique. Maintenant, il y en a partout. Qu’est-ce qui s’est passé ? Alors la préhistoire du gel hydroalcoolique revient, très simplement, à l’alcool. On s’est rendu compte, au 19e siècle, qu’il pouvait tuer les bactéries. Il pouvait d’ailleurs les tuer d’une façon assez sympa, non pas en les rendant malades, mais en dissolvant la peau de la bactérie.

Succès fou auprès des garagistes

Pourtant, l'alcool n'est pas l'idéal pour les mains, car il les rend toutes sèches. À partir des années 1960, plusieurs personnes dans le monde ont eu l’idée de mélanger de l’alcool à d’autres trucs et notamment à du gel. Il y a donc plusieurs histoires concurrentes, dont celle de l’entreprise américaine qui a mis le gel hydroalcoolique dans le quotidien des gens : GOJO, créée par un couple composé de Goldie ('Go') et Jerry ('Jo').

Le premier produit inventé, en 1946, est une substance qui permettait aux garagistes d’enlever le cambouis qu’ils avaient dans les mains. C'est Jerry qui allait démarcher les garagistes et avant de leur serrer la main, il se mettait un peu de produit dans la paume. Quand le garagiste enlevait sa main, il y avait dessus comme une petite clairière de propreté.

Pourquoi il explose en 2002

GOJO a inventé plein d'autres savons. Un jour, ils se sont dit : 'Tiens, parfois c’est relou pour les infirmières de se laver les mains avec du savon et de l’eau. Et si on proposait un produit trop bien qui remplace ça, ça te dit ?'. En 1988, ils ont donc sorti leur premier gel hydroalcoolique sous le nom de Purell. Ce fut un flop total et absolu. Personne ne l’achetait, ni les hôpitaux ni les gens.

Jusqu’en 2002. Cette année-là, il y a eu un véritable coup de tonnerre. Le Centers for Disease Control and Prevention, l’organisme chargé de dire ce qui est bien et ce qui n'est pas bien en matière de santé aux États-Unis, annonce que les gels hydroalcooliques marchent mieux que le savon pour tuer la plupart des bactéries et des virus. Un avis appuyé sur les différentes études qu’ils ont menées.

Le Purell explose alors, non seulement dans les hôpitaux mais aussi chez les gens. C'est depuis cette période du début des années 2000 qu’on le voit un peu partout dans les pharmacies. Je peux vous le dire maintenant : quand je parlais de ces gens qui mettaient du gel hydroalcoolique avant l’épidémie de coronavirus… C'était moi."