amour je t aime 5:52
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Catherine Blanc
Mardi, dans "Sans Rendez-Vous" sur Europe 1, la psychanalyste et sexologue Catherine Blanc répond à Fabrice. Cet auditeur de 38 ans raconte avoir eu plusieurs relations dans sa vie, dont des longues, mais il se rend compte qu'il n'a jamais dit "je t'aime" à aucune de ses partenaires. Il se demande si cela est normal ou non.

Dire "je t'aime" à l'autre pour la première fois dans une relation est toujours un moment très particulier et souvent marquant. Dans "Sans Rendez-vous", la sexologue et psychanalyste Catherine Blanc tente de comprendre ce qui nous pousse à dire, ou non, cette formule célèbre.

La question de Fabrice

"J'ai 38 ans et eu plusieurs relations dans ma vie, plus ou moins longues, et je me suis rendu compte que je n'ai jamais dit 'je t'aime' à une fille. Est-ce normal, ou le problème vient-il de moi ?"

La réponse de Catherine Blanc

"La question n'est pas tellement le manque d'amour pour l'autre, mais potentiellement la difficulté qu'on a d'exprimer ou de s'accorder la légitimité de ses sentiment. Se pose aussi la question de l'impact que ça ferait de dire 'je t'aime' à l'autre.

L'autre n'a-t-il quand même pas besoin de l'entendre ?

L'autre a besoin, ou parfois peur aussi. Quand on vous dit 'je t'aime', ça donne une certaine responsabilité personnelle quand à aimer en retour. C'est toujours difficile, parce que quand on entend 'je t'aime', on peut aussi entendre 'est-ce que toi tu m'aimes ?' Donc souvent, chacun s'arrange avec son envie.

Dire "je t'aime", c'est se mettre à nu...

Exactement, on parle vraiment de soi et on se met dans la proposition à l'autre pour savoir s'il partage ce même élan. Chacun se regarde et le premier qui a parlé a perdu. Donc c'est une sorte de bras de fer assez curieux.

C'est souvent un passage important, qui marque en tout cas...

Certains de mes patients imaginent que dire 'je t'aime' est une expression de faiblesse, car justement c'est s'exposer à l'autre et à sa non capacité à partager ou à évoquer le même sentiment. Pourtant, c'est un pouvoir de pouvoir dire 'je t'aime'. C'est-à-dire que je suis en capacité de ressentir ça.

Donc à la question de savoir si le problème vient de lui, déjà, il n'y a pas de problème à le dire ou à ne pas le dire. On n'est pas obligés de le dire. On n'est pas obligés de se contraindre si on est dans une relation dans laquelle on est bien, ou de se contraindre à l'amour si on ne le ressent pas. Se priver de le dire par peur des conséquences, par peur du non partage, de l'idée d'un jugement de l'autre ou du pouvoir de l'autre sur soi, comme si on était affaiblit car plus en demande, plus en attente, plus dépendant de l'autre, c'est oublier qu'être en capacité de dire 'je t'aime', c'est être en capacité de verbaliser ses émotions. C'est l'expression d'un pouvoir, d'une tranquillité, d'une légitimité que l'on s'accorde, qu'importe que l'autre y participe ou non. On parle de nous et de nous seulement. Et ça, c'est une chose merveilleuse.

Les femmes ont-elles plus besoin d'entendre "je t'aime" que les hommes ?

Non, je crois vraiment que tous les individus ont besoin d'entendre 'je t'aime', comme tous les individus ont besoin d'être caressés. On est tous issus d'un ventre qui nous a caressé. On a tous eu des parents qui nous ont accompagné et qui nous ont fait grandir, grâce au regard qu'ils posaient sur nous et aux témoignages d'amour, ou au contraire dans la défaillance de ces témoignages d'amour. Donc nous avons tous besoin de ça. Après, nous nous interdisons plus ou moins de choses et certainement que les hommes se sont beaucoup entendus dire qu'ils pouvaient être autonomes, qu'ils n'avaient pas à s'attarder sur des sentiments, ou que l'émotion était peut-être quelque chose qui pouvait être fragilisant, quand les filles étaient plus invitées ou plus autorisées à dire, ressentir ou revendiquer.

Quand on pense que les femmes ont plus besoin, comme d'ailleurs votre question le suggère, d'entendre 'je t'aime', c'est penser que sinon elles sont fragilisées, qu'elles sont des petites choses et que le 'je t'aime' de l'homme va tout d'un coup leur donner un peu de densité. C'est aussi penser que l'homme serait autonome et n'en aurait pas besoin. Dans la réalité, nous en avons tous besoin, c'est délicieux de se sentir aimé.

Faut-il bien choisir son moment pour dire "je t'aime" ? On ne va pas faire ça dans les rayons d'un supermarché...

Je ne suis pas d'accord. On n'est pas obligés de mettre tout un cérémonial pour dire 'je t'aime'. Ce qui nous fait peur, c'est que ça mette de la pression à l'autre et que l'autre ne puisse pas relever cette pression et répondre : 'moi aussi, je t'aime.' C'est comme la grande déclaration en public : 'veux-tu m'épouser ?' Si on ne sait pas d'avance que l'autre va dire oui, c'est quand même risqué pour soi et risqué pour l'autre, qui, par souci de protection, risque de dire oui alors qu'il ou elle ne le pense pas forcément. Les lieux n'ont pas d'importance. L'important, c'est le moment où on est soi-même en tranquillité.

A chacun son rythme finalement...

Bien sûr, c'est pour ça que ce n'est pas le lieu qui compte. C'est comme quand on dit 'on n'embrasse pas la première fois' ou 'on ne couche pas la première fois'. Il n'y a pas de règle. Il y a seulement un moment où on est prêts à se déclarer et à faire face à ce que l'autre pourra ou ne pourra pas répondre."