Edouard Philippe a annoncé aux syndicats le retrait provisoire de l'âge pivot.
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et Jean-Rémi Baudot , modifié à
Dans un courrier transmis aux organisations syndicales, le gouvernement a annoncé le retrait de l'âge pivot, mesure la plus contestée de son projet. Il laisse aux syndicats le soin de trouver une solution de substitution... et se réserve le droit de trancher si aucun accord n'est trouvé.

"Je suis disposé à retirer du projet de loi la mesure de court terme que j'avais proposée, consistant à converger progressivement à partir de 2022 vers un âge d'équilibre de 64 ans en 2027." Voici ce qu'a écrit, samedi, Edouard Philippe aux organisations syndicales. Le Premier ministre a donc acté le retrait, pressenti jusqu'ici, de la mesure la plus contestée du projet de réforme des retraites, également appelée "âge pivot". Une décision concertée, fait-on valoir à Matignon. Le Premier ministre et Emmanuel Macron "se sont parlé [vendredi] soir", indique-t-on. Des "échanges" ont également eu lieu avec la majorité.

"Impératif équilibre du système des retraites"

Cet âge d'équilibre reporte dans les faits l'âge de départ à la retraite à 64 ans, en prévoyant une décote pour ceux qui choisiraient de partir plus tôt. Il était donc critiqué par tous les syndicats, y compris les plus réformistes comme la CFDT et l'Unsa. Ces derniers, qui n'ont pas immédiatement rallié le mouvement de protestation contre la réforme des retraites, ont répété à plusieurs reprises que l'âge pivot constituait pour eux une "ligne rouge" à ne pas franchir. Mais qu'ils étaient disposés à cesser tout débrayage si cette mesure était retirée.

Dans la lettre transmise aux syndicats, Edouard Philippe reste cependant très ferme sur le principe : il faudra quoi qu'il arrive une mesure pour assurer "l'impératif équilibre du système des retraites". Un impératif qui sera, rappelle-t-il, "inscrits dans le projet de loi". Mais il accepte le principe d'une conférence sur l'équilibre et le financement des retraites, comme l'avait proposé le leader de la CFDT, Laurent Berger. Cette conférence "remettra ses conclusions d'ici à la fin du mois d'avril 2020", et se déroulera donc en parallèle de la discussion de la loi au Parlement. L'exécutif propose qu'elle soit animée par Jean-Jacques Marette, ancien directeur général de l'Agirc-Arrco.

Un cadre contraint pour trouver des solutions de substitution

En attendant, "pour démontrer sa confiance envers les partenaires sociaux", Edouard Philippe accepte de retirer la mesure de l'âge pivot. "Si, comme je l'espère, un accord intervient au sein de la conférence d'ici à fin avril, le Parlement pourra en tenir compte lors de la seconde lecture et le gouvernement prendra une ordonnance transcrivant cet accord dans la loi." Du côté de Matignon, on met en avant qu'il s'agit du "compromis qu'on souhaitait". "Le Premier ministre fait un pas. [Laurent] Berger aussi en acceptant que [la notion d']équilibre soit dans le projet de loi, et pas après". 

En revanche, si aucun accord ne sort de cette conférence, il faut s'attendre à un rétablissement de l'âge pivot, ou à tout le moins d'une mesure substitutive, l'exécutif se donnant la possibilité de "prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour atteindre l'équilibre d'ici à 2027". "Je veux être parfaitement clair sur ce point", écrit le Premier ministre. "Je prendrai mes responsabilités."

Le cadre des syndicats est également très contraint. Car Edouard Philippe pose une condition : la mesure de substitution à l'âge pivot ne devra "entraîner ni baisse des pensions, ni hausse du coût du travail". Alors que Laurent Berger a toujours été partisan d'une augmentation des cotisations, cet argument pourrait donc lui être opposé pour refuser cette option. Une augmentation des cotisations "c'est moins de pouvoir d'achat pour les salariés et plus de charges pour les patrons, ça tuerait l'économie", avait prévenu le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, au mois de décembre.

Des réactions contrastées

L'annonce du retrait de l'âge pivot a immédiatement, et sans surprise, été bien accueilli par la CFDT. Le syndicat a "salué" cette décision, preuve selon lui de "la volonté de compromis du gouvernement". La centrale de Laurent Berger s'est dit prête à "poursuivre les discussions dans le cadre proposé". De son côté, le secrétaire général de l'Unsa, Laurent Escure, s'est également réjoui d'une "bonne chose" qui "permet de discuter sereinement de l'équilibre". "Cela va permettre d'avancer sur le reste de la réforme, pour obtenir des compensations, des garanties, des avancées."

Et revanche, et là non plus cela ne surprendra personne, ni la CGT ni FO n'ont été convaincues. "L'âge pivot est un leurre", a balayé Philippe Martinez, leader de la centrale de Montreuil. Pour Yves Veyrier, son homologue de FO, ce retrait reste néanmoins "le produit de la mobilisation".

À Matignon, on garantit que ce retrait n'était pas prévu depuis le départ. "On a mis [l'âge pivot dans le projet] parce que c'était la mesure la plus juste pour arriver à l'équilibre. On savait que Laurent Berger n'était pas d'accord, mais ce n'était pas un calcul. Si on avait pu s'éviter les blocages..." Blocages qui, néanmoins, ne vont pas totalement disparaître, anticipe-t-on dans l'entourage d'Edouard Philippe. "On part du principe que ça va réussir. Mais la CGT et SUD sont sur d'autres combats que la retraite..." 

Pour l'exécutif, la configuration devrait permettre de voter la réforme à l'été.