Spécial Investigation : "de la chasse à la chaîne"

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Pour abattre un lion en Afrique du Sud, le chasseur déboursera entre 10.000 euros et 50.000 euros. © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
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INTERVIEW - Spécial Investigation diffuse lundi soir sur Canal + un documentaire sur le business des safaris. Sa réalisatrice, Olivia Mokiejewski, nous répond. 

Le documentaire Chasse : Main basse sur la savane (diffusé lundi à 20h55 sur Canal +) ouvre sur une scène de joie. Celle d'Alain qui vient juste d’abattre un lion d’une balle en pleine poitrine. "C’est une belle chasse", lâche ce Toulousain sans trop ressentir de regret. Pour abattre ce fauve, il a signé un chèque de 15.000 euros. Pendant plusieurs mois, la journaliste Olivia Mokiejewski a enquêté sur le business des safaris. Avant la diffusion de son documentaire, elle a accepté de nous répondre.

Pourquoi avez-vous eu envie d’enquêter sur ce business des safaris ?

A chaque fois qu’un homme ou une femme pose sur un cadavre d’animal, le web s’insurge. Pour tout le monde, l’affaire du lion Cecil (tué le mois dernier au Zimbabwe, ndlr) est horrible, le roi d’Espagne (épinglé devant un éléphant mort, ndlr) un salaud de chasseur. Mais j’ai voulu comprendre ce qu’il y avait derrière l’émotion, ce qu’il y avait avant et après la photo et dépasser un peu le clivage pro et anti-chasseurs. Et puis je voulais aussi comprendre ce qu’il se passait dans la tête de ces chasseurs.

Premier constat dans votre documentaire : chassez le lion en Afrique du Sud, c’est en fait légal ?

Totalement. Et c’est légal dans beaucoup de pays. Et pour de très nombreuses raisons, notamment sanitaires et sécuritaires, la plupart des chasses est concentrée en Afrique du Sud. Le pays gagne plus de 100 millions d’euros par an grâce à la chasse, c’est absolument colossal.

Regardez ici les premières minutes du documentaire Chasse : main basse sur la savane

Ce que vous montrez également, c’est l’industrialisation de ces chasses…

Tout est extrêmement bien organisé. C’est de la chasse à la chaîne. Et comme tout autre commerce, la chasse n’échappe pas à la société de consommation. On n’est plus dans l’ère des vieilles chasses aristocratiques où les gens partaient trois semaines à l’aventure dans l’espoir de ramener quelques pièces. Désormais, les touristes les plus fortunés veulent tout et tout de suite. Il reste encore des "chasses à l'ancienne", notamment en Tanzanie. Mais en Afrique du Sud, les chasseurs recherchent surtout des chasses pratiques et rapides. J’ai rencontré des guides de chasse qui me donnaient des exemples édifiants de traders qui venaient pour la journée. Forcément, ils payent très cher et ils veulent ramener un trophée. Et pour leur offrir un trophée, l’Afrique du Sud s’est organisée. Du coup, 80% des lions que vous pouvez voir dans ce pays ne sont plus sauvages, ils sont élevés pour la chasse.

Ces élevages servent donc aussi à préserver des espèces ?

En Afrique du Sud par exemple, ils se sont rendus compte dans les années 1960 qu’il n’y avait plus que 500.000 animaux dans le pays. Du coup, ils ont décidé d’élever des animaux dans des immenses fermes. L’avantage, c’est que certaines espèces ont été clairement protégées grâce à cette industrialisation de la chasse. Mais d’un autre côté, ils ont aussi bouleversé la nature, en sélectionnant génétiquement les animaux d'une même espèce pour avoir de meilleurs trophées, en réduisant aussi des animaux sauvages à des animaux presque domestiqués. Le beau lion a perdu de sa superbe, il est chassé comme un vulgaire poulet.