hélène lam trong 6:45
  • Copié
Tiffany Fillon , modifié à
Ils ont grandi au milieu des bombes en Syrie mais sont Français. La plupart sont âgés de moins de six ans et n'ont pas choisi d'aller vivre dans les camps de Daech. Dans le documentaire Daech, les enfants du soupçon, diffusé mardi soir sur France 5, Sophie Parmentier de Hélène Lam Trong se penchent sur ces enfants de parents radicalisés, qui les ont emmenés vivre sous Daech, en Syrie. Invitée dans "Culture médias", mardi, Hélène Lam Trong a brossé le portrait de ces enfants, victimes collatérales du terrorisme.
INTERVIEW

Ils ont, pour la plupart, moins de cinq ans. Ils sont Françaises et Français et vivent à même le sol dans la poussière des camps syriens. Leurs parents ont fait un choix mortifère : celui de rejoindre les rangs de Daech. Qui sont ces enfants témoins de l'horreur en Syrie ? La reporter Hélène Lam Trong a brossé leur portrait mardi dans "Culture médias", en attendant la diffusion mardi soir à 20h50 sur France 5 du documentaire qu'elle a réalisé avec Sophie Parmentier, intitulé Daech, les enfants du soupçon. 

Durant dix huit mois, les deux journalistes ont suivi trois familles : des grands parents qui tentent de faire revenir leurs petits enfants en France ou encore une mère revenue de Syrie avec ses deux enfants dont elle tente de récupérer la garde en attendant son procès. Aujourd'hui, 300 enfants sont encore retenus dans des camps syriens ou des prisons irakiennes. C'est leur histoire qu'Hélène Lam Trong et Sophie Parmentier ont décidé de raconter dans Daech, les enfants du soupçon

"Ces enfants sont des petits Français rattachés à notre histoire, à notre quotidien, notre actualité. Ils sont nos enfants que ça nous plaise ou non. Il n'y a pas de bons et de mauvais enfants français. Ils font tous partis de notre histoire", explique Hélène Lam Trong.

Des enfants de moins de six ans 

Ils sont ainsi, pour la journaliste, de véritables victimes du terrorisme. "Il faut différencier les enfants dont on parle, qui sont des enfants de Français radicalisés, des adolescents français séduits par le discours de Daech, qui auraient pu décider de leur propre chef de rejoindre le groupe terroriste", nuance Hélène Lam Trong. Ces enfants n'ont généralement pas l'âge de prendre des décisions. "Souvent, ils sont nés là-bas [en Syrie, NLR] et sont très petits. En majorité, ils ont moins de six ans", justifie-t-elle.  

Amenés par leurs parents en Syrie, ces enfants de parents radicalisés portent, sur leur corps, les stigmates de leur vie dans les camps de Daech. C'est le cas des petits-enfants de Lydie et Patrice évoqués dans le documentaire. Leur fille, Julie, a eu trois bébés en Syrie, alors qu'elle vivait sous l'État islamique, avec en plus un bébé né en France. Après s'être battus pendant des mois, Lydie et Patrice ont réussi à faire revenir trois des enfants de leur fille, en France. Mais la reconstruction de ces enfants a été difficile. "Le dernier avait eu une jambe cassée quand il avait trois mois. Elle est atrophiée donc il a des difficultés à marcher alors qu'il a déjà un an. Il a eu aussi des éclats d'obus sur le visage donc il a des cicatrices", raconte la grand-mère, dans un extrait du documentaire diffusé dans Culture médias.

"Il regarde dans le vide"

Pour les autres, les conséquences sont aussi terribles. Le cadet, âgé de trois ans au moment du tournage "était rachitique par manque de nourriture", précise son grand-père. Selon lui, il aurait aussi "des problèmes intestinaux assez graves". Quant à l’aîné, il est, d’après Patrice, "traumatisé" : "il ne parle pas, il regarde dans le vide."

Depuis, ces trois enfants vont mieux, explique Hélène Lam Trong. "Ils vont plutôt bien, compte tenu de ce qu'ils ont vécu : les deux aînés sont scolarisés et cela se passe bien. Celui qui ne parlait pas s'est remis à parler français très rapidement", affirme la journaliste. 

Aujourd'hui victimes, ces enfants sont-ils des terroristes en puissance ? Interrogés dans le documentaire, la juge des enfants et le président du tribunal pour enfants de Bobigny, le tribunal le plus proche de Roissy où atterrissent les enfants rapatriés de Syrie, mettent en garde contre les jugements hâtifs. "On n'a pas la preuve que des enfants ont été formés aux armes au combat", affirme la juge dans un extrait du documentaire. "En revanche, il est probable que, dans certaines situations, des enfants ont pu être exposés à des images extrêmement violentes". 

"Où est ta kalash ?"

Le président du tribunal, ajoute, de son côté, qu'il est nécessaire de savoir s'il y a eu une "exposition volontaire de la part des parents à travers notamment des vidéos". "Ils ont sans doute assisté à des choses dans l'espace public quand les parents sortaient. Quand on entend les mères, on a l’impression que les enfants restaient cloîtrés mais on sait bien qu'ils sortaient et qu'il assistaient à ce qu'il se passait dans l'espace public, comme à des décapitations", explique le magistrat.

Ces images violentes, les enfants les gardent pour eux, comme pour se protéger de leurs propres souvenirs. "Ils ont certainement vu des choses terribles et ils n'en parlent à personne, ni à leur mère ni à leur psy ni à leurs éducateurs", affirme Hélène Lam Trong. Si leur vécu ne se manifeste pas par la parole, il marque les enfants, malgré eux. "C'étaient des enfants qui ne s'exprimaient pas par la parole mais qui présentaient des traumatismes importants, essentiellement déclenchés par les bruits", commente, dans le documentaire, une employée de l'Aide sociale à l'enfance (Ase), un organisme français chargé de protéger les enfants. Elle prend pour exemple un "bruit d'aspirateur", de "sèche-cheveux" ou encore de "cuillère qui tombe" qui peuvent déclencher chez ces enfants des hurlements.

Celle-ci se souvient aussi des questions que certains enfants pouvaient poser. "Un enfant peut dire, si sa tante n'est pas là, que 'Tata est partie à la guerre', ou demander : 'où est ta kalash ?'".