Patrick Eveno 5:47
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Céline Brégand
Le Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation, créé en décembre 2019, a rendu public ses premiers avis il y a une semaine en épinglant notamment BFMTV pour l’interview de Juan Branco par Apolline de Malherbe. Patrick Eveno, son président, explique dans "Culture Médias" mercredi le fonctionnement de ce nouvel organe.
INTERVIEW

Le premier avis du Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation (CDJM) a fait grand bruit la semaine dernière. Il a épinglé BFMTV pour son interview de l’avocat Juan Branco par la journaliste Apolline de Malherbe en février dernier. Ce nouvel organe créé en décembre 2019 s'est donné pour mission de veiller au respect de la déontologie journalistique. Organisation, fonctionnement, méthodes de travail, son président Patrick Eveno explique au micro de Philippe Vandel le rôle du CDJM, encore peu connu du public français.

Ni censeurs, ni ordre des journalistes

Sur son site, le CDJM précise qu'il "n’est ni un conseil de l’ordre, ni un 'tribunal de la pensée'" et qu'il "n'est pas une instance étatique ou administrative". "Nous ne sommes pas des censeurs ni un ordre des journalistes", ajoute Patrick Eveno. "Nous sommes simplement des gens qui réfléchissons à la déontologie, aux bonnes pratiques professionnelles. Il faut vérifier ses sources, les croiser, respecter un certain nombre de directives sur la vie privée, etc. On se réclame des trois grandes chartes : celle du SNJ, celle Munich et la charte internationale", détaille-t-il.

Le CDJM veut pouvoir répondre aux questions du public mécontent. "Seuls 23% des gens ont confiance dans les médias en France", rappelle-t-il. "À l'intérieur de la liberté la plus absolue et la plus démocratique possible, les journalistes sont des gens très importants dans le système démocratique. Les entreprises de médias le sont aussi car ce sont les médiateurs. C'est le droit du public à être informé qui permet à la démocratie de vivre mais il faut qu'ils respectent un certain nombre de règles professionnelles", appuie le président.

Un conseil tripartite et aucune sanction

Le CDJM est un organe tripartite composé à un tiers de journaliste, un tiers d'éditeurs, de diffuseurs, et un tiers de représentants du public. Le CDJM ne comporte "pas encore suffisamment" de représentants du public parce qu'il n'était pas connu et n'a pas pu lancer d'appel à candidatures mais compte le faire "au cours de l'automne". "Le public doit être représenté dans un conseil de déontologie", souligne Patrick Eveno.

Il représente beaucoup de monde : "le SNJ (premier syndicat de journalistes) et la CFDT journalistes, toute une série d'écoles de journalistes, de clubs de la presse, de collectifs comme 'Informer n'est pas un délit', 'Prenons la Une'...". Et si la moitié des sociétés de journalistes les a rejetés, Patrick Eveno préfère voir le verre à moitié plein. "On est là pour essayer de convaincre", affirme-t-il.

Le CDJM est une association loi 1901 et est "complètement indépendant de l'État", assure-t-il. "Nous accepterons éventuellement des subventions de l'Etat - il ne faut pas non plus être naïf - pour pouvoir fonctionner", précise Patrick Eveno. Il travaille sur des articles ou des émissions déjà diffusées ou publiés. Et ne délivre aucun sanction. "On fait de la pédagogie, vis-à-vis du public et des médias et des journalistes en disant qu'il y a des règles professionnelles et qu'il faut essayer de les observer le mieux possible évidemment."

Le cas épinglé de BFMTV

Son premier avis rendu public la semaine dernière, dans lequel il épingle BFMTV, concernait l'interview de l'avocat Juan Branco par la journaliste Apolline de Malherbe en février dernier. Au total, 23 personnes ont saisi le CDJM pour cette interview, estimant que la journaliste avait fait preuve d’absence d’objectivité et d’impartialité, et qu’il y avait de l’animosité et de l’agressivité lors de l’échange. La CDJM leur a en partie donné raison notamment à cause de la dernière phrase de la journaliste qui conclut l'interview par : "Plus on vous entend et plus on se demande si Piotr Pavlenski n'est pas que l'exécutant et vous le manipulateur."

Patrick Eveno rappelle que "l'objectivité et l'impartialité n'existent pas" mais que l'affirmation de la journaliste est "très grave". "Quand on fait une affirmation comme celle-là, on doit laisser la parole à l'interviewé pour qu'il puisse répondre et se justifier ou pas", souligne-t-il. Comme pour chaque saisine qu'il reçoit, le CDJM a d'abord choisi si la saisine concernant cette séquence était recevable ou non. Puis il a nommé une triplette journaliste, éditeur ou diffuseur, et un membre du public.

Ces trois personnes ont examiné la séquence et pris contact avec BFMTV qui n'a pas souhaité répondre. "On décortique tout le processus et on regarde des règles déontologiques et de la jurisprudence déontologique qu'on retrouve dans tous les conseils de presse en Europe et on dit s'il y a eu un problème ou non", explique Patrick Eveno.

Photo de Piotr Pavlenski menotté : saisie non fondée pour la CDJM 

Concernant la deuxième saisine qui portait sur un article publié sur le site du magazine Paris-Match le 19 février et titré "Affaire Griveaux : les diaboliques en une de Paris-Match". Il reproduit la couverture de l'hebdomadaire qui montre Piotr Pavlenski au moment de son arrestation, le 15 février, allongé sur le sol, la face contre terre, les mains menottées dans le dos.

Pour l’auteur de la saisine, ce cliché violait les règles déontologiques de respect de la vie privée et de la dignité humain. Mais pour le CDJM, cette saisine n'était pas fondée. "Nous avons toujours été contre la loi Guigou [qui interdit de montrer des gens menottés] car le problème des menottes, ce n'est pas de montrer quelqu'un menotté mais pourquoi la police menotte-t-elle certaines personnes ou toutes les personnes. C'est le problème de l'arrestation et c'est pour ça qu'on a dit que cette saisie n'était pas fondée", détaille Patrick Eveno.