Il ne s'est pas encore réuni, mais il fait déjà polémique. Le tout nouveau "Conseil de déontologie des médias" a été fondé lundi, au grand dam de nombreux patrons de presse et sociétés de journalistes. Parmi ses opposants, 19 Sociétés de journalistes (SDJ), dont celles du Figaro, de l'AFP, de L'Obs, du Point, de Médiapart, et d'Europe 1. Mais de quoi s'agit-il précisément ? Mercredi, l'émission "Culture-Médias" d'Europe 1 s'est penchée sur la question. Ce conseil doit constituer une instance indépendante de l’État, pour scruter les pratiques journalistiques et émettre un avis sur les dysfonctionnements de la presse. S'il avait existé à ce moment, il aurait par exemple pu se saisir de la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, très relayée par les médias. Il n’aura cependant aucun pouvoir de sanction.
La méfiance des journalistes à l'égard de ce Conseil de déontologie vient notamment du fait que l'initiative d'une telle instance est largement soutenue par le gouvernement. À plusieurs reprises, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen avaient également appelé à créer une telle organisation. L’idée, toutefois, n'émane pas que des partis politiques. "De tels conseils existent déjà dans 18 pays européens, comme l’Allemagne et la Suisse, ou encore le Canada", rappelle Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, et fervent défenseur du nouveau Conseil, au micro de Philippe Vandel. Il souligne que l’idée n'a pas été soufflée que par Emmanuel Macron. "Elle circule dans la profession depuis longtemps. François Hollande aussi avait manifesté ce désir."
"Énorme mensonge"
Une affirmation qui fait grincer Etienne Gernelle, patron de l’hebdomadaire Le Point. "C’est un énorme mensonge de dire que le président n’y est pour rien", s’exclame-t-il au micro d’Europe 1. Pour lui, ce conseil renforcerait un certain "entre-soi" qui règne déjà entre les journalistes. "Ce conseil, c’est du corporatisme pur." Le Conseil est divisé en trois parties : les journalistes, les éditeurs/diffuseurs, et le public. L'Observatoire de la déontologie de l'information le présente comme un "organe professionnel d'autorégulation", qui servira de médiateur ou d'arbitre entre le public, les médias et les rédactions.
"Nous ne l’avons pas attendu pour être en contact direct avec nos lecteurs !", oppose Etienne Gernelle. "À chaque minute, des gens nous écrivent, par courrier, par mail, ou sur les réseaux sociaux. Moi je le dis : 'Engueulez-nous !' Mais personne n’a besoin pour cela d’un Conseil paternaliste."
"Espace de réflexion"
Le Conseil doit également être un espace de réflexion sur des sujets comme la désinformation. Il a notamment été créé pour répondre à la confiance en berne du public envers les médias. Cette année, le baromètre La Croix l’estime à 24%, chiffre le plus bas depuis le début du sondage, en 1987. En pratique, le Conseil aura vocation à être saisi ou à s'auto-saisir de cas concernant tous les médias d'information, membres ou non de l'instance. Sur la fausse nouvelle de l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès par exemple, "la valeur ajoutée du Conseil aurait été d’aller sur le cheminement [de l'information]. Comment cela s'est-il passé ? Pourquoi cela s’est-il passé comme de cette manière ? C'est ça qui est intéressant", affirme Patrick Eveno.
À plusieurs reprises ces derniers mois, il a assuré que le Conseil ne serait pas un "organe de censure", et qu'il n'interviendrait "jamais" sur les décisions rédactionnelles. Reste que, pour Etienne Gernelle, l’avis de ce Conseil n’est "pas plus intéressant que celui de chaque lecteur".
En défendant son projet, Jean-Luc Mélenchon, avait dit vouloir lui donner "un pouvoir de sanction symbolique réel et reconnu". Une piste très vite écartée par le gouvernement : le Premier ministre avait assuré pendant l'été, lors d'une réunion avec des représentants des journalistes, que le gouvernement ne se mêlerait pas du Conseil de déontologie. Il n’était pas question, pour lui, de raviver des tensions existantes entre la profession et l'exécutif.