"Ça va être un beau bazar" : à qui va profiter la nouvelle numérotation des chaînes TV ?

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Avec la disparition programmée de France 4 et de France Ô, au deuxième semestre 2020, deux canaux de la TNT vont être libérés. Et ils sont d’ores été déjà très convoités, notamment par les chaînes d’info, qui ont débuté leur lobbying auprès du gouvernement. Philippe Vandel et ses invités présentent les enjeux d’une telle redistribution.
ANALYSE

L’année 2020 s’annonce riche en changements dans la paysage télévisuel français. D’abord parce que le CSA devrait laisser place à l’Arcom. Ensuite parce que France 4 et France Ô vont arrêter leur diffusion dans le courant du premier semestre. Enfin parce que les deux canaux ainsi libérés vont susciter les convoitises, des chaînes d’info en particulier. Certains plaident pour un regroupement dans un seul bloc info, d’autres pour un simple décalage des numéros pour combler les trous. Décryptage en questions grâce aux invités de Culture médias, les journalistes Benoit Daragon, du Parisien, et Enguérand Renault, du Figaro.

Quels canaux vont être libérés ?

A l’heure actuelle, France 4 diffuse sur le canal 14 de la TNT, France Ô sur le canal 19. Au deuxième semestre 2020, les deux chaînes vont disparaître, laissant vacants ces deux canaux. Le ministre de la Culture Franck Riester a récemment indiqué que le CSA aurait la main sur la redistribution des canaux, mais en évoquant un regroupement par thématique, citant nommément l’info à titre d’exemple.

"Il met un coup de pied dans la fourmilière", s’amuse Enguérand Renault. "Il refile le bébé au CSA - qui deviendra l’Arcom. Il dit ‘on ouvre les portes à tout le lobbyisme intense pour être le mieux placé sur la TNT’." Benoit Daragon abonde : "Il va y avoir des grosses pressions sur le CSA. Ça a commencé. TF1 et France Télévisions font un intense lobbying depuis des mois mais ça s’est accentué ces dernières semaines", confirme Benoît Daragon. "Ça annonce un beau bazar en perspective. Ils ne sont pas sortis de l’auberge parce que ça va être très compliqué à gérer."

Pourquoi TF1 et France Télévisions sont côte à côte pour réclamer un bloc thématique info ?

Actuellement, l’ordre des chaînes d’infos est le suivant : BFMTV sur la 15, CNEWS sur la 16, LCI sur la 26 et Franceinfo sur la 27. Les deux chaines appartenant à TF1 et France Télévisions sont donc reléguées en toute fin de TNT, une situation qui s’explique par leur arrivée tardive sur le bouquet numérique gratuit. "Ils se battent parce que plus on est prêt de TF1, plus on a d’audience potentielle", explique Benoît Daragon. "Parce que les gens appuient sur la touche + de la télécommande et qu’on va jamais jusqu’au 27. On s’arrête forcément avant". Dans la même logique, "par définition, le 14 a plus de valeur que le 19", confirme Enguérand Renault.

Voilà pourquoi les groupes TF1 et France Télévisions se battent ensemble pour un regroupement des chaines d’info en un bloc, c’est-à-dire pour qu’elles soient côte-à-côte sur la TNT. "Clairement, ils vont essayer de faire passer des amendements à la loi qui sera discutée à l’Assemblée début 2020  pour que ce concept du bloc info soit dans la loi", annonce Benoît Daragon. "Cet amendement va être soutenu par TF1 et par France Télévisions, donc les deux gros poids lourds du paysage audiovisuel français qui vont soutenir le fait que ce soit dans la loi. Donc le CSA va avoir pieds et poings liés. Les négociations vont être très rudes dans les semaines à venir", prévoit le journaliste du Parisien.

Dans Le Figaro, Thierry Thuillier, directeur de l’information chez TF1, estime qu’un tel regroupement permettrait à LCI de gagner entre 0,2 et 0,3 % d’audience. "LCI est en moyenne à 1% d’audience, ça représente donc une hausse de 20 à 30%, c’est énorme", précise Enguérand Renault. "Pour une chaîne d’info, c’est assez simple : en dessous de 1,5%, on perd beaucoup d’argent, au-dessus on en gagne beaucoup. Ce que TF1 vise effectivement, c'est d'arriver à 1,2-1,3%, c’est-à-dire presque la rentabilité. Pas encore, mais presque", poursuit le journaliste du Figaro.

Pourquoi Altice, propriétaire de BFMTV, freine des quatre fers ?

Alain Weil, le patron d’Altice, propriétaire de BFMTV, le leader du marché, s’est récemment prononcé pour un simple décalage du numéro des chaines pour boucher les trous laissés vacants. "Ce qu’il veut dire, c’est que lui a tout à perdre", s’amuse Enguérand Renault. "Autant LCI et CNews ont tout à gagner, autant lui a tout à perdre. Il est leader, donc forcément s’il y a un regroupement, ça va avantager les autres, et pas lui."

" C'est normal de pleurer avant d'avoir mal "

"On est dans une bataille du lobbying, de l’argument", juge Benoit Daragon. "Le risque pour eux, effectivement, c’est de passer dans le rouge, c’est de perdre ces 0,2-0,3 point qui pourrait nuire à leur résultat financier. Après, BFMTV c’est un groupe puissant, le groupe SFR, ils sont très solides, ils ont beaucoup d’argent, donc financièrement ils ne vont pas nous faire pleurer", tranche le journaliste du Parisien.

Enguérand Renault en remet une couche : "Alain Weil, on connait son argumentaire, il l’a fait déjà pour s’opposer à l’arrivée de Franceinfo puis de LCI sur la TNT. Trois ans après, BFMTV va très bien, parce que c’est une excellente chaîne et qu’elle est bien gérée", tempère le journaliste du Figaro. "C’est normal de pleurer avant d’avoir mal. C’est normal de dire qu’on va souffrir. La réalité, elle est quand même tout autre."