Russie : un journaliste américain arrêté pour «espionnage», la France se dit «inquiète»

Evan Gershkovich journaliste arrêté russie
Le journaliste américain Evan Gershkovich a été arrêté en Russie. © Kirill KUDRYAVTSEV / AFP
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avec AFP
Le quotidien américain "Wall Street Journal" s'est dit jeudi "profondément préoccupé pour la sécurité" de son journaliste arrêté en Russie et placé en détention pour '"espionnage", dans un contexte de tensions entre Moscou et Washington sur fond de conflit en Ukraine. La France a exprimé son inquiétude, appelant Moscou à respecter la liberté de la presse.

La Russie a annoncé jeudi l'arrestation pour "espionnage" d'un journaliste américain du quotidien Wall Street Journal, Evan Gershkovich, qui a été ensuite placé en détention. Un cas sans précédent dans l'histoire récente du pays dans un contexte de répression depuis l'offensive contre l'Ukraine. Sans étayer cette accusation, le Kremlin a affirmé que le reporter avait été pris "en flagrant délit" et a mis en garde Washington contre toute forme de représailles contre les médias russes travaillant aux États-Unis.

Le FSB dit avoir "déjoué l'activité illégale" du journaliste

Jeudi, le service fédéral de sécurité russe (FSB) a déclaré avoir "déjoué l'activité illégale du correspondant accrédité (...) du bureau moscovite du journal américain 'Wall Street Journal', le citoyen des Etats-Unis Evan Gershkovich", qui a été arrêté à Ekaterinbourg, dans l'Oural, à une date non précisée. Il est "soupçonné d'espionnage au profit des Etats-Unis" et de collecter des informations "sur une entreprise du complexe militaro-industriel" russe, a-t-il ajouté dans un communiqué. Ce chef d'accusation est passible de 10 à 20 ans de prison, selon l'article 276 du code pénal russe.

Selon l'agence Ria Novosti, citant le tribunal Lefortovo de Moscou, le FSB a demandé son placement en détention provisoire. Avant de rejoindre le quotidien américain en 2022, Evan Gershkovich était un correspondant de l'AFP à Moscou, et avant cela, du journal en langue anglaise Moscow Times. Parfaitement russophone, le journaliste de 31 ans est d'origine russe et ses parents sont installés aux Etats-Unis. "Le 'Wall Street Journal' est profondément préoccupé pour la sécurité" d'Evan Gershkovich, a indiqué le quotidien dans un bref communiqué.

La France appelle la Russie à respecter la liberté de la presse

L'ONG Reporters sans frontières a dit s'"alarmer" de "ce qui semble être une mesure de représailles : les journalistes ne doivent pas être pris pour cible !" La France s'est dite "inquiète" et a appelé Moscou à respecter la liberté de la presse. La diplomatie russe a affirmé, elle, que le journaliste avait été pris "la main dans le sac". "Nous espérons qu'il n'y aura pas" de représailles contre les médias russes aux États-Unis, a renchéri le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, assurant que le journaliste américain avait été pris en "flagrant délit".

L'analyste russe indépendante Tatiana Stanovaïa, qui dirige le centre d'analyse R.Politik, a relevé que la Russie avait récemment durci sa législation réprimant l'espionnage depuis son assaut contre l'Ukraine en février 2022. "Le problème est que la nouvelle législation russe (...) permet de mettre en prison pour 20 ans n'importe qui s'intéressant aux affaires militaires, à l'opération militaire spéciale (en Ukraine), aux groupes militaires privés (comme Wagner), à l'état de l'armée", écrit-elle sur Facebook. Mais elle relève aussi que le FSB a pu prendre le journaliste "en otage" en vue d'un éventuel échange de prisonniers.

De précédents échanges de prisonniers

Des échanges russo-américains ont eu lieu à quelques reprises ces dernières années, sur fond de tensions croissantes autour de l'Ukraine et de ce que le Kremlin considère comme une guerre par procuration de l'Otan contre la Russie. Interrogée sur un potentiel futur échange avec Washington, la diplomatie russe a jugé le sujet prématuré, appelant via son vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, à "voir comment cette histoire évolue".

Plusieurs Américains sont déjà détenus en Russie, dont l'un, Paul Whelan, purge une peine de 16 ans de prison pour "espionnage" dans une affaire que l'intéressé et Washington jugent montée de toutes pièces. Il a été arrêté en 2018 et des négociations sont en cours depuis plusieurs années pour le faire libérer. Le dernier échange en date entre Moscou et Washington a eu lieu en décembre lorsque la Russie a remis la basketteuse américaine Brittney Griner, détenue pour trafic de drogue, contre la libération du trafiquant d'armes Victor Bout incarcéré aux Etats-Unis.

Un autre Américain est actuellement détenu en Russie, Marc Fogel, un ancien diplomate qui travaillait comme enseignant dans une école américaine de Moscou. Il a été condamné en juin 2022 à quatorze ans de prison pour trafic de cannabis "à grande échelle", après la découverte de drogues dans ses bagages à l'aéroport Cheremetievo de Moscou.

Une répression plus forte depuis l'invasion de l'Ukraine

Si la presse et les journalistes russes critiques du Kremlin sont souvent la cible de poursuites pénales, les journalistes étrangers ont eux été épargnés, Moscou ayant préféré expulser des correspondants et durcir les règles d'accréditation. Depuis le lancement de l'offensive contre l'Ukraine, la répression s'est accélérée à l'encontre de l'opposition et des médias indépendants russes, souvent en usant de dispositions du code pénal réprimant le fait de "discréditer l'armée".

Des reporters étrangers sont aussi parfois suivis par les services de sécurité lors de leurs reportages, notamment en dehors de Moscou. Dans ce contexte, de nombreux médias occidentaux ont fortement réduit leur présence en Russie depuis l'entrée des forces russes en Ukraine.