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Manon Bernard et Caroline Baudry avec AFP , modifié à
Plus de soixante bateaux de pêche français ont navigué ce jeudi matin près du port de Saint-Hélier, dans les eaux de l’île de Jersey. Un signe de mécontentement face au gouvernement britannique qui ne respecte pas l’accord de pêche signé post-Brexit. Après quelques heures de tensions, les pêcheurs sont rentrés. 

L’escalade des tensions s’accélère. Jeudi, une soixantaine de bateaux de pêche français se sont rassemblés près de l’île de Jersey. Ils protestaient contre les restrictions imposées par le gouvernement outre-Manche pour pouvoir aller pêcher dans ses eaux. Un face à face naval s'est mis en place : deux navires de guerre britanniques ont été dépêchés à quelques miles des protestations. De son côté, la France a envoyé deux patrouilleurs sur place. Le Premier ministre britannique, lui, avait prévenu : s’il y a un blocus, il sera "totalement injustifié".

Les bateaux de pêche sont restés toute la matinée, avant de repartir en début d'après-midi vers les ports français tout proches de cette île au statut particulier.

Pourquoi les pêcheurs français sont-ils mécontents ?

C’est un point de tension depuis le début du Brexit : la pêche franco-britannique. Bien qu’un accord ait été trouvé entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni, les pêcheurs français affirment que ce dernier n’est pas appliqué. Dans les faits, des limites administratives seraient imposées aux Français pour qu’ils ne soient pas trop nombreux à pêcher de l’autre côté de la Manche. L’île de Jersey, située au large des côtes normandes, est une dépendance de la couronne britannique. Elle dispose d’un gouvernement mais sa représentation extérieure est assurée par le Royaume-Uni.

Selon Paris, le Royaume-Uni a publié vendredi une liste de 41 navires français, sur 344 demandes, autorisés à pêcher dans les eaux de Jersey, mais cette liste s'accompagne de nouvelles exigences "qui n'ont pas été concertées, discutées ni notifiées avant" dans le cadre de l'accord sur le Brexit trouvé entre Londres et Bruxelles, en vigueur depuis le 1er janvier dernier, selon la ministre de la Mer Annick Girardin. Les rares licences sont en plus assorties de conditions : 35 jours pour la pêche de coquilles contre huit mois auparavant, par exemple. 

C’en est trop pour les pêcheurs. Ils montraient régulièrement leurs mécontentements lors de manifestations, notamment à Boulogne-sur-Mer, le plus grand port français. En début de semaine, la ministre de la Mer, Annick Girardin s'était également placé à leurs côtés. Elle affirme que la France est prête à recourir à des "mesures de rétorsion" si les autorités britanniques continuent à restreindre l'accès des pêcheurs français aux eaux de Jersey. Devant l'Assemblée nationale, elle a fait allusion à des répercussions éventuelles sur le "transport d'électricité par câble sous-marin" qui alimente l'île depuis la France.

Mais rien n’est fait et les pêcheurs français sont de plus en plus déterminés à aller manifester près de l’île de Jersey. Mercredi, le président du comité régional des pêches de Normandie, Dimitri Rogoff, assure qu'il ne s'agit pas de bloquer Saint-Hélier mais de "marquer le coup". Pour Michel Duchemin, marin-pêcheur lui aussi, cette manifestation était l'occasion d'un "coup d'éclat" afin de "faire comprendre qu'on a besoin de travailler aussi. On est pas en guerre contre les pêcheurs anglais, mais ils ont plus de droits que nous apparemment".

Du côté des pêcheurs britanniques, la colère gronde aussi. Dans l'émission Good morning Britain de la chaîne de télévision ITV, Don Thompson, président de l'Association des pêcheurs de Jersey, reproche aux pêcheurs français de vouloir "pêcher sans contrainte dans nos eaux". Il serait "extrêmement injuste", poursuit-il, que le gouvernement "capitule devant cela".

Où en est la situation ?

Entre 50 et 70 bateaux de pêche se sont rendus devant le port de l’île anglo-normande jeudi matin. De loin, ils sont observés par deux navires de guerre britanniques. L'envoi de ces deux bateaux de la Royal Navy, le HMS Severn et le HMS Tamar était "une mesure strictement préventive, en accord avec le gouvernement de Jersey", a souligné le porte-parole du ministre de la Défense britannique.

La France a alors envoyé deux patrouilleurs à proximité de l’île. "Avec une cinquantaine de pêcheurs sur zone forcément on a préféré prépositionner ces deux bâtiments", indiquait le porte-parole de la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord, précisant la mission du patrouilleur côtier de la gendarmerie maritime Athos et de celui des affaires maritimes Themis : assurer "la sécurité de la navigation et la sauvegarde de la vie humaine en mer".

Les bateaux ont regagné la France en début d'après-midi. Ils ont retrouvé le port de Barneville-Carteret. Ils ont retrouvé sur le quai une vingtaine d'habitants venus les soutenir. C'est le cas de Philippe qui souligne que "un marin embarqué, c'est trois emplois sur terre. Donc c'est un sujet majeur mais au-delà de ça nos traditions et nos relations avec nos cousins anglo-normands sont aujourd'hui en jeu". Preuve que les tensions persistent, un bateau anglais n'a pas pu accoster jeudi après-midi.

Que réclamaient les pêcheurs ? 

Les pêcheurs souhaitaient rencontrer un ministre de Jersey. "Ce que l’on veut c’est continuer à pêcher comme avant", affirmait le pêcheur normand Romain Davodet, par téléphone à Europe 1. "Il faut qu’il y ait une issue, qu’on soit en meilleurs termes que ce matin avant de venir", poursuit-il. Ils ont finalement pu rencontrer les autorités de Jersey mais rien n'a vraiment bougé. 

Ces "manœuvres" britanniques "ne doivent pas nous impressionner", a pour sa part régi le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes Clément Beaune. "Je me suis entretenu avec David Frost, le ministre britannique chargé des relations avec l'Union européenne. Notre volonté n’est pas d'entretenir des tensions mais d’avoir une application rapide et complète de l’accord. Rien que l’accord et tout l’accord", a-t-il ajouté.

Les responsables de Jersey "restent sur leurs positions", a indiqué à l'AFP Ludovic Lazaro, un pêcheur de Granville, à l'issue d'une rencontre effective entre les pêcheurs français et un ministre de Jersey, à la mi-journée. "Maintenant, c'est aux ministres de s'arranger", a-t-il ajouté, évoquant les âpres négociations en cours. "La démonstration de force est faite. C'est le politique qui doit prendre le relais", a renchéri Dimitri Rogoff, le président du comité régional des pêches de Normandie.