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avec AFP , modifié à
Au 121e jour de la guerre, les Ukrainiens ont ordonné à leurs forces de se retirer vendredi de la ville stratégique de Severodonetsk, concédant aux Russes après une résistance acharnée une avancée dans le Donbass (est), au lendemain de la validation très symbolique par l'Union européenne de la candidature de Kiev. Europe 1 fait le point sur la situation.
L'ESSENTIEL

Dans le sud de l'Ukraine, où les forces du pays sont plutôt à l'offensive, un attentat a causé la mort d'un fonctionnaire de l'administration mise en place par les Russes à Kherson. C'est la première fois que les autorités prorusses annoncent la mort d'un des leurs dans ce type d'attaques, qui se multiplient. Vendredi matin, Serguiï Gaïdaï, gouverneur de la province de Lougansk (est), où se situe Severodonetsk, a annoncé sur Telegram que les forces armées ukrainiennes avaient "reçu l'ordre" de se retirer de la ville.

Les informations à retenir :

  • L'Union européenne entérine la candidature de l'Ukraine et de la Moldavie
  • Les forces ukrainiennes se retirent de Severodonetsk
  • Les Etats membres ont averti que les Ukrainiens ne devaient "pas se faire d'illusions" sur une adhésion rapide
  • L'armée russe continue par ailleurs de bombarder la région de Mykolaïv
  • La candidature à l'UE est une affaire "intérieure à l'Europe", selon le Kremlin

Candidature de l'Ukraine : un "accaparement géopolitique" pour "contenir la Russie"

La diplomatie russe a dénoncé vendredi la décision des Vingt-Sept d'octroyer à l'Ukraine et la Moldavie le statut de candidat à l'Union européenne, en pleine offensive russe chez son voisin ukrainien. Cette décision "confirme qu'un accaparement géopolitique de l'espace de la CEI (la Communauté des Etats indépendants, qui rassemble plusieurs pays d'ex-URSS, ndlr) se poursuit activement afin de contenir la Russie", a indiqué la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, dans un communiqué.

Severodonetsk "presque réduite à l'état de ruines"

Bombardée depuis des semaines par les forces russes faute de réussir à en prendre le contrôle, Severodonetsk est une étape cruciale dans leur plan de conquête de l'intégralité du Donbass, un bassin industriel de l'est de l'Ukraine déjà en partie tenu par des séparatistes prorusses depuis 2014. "Cela ne fait plus aucun sens de rester sur des positions qui ont été constamment bombardées depuis des mois", alors que la ville a été "presque réduite à l'état de ruines", a expliqué le gouverneur.

Severodonetsk et sa ville jumelle Lyssytchansk, située juste de l'autre côté de la rivière Donets, sont aujourd'hui quasiment encerclées par les forces russes, qui grignotent chaque jour un peu plus de territoire alentours. Mykolaïvka, ville située à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Lyssytchansk, est aux mains de l'armée russe, a indiqué Sergueii Gaïdaï, ajoutant que les Russes tentaient désormais de "conquérir Guirské", une commune voisine. Un représentant des séparatistes prorusses, Andreï Marotchko, a pour sa part affirmé sur Telegram que tous les villages de la zone de Guirské étaient déjà sous contrôle russe.

Les États-Unis minimisent le retrait ukrainien

Les Etats-Unis ont cependant de leur côté minimisé vendredi l'importance du retrait ukrainien, une haute responsable du Pentagone soulignant "le prix payé par la Russie pour ce très petit gain". "Les Russes arrivent tout juste à gagner du territoire centimètre par centimètre". Ce que font les forces ukrainiennes, "c'est consolider leurs forces sur des positions où elles peuvent mieux se défendre", a assuré à la presse cette haute responsable ayant requis l'anonymat.

Lyssytchansk semblait néanmoins à son tour se préparer à l'arrivée des Russes. À l'entrée de la ville, en partie privée d'eau, de gaz et d'électricité, des soldats creusaient des tranchées. Plus au sud, Pavlo Kyrylenko, le gouverneur de la région de Donetsk, l'autre province du Donbass, a dit jeudi à l'AFP que plus "aucune ville" de la zone n'était "sûre", les combats y étant trop violents.

Beaucoup de blessés à Kramatorsk

A Kramatorsk, une ville située en arrière du front, un soldat s'identifiant par son prénom, Volodymyr, en poste devant l'hôpital militaire, a témoigné du nombre important de blessés amenés du front depuis des semaines. "On amène beaucoup de gars", dont environ 40% souffrent de contusions, et le reste de blessures par des éclats d'obus, a-t-il dit.

Dès que les blessés graves sont suffisament stabilisés, ils sont envoyés vers des hôpitaux mieux équipés dans des villes ukrainiennes. "Il y a un gros turnover, les gars ne restent pas plus de 2-3 jours" hormis ceux qui ne sont pas transportables, a-t-il ajouté. "Les gars que je vois ici sont très patriotes, je ne dirais pas qu'ils sont de la chair à canon. Ils sont équipés de tout ce qu'il faut, mais ce sont les armes qui manquent, bon sang", dit-il encore, soulignant le manque d'armes lourdes à disposition de l'armée ukrainienne.

"Un acte de terrorisme" à Kherson

A Kherson, l'une des rares grandes villes du pays conquise par les Russes dans ce conflit, "le chef du département de la famille de la jeunesse et des sports, Dmitri Savloutchenko, est mort", a indiqué sur Telegram le chef adjoint de l'administration prorusse, Kirill Stremooussov, dénonçant, comme Moscou, "un acte de terrorisme". Selon l'administration locale, le responsable, tué dans l'explosion de sa voiture, a été victime d'une attaque "ciblée".

Ces dernières semaines, les forces ukrainiennes sont repassées à l'offensive dans la zone pour tenter de reprendre des territoires perdus depuis l'invasion du 24 février. Et les attaques visant des responsables de l'occupation, dont plusieurs ont été blessés, se sont multipliées en parallèle dans la région de Kherson et celle voisine de Zaporijjia. La Russie a par ailleurs intensifié depuis plusieurs jours son offensive sur la grande ville de Kharkiv, dans le nord-est.

De fortes explosions dans le centre-ville

Une équipe de l'AFP sur place a entendu de fortes explosions dans le centre-ville dans la nuit, puis constaté vendredi matin que l'Institut polytechnique avait été touché par plusieurs missiles. Toutes les vitres du bâtiment soviétique ont explosé et un immense gymnase en béton armé a été détruit. Selon un militaire présent, il n'y a pas eu de victime. Une équipe de l'AFP a pu se rendre à Chuhuiv, ville située entre Kharkiv et les positions russes, au sud-est de l'agglomération. Six civils y sont morts mercredi soir en attendant le bus. Dans le supermarché situé juste à côté, dont les vitres ont été brisées, on se presse pour aller acheter l'essentiel alors que le bruit des bombes gronde à l'horizon.

"On n'a pas entendu de sirène et on est choqués. On a très peur de sortir de chez nous mais on ne peut pas partir, on a des personnes âgées qui ont besoin de nous", a raconté Dmytro Shmakov, 26 ans, chauffeur, tout habillé de noir. L'armée russe a de son côté affirmé avoir tué avec "des armes de haute précision" plus de 200 mercenaires étrangers et une centaine de nationalistes ukrainiens dans les région de Mykolaïv (sud) et Kharkiv.

Mises à mal par la puissance de feu russe, les forces ukrainiennes fondent désormais leurs espoirs sur l'arrivée d'armements lourds réclamés sans relâche aux alliés occidentaux, comme les lance-roquettes multiples américains Himars, dont Kiev a annoncé l'arrivée de premiers exemplaires jeudi en prédisant que "l'été sera chaud pour les occupants russes". A la frontière, le nombre d'Ukrainiens qui arrivent en Pologne dépasse cette semaine celui des retours, renversant la tendance observée depuis plus d'un mois, a-t-on appris vendredi auprès des garde-frontières polonais.

Un professeur d'université licencié en Russie après avoir critiqué le conflit

La justice russe a confirmé le licenciement d'un professeur d'université sanctionné pour avoir publié en ligne des messages opposés à l'offensive en Ukraine, en pleine répression des voix discordantes en Russie. "La juge Tatiana Makarova a refusé (...) de me redonner mon emploi", a indiqué vendredi Roman Melnitchenko, sur sa page Facebook, au lendemain de l'audience sur cette affaire.

Ce professeur de droit de 49 ans, dont les deux parents vivent en Ukraine, près du front, avait été licencié mi-avril pour "immoralité" par l'Université d'Etat de Volgograd, dans le sud-ouest de la Russie. Il lui avait été reproché d'avoir publié sur les réseaux sociaux, fin février et début mars, des messages contre l'offensive, accompagnés notamment d'une vidéo montrant la mort d'une petite fille dans un hôpital de Marioupol.

Zelensky se félicite d'une victoire devant les Vingt-Sept

Dans son allocution en visioconférence devant les représentants des Vingt-Sept, Volodymyr Zelensky s'est félicité d'une "victoire" politique, que son peuple attendait selon lui depuis l'indépendance de la république soviétique d'Ukraine en 1991. "Les drapeaux ukrainien et européen flotteront ensemble quand nous reconstruirons ensemble notre pays après cette guerre", a-t-il encore insisté jeudi soir dans son adresse vidéo quotidienne à ses compatriotes.

Mais si Volodymyr Zelensky prédisait encore une victoire "à coup sûr" face à l'armée russe, Serguiï Gaïdaï, le gouverneur de la région de Lougansk, a lâché le mot de "retraite" concernant Severodonetsk, une ville clef du Donbass. "Sous le feu de bombardements incessants, nous avons subi trop de dommages et une retraite va peut-être être nécessaire", a mis en garde dans la nuit de jeudi à vendredi ce responsable dont les points quotidiens sur la situation dans le Donbass sont une référence.

"Il reste 568 civils dans des abris à Azot", la zone industrielle de Severodonetsk, seul secteur de la ville restant encore aux mains des troupes ukrainiennes", a précisé Sergueii Gaïdaï.

Le gouverneur de la région de Donetsk affirme qu'aucune ville n'est "sûre" pour ses habitants

Signe des difficultés de l'Ukraine sur le théâtre des opérations, le gouverneur de la région de Donetsk, plus au sud, Pavlo Kyrylenko, a affirmé jeudi à l'AFP que plus "aucune ville" de la zone placée sous son administration n'était "sûre" pour ses habitants, les combats y étant trop violents.

Des alertes anti-aériennes ont résonné dans la nuit de jeudi à vendredi dans plusieurs grandes villes ukrainiennes, de Donetsk à Odessa.

L'octroi du statut de candidat à l'UE à l'Ukraine et la Moldavie est un "signal très fort vis-à-vis de la Russie", a estimé le président français Emmanuel Macron, y voyant "un geste politique" de "l'Europe forte et unie". "Nous avons avancé à pas de géant", et "tout cela, nous le devons au peuple ukrainien qui se bat pour défendre nos valeurs, leur souveraineté, leur intégrité territoriale".

L'adhésion de Kiev prendra "des décennies"

Plus tôt, le président russe Vladimir Poutine avait profité d'un sommet virtuel des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) organisé le même jour que celui de Bruxelles, pour dénoncer les "actions égoïstes" des pays occidentaux et appeler à un leadership des Brics pour "créer un système réellement multipolaire", un leitmotiv de la rhétorique du Kremlin.

Bloqués depuis des années dans l'antichambre de l'UE, les pays des Balkans occidentaux déjà candidats à l'adhésion n'ont de leur côté pas caché leur amertume face à la longueur des procédures. "C'est une bonne chose de donner le statut" de candidat à Kiev, a dit le Premier ministre albanais Edi Rama avant une réunion à Bruxelles avec les dirigeants européens. Mais il a conseillé aux Ukrainiens de ne "pas se faire d'illusions" sur une adhésion rapide par la suite.

Plusieurs représentants des Etats membres ont averti que les Ukrainiens ne devaient "pas se faire d'illusions" sur une adhésion rapide. M. Macron avait ainsi estimé en mai qu'une adhésion de Kiev prendrait "des décennies".

Sur le terrain, mises à mal par la puissance de feu de l'artillerie et de l'aviation russes, les forces ukrainiennes fondent désormais leurs espoirs sur l'arrivée d'armements lourds réclamés sans relâche aux alliés occidentaux, comme les lance-roquettes multiples américains Himars.

Le ministre de la Défense ukrainien, Oleksiï Reznikov, a annoncé jeudi, photo à l'appui, l'arrivée des premiers exemplaires de ces armements puissants et précis, quelques heures avant que la Maison Blanche n'annonce un nouveau volet d'aide militaire à Kiev, d'un montant de 450 millions de dollars. "L'été sera chaud pour les occupants russes. Et le dernier pour certains d'entre eux", a-t-il menacé, sans préciser combien de ces batteries mobiles d'une portée de 80 km avaient été livrées à ce stade par les Américains.

La candidature de l'Ukraine à l'UE, une affaire "intérieure à l'Europe", selon le Kremlin

Moscou a qualifié vendredi d'"affaire intérieure à l'Europe" la décision des Vingt-Sept d'accorder à l'Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l'UE, tout en accusant les Occidentaux de vouloir faire la guerre à la Russie.

La décision européenne intervient quatre mois après le début de l'offensive russe contre son voisin ukrainien et qui était destinée notamment à mettre fin au rapprochement continu de l'Ukraine avec l'Occident. "C'est une affaire intérieure à l'Europe", a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, relevant néanmoins qu'il est "important" pour Moscou que "tous ces processus n'apportent pas davantage de problèmes à la Russie".