Français condamnés à mort en Irak : "Cette attitude de désintérêt, c'est renier les valeurs qui sont les nôtres"

Tribunal Irak
Un tribunal de Bagdad a condamné à mort mercredi Yassine Sakkam pour appartenance au groupe djihadiste État islamique (EI), portant à sept le nombre de Français à avoir écopé en quatre jours de la peine capitale dans ce pays. © SABAH ARAR / AFP
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Aurélie Dupuy , modifié à
L'avocat Patrick Baudouin s'insurge contre un procès inéquitable. Et explique la passivité de l'Etat français face à la peine capitale par une opinion publique hostile au sort des djihadistes.
INTERVIEW

Un casse tête juridique et moral. Telle est la situation dont a hérité l'Etat français après l'annonce de la condamnation à mort de sept Français par un tribunal de Bagdad en Irak pour terrorisme. L'avocat et président d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Patrick Baudoin, était l'invité de François Clauss dans C'est arrivé cette semaine pour décrypter cette situation.

Devant la sentence du tribunal irakien, le président Emmanuel Macron a évoqué une "impossibilité de s'ingérer dans le droit irakien" tout en demandant de commuer ces peines de morts en prison à perpétuité. Une sorte de contradiction, selon l'avocat : "C'est un exercice d'équilibriste qui relève d'une certaine hypocrisie. D'un côté, il ne faut pas s'immiscer, de l'autre, on vient nous dire que l'on n'est pas satisfait de la peine qui risque d'être appliquée, la peine de mort. C'est d'autant plus hypocrite parce qu'il y a la condamnation d'un Etat qui applique la peine de mort et d'un autre côté, on lui reconnaît le pouvoir de juger en fermant les yeux là-dessus."

Torture et audience expéditive

Plusieurs associations, telles Human Rights Watch ou Amnesty International, ont par ailleurs dénoncé les conditions du procès, quand le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, a pour sa part, qualifié le procès d'"équitable" devant l'Assemblée nationale. "C'est mensonger, assez scandaleux", s'indigne Patrick Baudouin.

"Certes, l'Irak a compétence pour juger les crimes commis sur son territoire par des ressortissants étrangers (...) Mais pour qu'il y ait une compétence respectable et respectée, il faut en particulier que la condition du droit au procès équitable soit remplie. Monsieur Le Drian dit qu'elle est remplie, ce n'est pas vrai. Ces personnes sont détenues dans des conditions très difficiles, avec torture, mauvais traitements. Pendant la période de détention, il n'y a pratiquement pas la possibilité du recours à l'avocat. On a des instructions bâclées, pour ne pas dire inexistantes. Et quand on arrive à l'audience, c'est un procès totalement expéditif", dépeint l'avocat qui évoque une demi-heure d'audience pour condamner à perpétuité ou à la peine capitale. "Il n'y a aucun examen des cas individuels", regrette encore le conseil.

Opinion publique hostile, autorités françaises frileuses

Pour autant, s'insurger du sort de ceux qui ont choisi de rejoindre Daech ne fait pas grand cas dans l'opinion. Un situation comprise par l'avocat qui souhaite cependant faire oeuvre de pédagogie : "Nous appartenons à un Etat qui a quitté ce stade des châtiments barbares, œil pour œil, dent pour dent (...) Cette attitude de désintérêt, c'est renier les valeurs qui sont les nôtres. Si on rentre dans ce cadre, c'est le socle des valeurs démocratiques qui est remis en cause", estime le juriste.

Selon Patrick Baudoin, l'Etat intervient plus volontiers face à un ressortissant jugé pour trafic de drogue en Asie. La France pourrait d'ailleurs intervenir pour faire rapatrier ses ressortissants, ajoute-t-il : "La France a qualité pour juger ses terroristes. La vérité, c'est que les autorités françaises restent très frileuses parce qu'elles savent que l'opinion publique n'est pas favorable."