Dépendante militairement des Etats-Unis, l'Islande réfléchit à l'avenir de sa défense

À l’heure où les tensions s’intensifient dans l’Arctique, l’Islande, petit État sans armée, s’interroge sur sa dépendance militaire aux États-Unis et à l’Otan. Entre crainte de l’imprévisibilité américaine et rapprochement progressif avec l’Europe, l’île repense discrètement sa stratégie de défense.
A l'ombre de l'immense Groenland convoité par l'administration américaine, l'Islande, un petit pays sans armée, est obligé de repenser sa défense qui dépend du bon vouloir des États-Unis et de l'Otan.
Quelque 74% des 390.000 Islandais estiment que l'intérêt répété du président Donald Trump pour le Groenland et plus généralement l'Arctique constitue une menace pour leur île, selon un récent sondage publié par la télévision publique RÚV.
"Nous pouvons facilement nous mettre dans la peau des Groenlandais", souligne auprès de l'AFP, le député social-démocrate Dagur Eggertsson. La Maison Blanche n'a cependant fait montre d'aucun geste de bravade à l'égard de l'Islande.
"Trump menace le Groenland tous les jours mais ne dit rien de l'Islande", note Valur Ingimundarson, professeur d'histoire contemporaine à l'Université d'Islande, soulignant que son pays, s'il partage avec son voisin une position géographique stratégique ne regorge en rien des richesses fantasmées du sous-sol groenlandais.
Tout comme pour le Groenland, les liens militaires de l'Islande avec les Etats-Unis sont denses. Après s'être déployés sur cette île volcanique pendant la Deuxième guerre mondiale, les Américains ont signé en 1951 un accord de défense avec leur allié, comme eux membre fondateur de l'Otan.
Ce traité leur permet d'y maintenir des forces tout en laissant aux Islandais le droit de fixer le plafond de leurs effectifs et d'abroger unilatéralement l'accord, avec un préavis de 18 mois.
Des relations étroites en matière de sécurité et de défense entre l'Islande et les États-Unis
Dans les faits, si les Etats-Unis ont officiellement fermé leur base de Keflavik en 2006, ils y sont revenus dès l'invasion de la Crimée en 2014.
"La base n'a pas été officiellement rouverte en Islande mais les soldats américains sont là toute l'année, même si c'est par rotations", constate l'universitaire.
En ligne de mire, la défense des infrastructures sous-marines de télécommunications et d'énergie face à de potentiels sabotages russes ou chinois. Officiellement donc, aucune remise en cause de la présence militaire américaine et de la dépendance à celle-ci.
"L'Islande et les États-Unis entretiennent depuis longtemps des relations étroites en matière de sécurité et de défense, fondées sur des intérêts communs dans l'Atlantique Nord et l'Arctique", insiste le ministère des Affaires étrangères. "Il n'y a aucune raison de penser que cela va changer".
En outre, la création d'une armée islandaise a toujours été un "tabou". "Si le gouvernement l'inscrivait à l'ordre du jour cela provoquerait un débat public très conflictuel et les opposants (à une telle évolution) auront probablement le dessus", juge Valur Ingimundarson. Pourtant, le vent tourne lentement.
"La vision claire de l'après-guerre selon laquelle l'Europe ne devrait pas se réarmer mais se défendre sous l'égide de l'Otan et des États-Unis s'efface", estime le député, membre du parti de la Première ministre Kristrún Frostadóttir.
"Nous devons avoir comme plan B d'établir des relations de proximité avec l'Union européenne"
L'Islande, qui est en faveur d'une approche multilatérale en matière de sécurité, regarde de plus en plus vers l'Europe. Face à l'imprévisibilité de Donald Trump, "nous devons avoir comme plan B d'établir des relations de proximité avec l'Union européenne", insiste l'universitaire.
La diplomatie islandaise reconnaît d'ailleurs que les partenariats avec l'UE "devraient s'approfondir dans les années à venir". Pour le chercheur Valur Ingimundarson, "l'Islande soutiendrait sans hésiter une Otan européenne si les États-Unis se retiraient de l'Alliance".
Ce serait "l'option la plus simple", par rapport à une prise en charge par l'UE. "Cela ne requerrait pas de l'Islande qu'elle devienne un État membre de l'Union européenne si elle cherchait à se défaire de sa dépendance aux États-Unis", note-t-il.
Un référendum sur la reprise des négociations d'adhésion à l'UE suspendues en 2013 est prévu pour dans deux ans. Cependant, lorsqu'il s'agit de rejoindre l'Union européenne, les enjeux ne se limitent pas à la sécurité.
"Il s'agit aussi de prospérité économique, de droits de douane bas avec nos principaux partenaires commerciaux, de pêche et de bien d'autres choses encore", explique Dagur Eggertsson. Les politiques de pêche pourraient constituer le principal obstacle. L'Islande souhaite en effet un contrôle souverain absolu sur ses zones de pêche lucratives, l'épine dorsale de son économie.