Coalition populiste en Italie : "Ce n'est pas contre l'Europe, c'est pour le pays"

Giuseppe Conte (à droite), professeur de droit de 54 ans, est pressenti pour diriger le gouvernement selon la presse italienne.
Giuseppe Conte (à droite), professeur de droit de 54 ans, est pressenti pour diriger le gouvernement selon la presse italienne. © FILIPPO MONTEFORTE / AFP
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Selon Ludmila Acone, historienne et spécialiste de l'Italie, le futur gouvernement du pays veut tourner le dos à l'austérité pour remédier "aux problèmes des citoyens", sans "dimension de défi" vis-à-vis de l'Union Européenne.
INTERVIEW

 

Avant même l'annonce du nom du futur Premier ministre italien, attendue lundi, les relations du pays avec la France ont semblé se tendre, ce week-end. Le dirigeant du parti antisystème M5S (Mouvement Cinq Étoiles), Luigi Di Maio, a d'abord annoncé unilatéralement le blocage de l'énorme chantier de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, dans lequel Paris est pleinement engagée. Son nouvel allié, le leader de la Ligue, formation d'extrême droite, a quant à lui qualifié d'"inacceptables" les avertissements du ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire, qui s'était dit inquiet pour la stabilité de la zone euro. L'escalade se poursuivra-t-elle après la nomination de celui qui portera le "contrat de gouvernement" élaboré par les deux partis, comme le craignent beaucoup d'observateurs européens ? Deux mois et demi après la victoire des populistes aux élections, Europe 1 a interrogé Ludmila Acone, historienne et spécialiste de l'Italie.

A-t-on déjà vu une telle coalition diriger l'Italie ?

Non. C'est totalement inédit, même à l'échelle de l'Europe. Mais l'alliance bénéficie du soutien du peuple italien, comme le démontre le succès de leur contrat de gouvernement. Le Mouvement Cinq Étoiles l'a présenté via la plateforme en ligne qu'il utilise habituellement pour consulter ses membres : 94% ont dit 'oui'. La Ligue du Nord a opté pour un mode plus traditionnel avec des tables installées un peu partout dans le pays : 90% des votants se sont dits favorables au contrat. Et selon un récent sondage, au-delà des sympathisants de ces deux formations, six Italiens sur dix sont d'accord avec ce projet. Sept semaines après les élections, la population est toujours derrière les deux partis arrivés en tête du scrutin.

Le futur gouvernement aura-t-il les mains libres pour mettre en place ce programme ?

En termes de sièges au parlement, l'alliance est majoritaire (le M5S a obtenu 32% des voix, la Ligue 17%, ndlr), donc sur le papier, rien n'empêche la mise en oeuvre des mesures annoncées. Mais il peut y avoir des grains de sable sur le chemin. En Italie, la coalition fera face à l'opposition du parti démocrate mais aussi de Silvio Berlusconi, l'ancien allié de la Ligue. Et à l'échelle européenne, on peut craindre d'éventuelles mesures de rétorsion.

La politique affichée semble en effet résolument anti-européenne…

Ce qui est certain, c'est qu'il y a une prise de distance claire vis-à-vis de l'austérité et de la politique européenne en matière économique. C'est un changement d'orientation total, du point de vue de la souveraineté mais aussi de la place accordée aux problèmes des citoyens, au sens large. Les partis de la coalition partent d'une donnée réelle, qui est l'état du pays. Leur préoccupation principale, c'est d'y remédier, en remettant l'Italie au centre : ce n'est pas contre l'Europe, c'est pour l'Italie. Il n'y a aucune dimension de défi.

Sur le fond, il n'y a d'ailleurs pas de cassure vis-à-vis de l'Europe : contrairement à ce que proposait encore le Mouvement Cinq Étoiles il y a quelques semaines, il n'y aura pas de référendum sur une éventuelle sortie de l'Union européenne. Le contrat de gouvernement ne prévoit pas non plus d'abandonner l'Euro. Il prévoit en revanche la renégociation de certains traités européens, notamment concernant la politique agricole commune.  

Il est également important de noter que l'attitude des deux partis est rassurante du point de vue du respect des institutions, et notamment des prérogatives du président de la République (qui doit valider le choix du Premier ministre, ndlr). Les noms qui circulent pour diriger le gouvernement ne sont pas ceux de technocrates, mais d'hommes expérimentés, qui ont déjà mené des négociations.  

Politique de croissance, retraite anticipée et main tendue à Moscou : ce que prévoit le contrat de gouvernement

Le document largement validé par les sympathisants des deux formations coalisées promet une politique de croissance plutôt que d'austérité pour combler les déficits et un tour de vis sécuritaire, anti-immigrés et anti-islam. Dans le détail, les partis prévoient notamment d'abaisser l'âge de la retraite, qui devait passer à 67 ans en 2019 : désormais, il sera possible pour un Italien de cesser le travail quand la somme de l'âge et des années de cotisation aura atteint le chiffre de 100. Des baisses d'impôts draconiennes et un "revenu de citoyenneté" de 780 euros par mois sont également prévus, tout comme la fin des sanctions contre la Russie, et l'interdiction pour les francs-maçons d'entrer au gouvernement.