La torture, arme de guerre en Syrie

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Solène Cordier , modifié à
INTERVIEW - Des milliers de femmes et d’enfants sont concernés selon l’ONG Human Rights Watch.

L'ONG Human Rights Watch (HRW) a publié mardi un rapport intitulé "L’archipel de la torture: arrestations arbitraires, torture et disparitions forcées dans les prisons clandestines de Syrie depuis mars 2011". A partir de plus de 200 témoignages de victimes, l'organisation humanitaire révèle que les services de renseignement syriens ont mis en place un réseau de 27 centres de torture où les détenus sont battus, brûlés ou encore agressés sexuellement.

Jean-Marie Fardeau, directeur France de HRW, livre son analyse de ce rapport à Europe1.fr.

Le rapport de Human Rights Watch dresse un panorama de la pratique de la torture en Syrie. Quelles particularités avez-vous observé ?

Ce sont malheureusement des pratiques qui se retrouvent ailleurs dans le monde, lors d’autres conflits. On note toutefois au moins deux spécificités dans l’usage de la torture en Syrie. Sur les centaines de milliers de personnes torturées, on compte des milliers de femmes et d’enfants.

Une autre particularité effroyable est que l’objectif de ces tortures n’est pas d’obtenir des renseignements sur telle ou telle manœuvre des rebelles, mais bien d’écraser, d’humilier, de détruire la population. Les témoignages que nous avons recueillis prouvent que les autorités ne procèdent pas à des interrogatoires de questionnements mais bien de répression.

Peut-on dire que le régime de Bachar el-Assad utilise la torture comme une arme de guerre ?

L’expression me paraît appropriée. De la même manière que le viol est parfois utilisé comme arme de guerre, la torture en Syrie a également cette vocation depuis un an. D’autant que le président Assad lui-même a déclaré il y a quelques jours que son pays était en guerre.

Dès les premiers mois de la répression, en octobre et en novembre 2011, notre organisation avait reçu les témoignages de Syriens qui faisaient état de tortures systématiques, dans certaines zones du pays, comme à Homs par exemple.

Qui sont les responsables de ces actes de torture ?

Nous donnons ici les noms de 14 responsables des 27 centres de détention clandestins connus où ces actes de tortures sont perpétrés. Ces personnes s’exposent à des poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale (CPI) si un jour elle était saisie.

Les chaînes de commandement, clairement identifiées dans notre rapport, prouvent que non seulement les responsables des centres de détention mais également les ministres syriens et le président Bachar el-Assad sont impliqués. Or, la Convention internationale contre la torture prévoit que peuvent être poursuivis tous ceux qui "commettent ou laissent commettre avec la possibilité de les empêcher" des actes de tortures.

Vous évoquez dans votre rapport des "crimes contre l’humanité". A quelles sanctions de la communauté internationale le régime syrien s’expose-t-il ?

La reconnaissance de ces actes de tortures permet de poursuivre leurs auteurs sans saisine de la CPI. En effet, dans le droit international, le crime de torture est identifié depuis 1984 dans la Convention internationale contre la torture.

Tous les pays signataires, à l'image de la France peuvent dès lors engager des poursuites contre les auteurs présumés de tortures de passage sur leur territoire.