Kammenos, le surprenant allié de Syriza en Grèce

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Alexis Tsipras a passé alliance avec le groupe des Grecs indépendants au parlement pour s'assurer la majorité absolue. Une aubaine politique pour Panos Kammenos, leader haut en couleurs de cette formation de droite souverainiste.

Il a le verbe haut et le ventre rebondi, le ton enflammé et une gestuelle très latine. Panos Kammenos, fondateur de l'ANEL, le parti de droite des Grecs "indépendants", est un personnage aussi truculent que polémique. Il est surtout devenu un personnage clé du paysage politique grec depuis qu'Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre fraîchement élu, a passé alliance avec lui pour s'assurer le soutien des parlementaires membres de l'ANEL. Au nombre de 13, ils permettent à Syriza, la formation de gauche radicale grande vainqueur des élections législatives, de s'assurer une majorité absolue. Et une certaine stabilité politique, en théorie du moins.

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Du parti conservateur au souverainisme. Car Panos Kammenos n'est pas vraiment le roi de la stabilité. Membre du parti conservateur Démocratie Nouvelle et élu au Parlement sous cette étiquette depuis 1993, celui qui se définit lui-même comme un "patriote" a quitté le parti en 2012. Une rupture inévitable pour ce grand pourfendeur des politiques d'austérité menées par le gouvernement d'alors. Surprenant quand on sait que cinq ans auparavant, il se faisait décorer de l'ordre du mérite par Nicolas Sarkozy, partisan de la rigueur budgétaire. Jamais dans la demi-mesure, Panos Kammenos crée donc son propre parti, celui des Grecs indépendants (ANEL) en 2012, lors d'un meeting organisé à Distomo.

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Complotisme et néonazisme. Distomo, c'est l'équivalent grec d'Oradour-sur-Glane, un village-martyr décimé par les nazis en 1944, rappelle le journal britannique The Independent (en anglais). Panos Kammenos avait réclamé de nouvelles réparations de guerre à l'Allemagne, avant de pointer du doigt la responsabilité du gouvernement d'Angela Merkel, qu'il qualifie de "gouvernement néonazi" dans le déclin économique grec. Pas avare en déclarations fracassantes, Panos Kammenos avait alors affirmé que la Grèce était "victime d'un complot international", comme Le Monde l'explique d'ailleurs.  

Pas à une contradiction près. Manier les mots et les symboles, voilà le credo de Panos Kammenos. Au risque que ses paroles et ses actes se retrouvent parfois en contradiction. Ministre du commerce maritime dans un gouvernement conservateur en 2008, il avait par exemple été le principal artisan de la concession du port du Pirée aux investisseurs chinois. Ce qui ne l'empêchait pas d'arborer fièrement un t-shirt "la Grèce n'est pas à vendre" en 2010… Plus qu'une ligne politique, une obsession, que le manifeste de son parti rappelle sans ambages : Panos Kammenos veut "mettre fin à l'humiliation nationale et aux attaques économiques violentes" subies par la Grèce.

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Chasse à la corruption et détournement de fonds européens. Autre contradiction que ne manquent pas de souligner ses adversaires politiques, son intransigeance avec les élus grecs accusés de corruption. Cet économiste de formation, qui a étudié à l'université de Lyon, a été épinglé par la presse : il est accusé d'avoir acheté un yacht pour sa famille via des sociétés offshore et d'avoir détourné des fonds européens pour transformer la maison de sa belle-mère en résidence touristique.

Conservatisme social et polémiques. Panos Kammenos ne laisse indifférent ni dans sa vie privée, ni dans ses prises de position publiques. Parmi ses déclarations les plus polémiques, la défense de "la primeur de l'Histoire et de la culture grecque". Pour ce faire, il veut limiter drastiquement l'immigration (la population immigrée ne devrait pas représenter plus de 2.5% de la population grecque, précise le texte), et redonner un rôle central à l'Eglise orthodoxe dans les politiques familiale et éducative. A la télévision, il a déploré que l'Eglise paye tant d'impôts tandis que "les bouddhistes, les juifs et les musulmans" n'en faisaient pas autant. Enfin, le politicien de 49 ans est opposé aux unions homosexuelles.

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Alliance contre nature ? Autant dire que l'alliance avec Alexis Tsipras, qui a prêté serment sans s'acquitter de l'aspect religieux de la cérémonie, étonne et détonne. Une alliance d'autant plus surprenante que Kammenos, qui brigue ouvertement le poste de ministre de la Défense dans le nouveau gouvernement, aimerait que l'Etat investisse plus dans l'armée et que la Grèce s'intègre encore un peu plus dans l'OTAN. Des positions radicalement opposées à celle du Premier ministre. Néanmoins, l'union entre les deux hommes se scelle autour du cœur du débat politique grec : l'attitude à adopter face aux réformes d'austérité demandées par la troïka.

Kammenos

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Front commun contre l'austérité. Et sur ce point au moins, les deux hommes se rejoignent dans leur refus de plier face aux injonctions extérieures. Ce qui fait dire à Nicolas Dupont-Aignan que Panos Kammenos "n'est pas un nationaliste au mauvais sens du terme" : "il est profondément patriote, et amoureux des nations, il n'est pas anti-européen, il est anti-UE telle qu'elle fonctionne actuellement. C'est différent", poursuit le président de Debout la République sur le site de Francetvinfo.

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Ce rapprochement n'est donc pas si étonnant, d'autant plus qu'il avait déjà failli avoir lieu en 2012, lorsque le pays se trouvait en pleine impasse politique. Tsipras avait proposé de former une alliance avec l'ANEL. Et provoqué par la même occasion un tollé dans ses rangs. Le Monde rapporte que Dimitris Papadimoulis, un député de la gauche radicale avait alors dit : "Le passé et les opinions de Kammenos le placent à la droite de Nouvelle démocratie, rendant impossible une collaboration post-électorale." Deux ans plus tard, la donne semble avoir changé.