Algérie : la Kabylie, repaire de terroristes

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 MAQUIS - Cette région du nord de l’Algérie est un repère privilégié pour les terroristes. Pourquoi ? Explications.

De la "décennie noire" à Hervé Gourdel, 25 ans de lutte armée. La mort d’Hervé Gourdel en est une preuve supplémentaire, la Kabylie est une région dangereuse. Selon les autorités algériennes, plus de 80 enlèvements ont été constatés depuis 2005 dans la seule province de Tizi Ouzou, la deuxième ville de Kabylie. Des rapts et des exécutions symboles du régime de la terreur qui règne dans certains villages depuis bien longtemps.

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Voilà plus de deux décennies que l’armée nationale populaire algérienne (ANP) est empêtrée dans le maquis de Kabylie. Vingt cinq ans de lutte anti-terrorisme au cours desquelles les soldats de l’ANP ont ferraillé contre de nombreuses organisations : le Groupe Islamiste Armé (GIA), redoutable adversaire pour le gouvernement d’Alger durant la "décennie noire" des années 90, puis le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) devenu aujourd’hui Al-Qaïda au Maghreb Islamique. Et enfin Jund Al-Khilafa, un nouveau groupe affilié à l’Etat islamique, qui revendique l’assassinat d’Hervé Gourdel.

>> Pourquoi la Kabylie est-elle une base arrière idéale pour ces organisations ?

Parce que son relief montagneux favorise la guérilla. C’est d’abord pour sa topographie que la Kabylie est un refuge propice aux organisations terroristes. Ce n’est pas un hasard si Hervé Gourdel se trouvait dans le nord du massif du Djurdjura : il recèle la plus grande chaîne montagneuse du pays, qui culmine à plus de 2.300 mètres d’altitude. Un délice pour les touristes amateurs d’alpinisme, mais aussi un repère idéal pour les djihadistes. Les routes sinueuses serpentent entre les montagnes dont les pentes abruptes abritent grottes, sentiers escarpés et falaises imprenables.

La configuration géographique de la région ne permet pas à une armée régulière de vaincre ces groupuscules, en dépit de leur supériorité matérielle et numérique. Un universitaire de Tizi Ouzou, cité par le quotidien algérien El Watan, affirme qu’il faudrait déployer "d’énormes moyens et mettre en place une stratégie de lutte plus efficace" pour "combattre la nébuleuse terroriste". Incapables de détruire leurs cibles, les soldats algériens ne peuvent que les circonscrire dans le massif du Djurdjura, au sud de la Kabylie.

Soldat-algérien

© Reuters

Ce relief montagneux a toujours permis aux opposants au régime en place de s’organiser et d’opérer dans les grandes villes du pays. Pendant la guerre d’Algérie, la Kabylie était l’une des têtes de pont du nationalisme algérien et du FLN. L’une des régions les plus dangereuses pour l’armée française qui n’a d’ailleurs jamais réussi à contrôler le secteur à l’époque. Mais depuis les années 90, un tout autre genre d’organisation s’ est implanté dans le massif. Le GIA, qui engage alors une guerre sanglante contre le régime de Bouteflika (60.000 civils tués entre 1991 et 2000), puis Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les spécialistes estiment d’ailleurs que le leader d’AQMI, l’émir Abdelmalek Droukdel, opère depuis les montagnes de Kabylie.

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Parce que la population reste en retrait de la lutte anti-terroriste. La population kabyle, berbérophone et non arabophone, rejette aussi bien le terrorisme islamique que le gouvernement d’Alger, un pouvoir jugé trop centralisateur et corrompu. Outre l’aspect linguistique et culturel, plusieurs contentieux subsistent entre le régime de Bouteflika et la population kabyle. Le "printemps noir" d’avril 2001 reste un traumatisme majeur pour les habitants de la région. A l’époque, 126 manifestants avaient été tués par les forces de l’ordre, explique le Huffpostmaghreb. En résulte une attitude passive de la population qui ne coopère ni avec l’armée, ni avec les terroristes.     

>> Quelles sont les conséquences de cette forte présence terroriste dans la région ?    

Un sentiment d’insécurité persistant pour les habitants. Les attaques, explosions et pièges tendus par les groupuscules terroristes à l’armée algérienne font souvent des victimes parmi les habitants de la région qui subissent aussi des intimidations. Selon Tamurt.info, les terroristes conseilleraient aux villageois qu’ils croisent de "se coudre la bouche et de se boucher les oreilles". Plusieurs agriculteurs ont également été blessés par des bombes artisanales pendant leur travail,alimentant un sentiment d’insécurité parmi les populations qui ne croient plus en la capacité d’intervention de l’armée algérienne.

gourdel

© Reuters

Le développement du rapt-business. Outre les attaques lancées contre l’armée, pour financer leur organisation, les terroristes ont développé ces dernières années ce que la presse algérienne appelle l’industrie de l’enlèvement, comme le rappelle le Huffpostmaghreb dans un autre article. Comme toute industrie, ces rapts sont réalisés à grande échelle, puisque l’ancien ministre de l’intérieur algérien Azid Zehouni avait affirmé que 115 enlèvements liés au terrorisme avaient été perpétrés en 2007. Un business qui fait des victimes chez les touristes, mais aussi chez les locaux, puisqu’un homme de 70 ans a été enlevé en juillet dernier dans son village de Beni Zmenzer. Le septuagénaire n’est pas la seule victime de ce crime organisé destiné à ramener de l’argent et de la visibilité à ces groupuscules. Plusieurs personnes kidnappées avaient déjà été assassinées avant Hervé Gourdel.  

Le seul changement majeur avec Jund Al-Khilafa, le groupe qui revendique l’assassinat de l'otage français, c’est qu’il s’inscrit désormais dans une international terroriste qui gravite autour de l’Etat islamique autoproclamé. Pour Louisa Aït-Hamadouche, politologue à l’université d’Alger, cette différence qui devrait permettre au pouvoir central "d’inscrire ce rapt dans un contexte international afin de se dédouaner ou d’amoindrir sa propre responsabilité."