Qui est le "dentiste de l'horreur" jugé depuis mardi ?

"Mark" Van Nierop en octobre 2014 devant la justice de son pays, aux Pays-Bas.
"Mark" Van Nierop en octobre 2014 devant la justice de son pays, aux Pays-Bas. © AFP
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PORTRAIT - Le Néerlandais est jugé depuis mardi pour avoir mutilé des dizaines de patients durant quatre ans, à Château-Chinon, dans la Nièvre. 

Elle est "très angoissée à l'idée de revoir" "Mark" Van Nierop. Nicole Martin a même "un peu la trouille" confiait son avocat, Me Charles Joseph-Oudin, lundi à la veille de l'ouverture du procès du "dentiste de l'horreur". Dents saines arrachées, infections à la pelle, anesthésies de cheval, bridges ou couronnes mal adaptés... "Soignés" entre mai 2008 et septembre 2012 à Château-Chinon, dans la Nièvre, les patients du Néerlandais ont payé le prix fort.

Depuis mardi, et pendant dix jours, Jacobus Marinus Van Nierop de son vrai nom comparaît devant le tribunal correctionnel de Nevers, pour "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente", "escroquerie" et "faux et usage de faux". Il encourt dix ans de prison et 150.000 euros d'amende. Retour sur un personnage trouble qui a longtemps dupé son monde.

Un "gourou". "Il avait développé une emprise psychologique sur ses patients" explique à Europe 1 Me Charles Joseph-Oudin, conseil du collectif dentaire du Morvan, au sein duquel sont regroupées 120 victimes. "Pour moi, c'est un gourou", abonde la présidente de l'association Nicole Martin, évoquant une "emprise morale" dont "on ne peut plus se sortir". Lors de sa dernière consultation, fin décembre 2011, cette ancienne professeure est même venue avec son mari : "Je ne savais pas comment j'allais lui dire que je ne viendrai plus. J'avais besoin d'être accompagnée pour couper le fil", glisse-t-elle.

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Il avait développé une emprise psychologique sur ses patients

Huit dents arrachées en une séance. Sa première rencontre avec "l'arracheur de dents" remonte à février 2011. Un plombage défectueux et elle est "tombée dans l'engrenage". Rendez-vous sur rendez-vous, des dents dévitalisées, puis des couronnes mal posées. Depuis, Nicole Martin vit avec un "trou dans la bouche" et un blocage psychologique indépassable. Pour d'autres, le rythme s'élève jusqu'à 15 ou 20 consultations sur huit mois de "soins", et le bilan s'alourdit davantage.

Comme pour Sylviane et ses huit dents arrachées en une seule séance ou Bernard, plus de quinze visites au compteur et un appareil dentaire livré directement… dans sa boîte aux lettres. Des victimes à "95% féminines", pointe Nicole Martin qui décrit un "homme autoritaire", "macho". Est-ce parce qu'on était plus fragiles ? s'interroge-t-elle, tout en se réjouissant que ce soit "nous, les femmes, qui l'ayons emmené au tribunal".

La "confiance" de la blouse blanche. Pourtant, "Mark" Van Nierop a longtemps joui d'une réputation sans faille. Ses débuts à Château-Chinon, petite commune d'un peu plus de 2.400 habitants, sont flamboyants. Lorsque son cabinet est inauguré le 3 novembre 2008, le Néerlandais est accueilli comme un sauveur. Car la ville, enclavée dans les collines du Haut Morvan et dont François Mitterrand fut maire 22 ans, n'a plus de praticien depuis des années.

Introduit par les autorités locales après avoir été 'casté' par un compatriote chasseur de tête parfaitement établi dans le coin, le charismatique dentiste disposait donc auprès de ses patients de "la confiance dont bénéficie un notable", mais aussi de "la confiance légitime à laquelle la blouse blanche a droit", explique Me Charles Joseph-Oudin.

Piscine, cigares et cave de grands crus. Grand, taillé comme un athlète, l'homme se montre affable et a la prestance d'un "notable de province qui en impose", poursuit l'avocat. Celui que les résidents du coin appellent "le châtelain" mène grand train. Au volant de son rutilant 4x4 à 72.000 euros, Van Nierop ne passe jamais inaperçu.

Cigare aux lèvres, le colosse fait tailler ses costumes sur mesure, collectionne plus de 2.000 bouteilles au frais dans la cave à vins de sa fastueuse demeure. Dans cette grande maison de Montsauche-les-Settons, à une vingtaine de kilomètres de son cabinet, il a aussi fait construire piscine et jacuzzi.

Interdit d'exercer aux Pays-Bas. A l'époque, personne n'a connaissance de ses antécédents aux Pays-Bas. Là-bas, Jacobus Marinus Van Nierop fait déjà l'objet de poursuites disciplinaires, consécutives à des plaintes de patients. "Il a même été interdit d'exercer durant un an", précise Nicole Martin, l'une de ses victimes. Au cabinet dentaire de Château-Chinon, sa femme Caroline œuvre à ses côtés. La belle blonde officie en tant que prothésiste.

En réalité, elle n'a suivi qu'une courte formation en Thaïlande, où le couple se fournit pour l'ensemble du matériel médical. En mars 2011, les choses se gâtent. L'Ordre des chirurgiens-dentistes de la Nièvre porte plainte contre l'épouse pour exercice illégal de la profession. Très vite, les témoignages affluent et les victimes, réunies entre elles dès la fin 2012, mesurent l'ampleur du carnage.

Escroquerie à la Sécurité sociale. D'autant que "le boucher", comme il fut aussi surnommé, ne se contentait pas de charcuter ses patients. Il aurait également arnaqué la Sécurité sociale, les assurances et les mutuelles de ses patients, surfacturant certaines de ses prestations ou déclarant des soins n'ayant jamais été pratiqués. Car il fallait bien assurer le financement du train de vie dispendieux du couple.

"Nous n'étions que des cartes bancaires", dénonce Nicole Martin pour qui "la plaisanterie" a coûté près de 5.000 euros. Certains ont contracté des prêts à hauteur de plusieurs milliers d'euros. Les Néerlandais, très nombreux à être séduits par la nature boisée du Morvan, n'ont pas été épargnés : il avait "une grande facilité à demander de grosses sommes à ses compatriotes qui ont l'habitude de payer comptant", indique Me Joseph-Oudin.  

En fuite au Canada. Au printemps 2013, le parquet de Bourges décide de la mise en examen de "Mark" Van Nierop et de son placement sous contrôle judiciaire. Quelques mois plus tard, il prend la poudre d'escampette, direction le Canada où il est interpellé en septembre 2014. Après un passage aux Pays-Bas, où il est expulsé, le "dentiste de l'horreur" est extradé vers la France et incarcéré en janvier 2015 .

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Nous n'étions que des cartes bancaires

"Narcissique, pervers". Aujourd'hui âgé de 51 ans, il va devoir s'expliquer devant la justice. Ce n'est pas faute d'avoir imaginé nombre de pirouettes pour tenter d'y échapper. Van Nierop a fait croire qu'il s'était blessé le bras, alors qu'une fois passé le bourg, il reprenait le volant ; s'est accusé d'avoir tué sa précédente femme ; invoque désormais des troubles d'identité sexuelle… Il assure être dépressif, révèle des tendances suicidaires. A son sujet, les experts psychologues notent une "pathologie narcissique" et "un fonctionnement de type pervers", assortis d'un "défaut majeur de compassion". 

Au tribunal, son profil intriguant sera donc au cœur des débats. Contactée par Europe 1, Me Delphine Morin-Meneghel a refusé de s'exprimer sur son client. En janvier dernier, elle avait déclaré au Journal du Centre : "il reconnaît n’avoir pas bien travaillé. Après, il considère qu’il n’est pas le personnage horrible que certains ont décrit". Du côté des parties civiles, on espère découvrir "les motivations et le fonctionnement psychologique de ce Monsieur" au cours de ce procès, déclare Me Joseph-Oudin. Il complète : "on est effarés par la quantité de fadaises qu'il est capable d'inventer". En attendant, Château-Chinon n'a toujours pas retrouvé de dentiste.