Déni de grossesse et infanticide : de quoi parle-t-on ?

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L'enquête se poursuit pour tenter d'élucider la découverte effectuée jeudi à Louchats, où cinq corps de bébés ont été trouvés. La piste du déni de grossesse suivi d'un homicide est évoquée.

Déni de grossesses suivi d'infanticides multiples ? C'est l'une des pistes étudiées par les enquêteurs, après la découverte de cinq corps de bébés, retrouvés dans un sac isotherme et un congélateur. Si les faits sont avérés, il s'agirait de la plus grave affaire d'infanticide en France depuis cinq ans. A l'époque huit cadavres de nourrissons avaient été retrouvés dans le jardin de Dominique Cottrez. L'affaire de bébés congelés la plus médiatisée avait, elle, éclaté en 2006 quand Jean-Louis Courjault avait découvert les corps de deux nouveau-nés dans son congélateur. Sa femme, Véronique a part la suite avoué un autre infanticide, avant d'être condamnée à huit ans d'emprisonnement en juin 2009 et libérée en mai 2010. Autant d'affaires qui mettent en lumière un phénomène peu connu du grand public : le déni de grossesse.

"Une grossesse inconsciente". Le déni de grossesse n’a été reconnu qu’en 1898, en Angleterre par le psychiatre Georges Gould, qui nomme à l'époque le phénomène sous le terme de "grossesse inconsciente". A l'époque, le déni de grossesse n'intéresse pas et ne fait l'objet d'aucune recherche. Même les spécialistes estiment que ces dénis de grossesse ne sont rien d'autres qu'un mensonge des femmes enceintes. Ce n'est que plusieurs années plus tard, avec le développement de la psychanalyse, que le terme déni est reconnu. Il désigne alors "les mécanismes qui consistent à refouler ou exclure hors de la conscience les représentations déplaisantes ou intolérables", que suscite dans le cas précis la grossesse chez certaines femmes, selon Jacques Dayan, docteur en psychologie, qui avait écrit une tribune dans Libération sur la question.

"Elles n'ont pas psychiquement compris que c'était un bébé". En d'autres termes, certaines femmes, parce qu'elles se sentent incapables d'être enceinte, ou parce qu'elles refusent de l'être, ne vont pas s'apercevoir de leur grossesse. Il existe toutefois plusieurs réalités derrière ce terme. Certaines femmes vont prendre conscience de leur grossesse après plusieurs mois. D'autres seront dans un déni total, c'est-à-dire qu'elles s'apercevront de leur grossesse quelques jours avant d'accoucher, voire même au moment de l'accouchement. "Quand elles accouchent et que quelque chose sort de leur corps, ces femmes expliquent en expertise, qu'elles ne l'ont pas vu. Elles n'ont pas psychiquement compris que c'était un bébé", détaille ainsi Hélène Romano, docteur en psychopathologie, interrogée par Europe 1.

Le déni, une façon de protéger l'enfant. Bien souvent, le déni de grossesse est une manière de protéger l'enfant. "L’inconscience de la grossesse aura permis généralement de la conduire jusqu’à son terme alors même que les circonstances étaient défavorables (jeunes filles vivant encore au domicile parental, difficultés de couple, etc.). L’enfant est alors presque toujours en bonne santé et les relations entre mère et enfant, bien que peu étudiées, semblent bonnes après un délai nécessaire à la mise en place des processus d’attachement", détaille Jacques Dayan.

Du déni à l'homicide, des cas très rares. Mais parfois, le lien entre l'enfant et sa mère ne se fait jamais. En effet, dans 1% des cas, le dénis de grossesse mènerait au passage à l’acte homicide. "Ça paraît tout à fait fou, ça paraît tout à fait incroyable. Mais, pour ces femmes, ce n'est pas un bébé, c'est un objet. Au moment de l'accouchement, il y a quelque chose de l'ordre de la dissociation : elles ne sont plus elles mêmes, elles ne sont plus dans la réalité", explique Hélène Romano.

Des enfants qui ne sont pas les bienvenus. Le contexte familial explique dans certains cas le passage à l'acte de ces mères infanticides. "L’isolement social ou familial, voire l’hostilité de l’environnement, la précarité, un faible niveau culturel, une pensée 'magique', ou l'un de ces  facteurs, caractérisent encore la majorité des mères infanticides, indépendamment de tout déni", constate Jacques Dayan. Dans le cas précis de l'infanticide présumé en Gironde, on a affaire à un couple modeste, avec un père ouvrier agricole et une mère employée chez un pépiniériste.

"Elles laissent une preuve". Par ailleurs, certaines mères infanticides gardent le cadavre de leur enfant à proximité, sans chercher à s'en débarrasser véritablement. "Pour d'autres femmes qui ont congelé leur bébé, c'est une façon de figer dans le temps ce moment-là. Certaines vont avoir besoin de retourner voir, comme pour se convaincre que ça a existé, comme une tentative de raccrocher à la réalité. Elles ne cherchent pas à supprimer leur passage à l'acte, comme le font d'autres, quand elles font disparaître les corps. Elles laissent une preuve", remarque Hélène Romano, qui assure que ces femmes sont en parallèle "des mères aimantes, bien inscrites dans la vie sociale".

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