Soupçons de viols en Centrafrique : que dit l'enquête ?

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avec Gwendoline Debono et Didier François , modifié à
LE POINT - Un rapport de l'ONU met en cause des soldats français en Centrafrique. Le parquet de Paris a précisé avoir ouvert une enquête en juillet 2014 sur ces abus sexuels présumés sur des mineurs.

Si les faits sont avérés, ils pourraient provoquer un véritable séisme dans l'armée française. Une enquête judiciaire a été ouverte après les révélations d'abus sexuels présumés sur des enfants, victimes de soldats français déployés en Centrafrique. Pour l'heure, trois militaires suspectés d'avoir pris part à ces abus sexuels ont été identifiés, mais n'ont pas encore été entendus. Les faits avaient été dénoncés dans un rapport interne de l'ONU, basé sur les témoignages d'une dizaine d'enfants. Selon The Guardian, Anders Kompass, un employé de l'ONU, a récemment été suspendu pour avoir dévoilé ce rapport. Lors d'une conférence de presse jeudi, un porte-parole du ministère de la Défense a, pour sa part, assuré qu'il n'y avait "pas de volonté de cacher quoi que ce soit". François Hollande a, lui, promis "des sanctions exemplaires".

Que dénoncent les enfants ? Le document, qui s'intitule Abus sexuel sur des enfants par des forces armées internationales, décrit des viols sur une dizaine d’enfants, âgés de 9 à 13 ans. Les faits se seraient déroulés entre décembre 2013 et mai 2014, aux abords du tarmac de la piste de l’aéroport de Bangui, la capitale centrafricaine. À l’époque, c’est à cet endroit que les habitants s'étaient réfugiés pour échapper aux tueries, notamment parce que l’aéroport abritait aussi une base militaire française.

C'est une femme des Nations Unies qui a recueilli les témoignages des six victimes présumées après qu'une ONG sur place ait alerté l'ONU. Parmi ces six enfants, quatre disent avoir été victimes de viols, deux autres expliquent avoir été témoins de ces abus. Ils mettent en cause une quinzaine de militaires français, mais aussi des soldats sous mandat onusien, venus du Tchad et de Guinée équatoriale. D’après les six témoignages, les viols, commis sur "de jeunes garçons sans abri et affamés", étaient pratiqués en échange de rations militaires.

"Certains enfants ont été capables de donner les surnoms par lesquels les soldats leur demandaient d'être appelés. Mais aussi d'identifier des caractéristique physiques précises : la couleur de peau, la couleur des cheveux, les tatouages. Lorsque des enfants accusent des adultes d'abus sexuels, il faut faire tous les efforts pour retrouver les agresseurs. A ce jour, rien n'indique que l'ONU ait apporté beaucoup d'aide aux autorités qui enquêtent, ou même les éléments dont ils ont besoin", regrette Paula Donovan, directrice d'une ONG qui a consulté ce rapport confidentiel, interrogée par Europe 1.

Qui a fait fuiter l'affaire ? C'est dans le cadre d'une enquête interne ouverte au printemps 2014 par l'ONU que ces témoignages ont été recueillis. Quelques mois plus tard, en juillet 2014, Anders Kompass transmet, en sous main, le rapport d'enquête au commandant de la force Sangaris. Stupeur du côté des officiers, qui préviennent immédiatement leurs supérieurs, à Paris.

Où en est l'enquête ? Le jour même, deux procédures sont lancées, comme c'est généralement le cas dans des affaires criminelles. D'un côté, le ministre de la Défense saisit le parquet de Paris qui ouvre alors une enquête préliminaire. Elle est confiée à la prévôté, qui remplit le rôle de police judiciaire militaire, ainsi qu'aux gendarmes de la section de recherches de Paris. "L'enquête est en cours avec des demandes d'entraide à l'international", a indiqué le ministère qui "a pris et prendra toutes les mesures nécessaires pour la manifestation de la vérité".

De l'autre côté, le chef d'Etat major déclenche, lui, une enquête de commandement, qui relève de l'Inspection des armées. Le soir même, l'inspecteur général prend l'avion pour interroger sur place tous les officiers, sous-officiers et soldats. L'enquête dure une dizaine de jours et, selon le rapport d'enquête remis aux autorités militaires, elle ne permet pas de conclure à une faute collective.

Mais l'enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris a, elle, évolué depuis. Les autorités françaises ont en effet demandé en juillet dernier la possibilité d'interroger la femme de l'ONU qui a questionné les enfants. A l'époque, les Nations Unies ont demandé à la France de leur transmettre une liste de questions écrites. Et il a fallu 9 mois à l'ONU pour remplir ce questionnaire qui est arrivé mercredi sur le bureau des enquêteurs français. Trois militaires suspectés d'avoir pris part aux abus sexuels ont donc pu être identifiés.

Le même jour, mercredi, le ministère de la Défense a déclassifié l'enquête de commandement, c'est-à-dire les investigations internes que l'armée a mené sur le dossier. Des investigations transmises à la justice qui venait seulement d'en faire la demande. Cela va permettre aux magistrats de savoir si la hiérarchie militaire a interrogé les trois soldats identifiés dès l'été dernier. De son côté, la justice ne les a pas encore questionnés, elle attendait pour cela d'avoir un dossier solide, notamment sur les conditions de recueil des témoignages des six enfants. Un élément que l'ONU n'a pas souhaité communiquer. A ce stade, aucun des enfants cité dans le rapport n'a donc pu être interrogé par les enquêteurs.

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