ÉDITO - Affaire Legay : "Si le procureur a menti, cela jette une ombre très gênante sur leur indépendance à l'égard du pouvoir"

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Chaque matin, Laurent Joffrin a carte blanche pour nous éclairer sur un sujet qui l'a marqué dans l'actualité.

C'est une petite phrase extraite d'une audition de justice qui pourrait causer un grand scandale.

Oui, Jean-Michel Prêtre, procureur à Nice, y confesse tout benoîtement qu'il a menti au public pour rendre service au président de la République. Si la chose est avérée – et pour l'instant il n'y pas eux de démenti à l'article du Monde qui révèle cet aveu – voilà qui jette une ombre très gênante sur l'indépendance des procureurs à l'égard du pouvoir politique.

Rappelez-nous les faits qui ont déclenché cette affaire.

Le 23 mai à Nice, pendant une manifestation de "gilets jaunes" - manifestation interdite - une retraitée de 73 ans, Geneviève Le Guay, membre de l'association Attac, est grièvement blessée à la suite d'une charge policière. Deux jours plus tard, le président de la République interrogé sur ce grave incident, affirme que la victime "n'a pas été en contact" avec des policiers et souhaite à la septuagénaire "une forme de sagesse". Ces propos avaient aussitôt déclenché une polémique, dans la mesure où cette manifestation, quoi qu'interdite, était restée pacifique. On avait alors accusé la police d'avoir usé d'une violence disproportionnée pour disperser les protestataires.

Quelques heures plus tard, pendant une conférence de presse, Jean-Michel Prêtre, procureur à Nice, confirme les propos d'Emmanuel Macron. Sur la base des vidéos et des témoignages dont il dispose, il affiche deux certitudes : certes la militante d’Attac, victime d’un traumatisme crânien, n’est pas tombée "toute seule". Mais il ajoute : "Ce dont on est sûr aussi, c’est qu’elle n’a pas été touchée par les forces de sécurité." Il évoque un "cameraman", une autre manifestante et une personne "avec une casquette marron", qui auraient pu faire chuter madame Leguay.

Mais il a ensuite changé de version

Oui, quatre jours plus tard, alors que d'autres images sortent sur la place publique, il reconnaît qu'un policier a pu provoquer la chute de la militante d'Attac en l'écartant du bras. Mais la polémique continue : le procureur a confié l'enquête sur ces faits à une autre policière qui n'était autre que la compagne du commissaire qui avait ordonné la charge, ce faisait évidemment douter de son impartialité. Finalement, l'affaire sera dépaysée à Lyon. 

Et maintenant, une autre déclaration vient semer le trouble.

Exactement. Selon les informations publiées hier par Le Monde, le procureur Jean-Michel Prêtre, convoqué par sa hiérarchie, a expliqué qu'il n'avait pas voulu mettre le président dans l'embarras "avec des divergences trop importantes". Confession tout à fait extraordinaire. Certes les procureurs sont censés suivre les instructions générales du ministère de la Justice en matière de politique pénale. Mais en aucune manière voler au secours des autorités dans une affaire qui les embarrasse.

Quelles sont les conséquences possibles ?

Elles sont graves. Le ministère de la Justice a déclaré qu'il ne voyait pas matière à sanctions disciplinaires. Du coup, le public peut s'interroger. Quel crédit accorder désormais aux déclarations des procureurs, qui sont censés informer de manière prudente et pédagogique le public sur les affaires en cours ? Voilà un soupçon dont la Justice, qui a indiscutablement gagné son indépendance à l'égard des gouvernements, se serait bien passée.