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Chaque matin, Laurent Joffrin évoque un sujet précis de la vie politique.

Les ministres doivent-ils quitter les palais aristocratiques où ils sont actuellement logés ?

C'est un des effets indirects de l'affaire Rugy. Plusieurs bons esprits se demandent si les dérapages reprochés à l'ancien président de l'Assemblée, comme parfois à d'autres personnages officiels, ne sont pas liés aux bâtiments qu'ils occupent. Comme on sait, ce sont souvent des palais ou des hôtels particuliers qui induisent, dit-on, un mode de vie aristocratique.

C'est un fait que les Républicains, arrivant au pouvoir, se sont installés sans trop de scrupules dans les lieux de pouvoir de la monarchie : le président à l'Elysée, l'ancien hôtel de la marquise de Pompadour ; le président de l'Assemblée à l'hôtel de Lassay, occupé jadis par la famille de Condé, et tutti quanti. En ces temps austères et pointilleux, n'est-il pas temps de leur trouver des locaux plus modestes, plus fonctionnels, plus proches des bureaux de tout un chacun ?

Mais en dehors du cas Rugy, y-a-t-il eu des excès choquants ?

Oui. Le plus spectaculaire concerne Edouard Balladur. En 1981, François Mitterrand, nouveau président, décide de chasser le ministère des Finances de l'aile du palais qu'il occupe, de manière à étendre à l'ensemble du bâtiment le musée du Louvre qu'il compte rénover. L'administration des Finances se cabre, il faut négocier. Certains ministres, quoique de gauche, font part de leur opposition. Mitterrand répond simplement : "s'ils ne quittent pas le Louvre, ils quitteront le gouvernement", ce qui met fin à la discussion. Et pour prévenir tout retour en arrière, il fait démolir les bureaux du ministère, y compris celui du ministre.

En 1986, la droite gagne les élections. Le nouveau ministre des Finances, Edouard Balladur, décide de réintégrer le Louvre en disant : "les locaux que vous me proposez ne sont pas de mon niveau". Ainsi, aux frais du contribuable, il fait reconstruire et redécorer entièrement les bureaux de la rue de Rivoli démolis deux ans plus tôt, y compris l'ancien appartement du duc de Morny où était logé le ministre. Il a fallu attendre le départ de ce ministre chatouilleux sur le décorum pour qu'on transfère enfin le ministère à Bercy.

Alors a-t-on envisagé de transférer les autres ministères ?

Oui. Sous la présidence "normale" de François Hollande, on a envisagé de reloger tout le monde. C'était conforme à l'esprit de la social-démocratie cher au nouveau président. Marilyse Lebranchu, ministre de la Réforme de l'Etat, a été chargée du dossier. Mais en quelques semaines, elle a fait machine arrière : le devis de construction de nouveaux bureaux était exorbitant. Déjà, Bercy avait coûté les yeux de la tête, de même que le nouveau ministère de la Défense désormais situé près de Balard, dans le 15ème arrondissement de Paris.

En fait, même si les réparations sont chères, le maintien des ministres dans les locaux historiques où ils sont, occasionne des dépenses très inférieures à la construction de nouveaux bureaux. Bien sûr, pour faire rentrer de l'argent, on pourrait vendre l'Elysée, par exemple à Coca-Cola et le Palais-Bourbon à Amazon. Mais je doute que cela soit très populaire. C'est tout le paradoxe du discours sur l'apparat monarchique de la cinquième République : si on y met fin pour rapprocher le pouvoir des Français, ce sont les mêmes Français qui devront acquitter une facture particulièrement salée. Comme quoi il est parfois très compliqué d'adopter un mode de vie plus simple.