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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

Ce mardi matin, la recette inratable de la théorie du complot planétaire.

Recette rapide; moins d’une journée pour obtenir une théorie du complot de luxe. Les ingrédients : il nous faut un personnage de qualité. Kate Middleton princesse de Galles. Une bonne recette, c’est avant tout un bon produit, capable à susciter le fantasme. Il faut organiser un effet de rareté. Disons qu’elle disparaîtrait de la circulation deux longs mois après une mystérieuse opération. Voilà pour la préparation.

Et ensuite ?

Subtil dosage d’inconscience et d'amateurisme. On publie sur les réseaux sociaux une photo officielle non datée. Cliché en apparence anodin pour la fête des mères. La princesse et ses enfants hilares sur une terrasse. On légende la photo “merci pour le soutien et les encouragements ces deux derniers mois”. On crédite la photo de l’héritier de la Couronne, le prince William himself. On laisse mariner quelques minutes. On observe l’intense fermentation qui se produit. Ça gonfle, ça mousse. Et ça déborde du plat

C’est spectaculaire.

En quelques minutes, la photo est désossée par le public mondial. Quelque chose cloche. Ici une manche de la princesse Charlotte a été gommée. Là, le motif jacquard du pull du petit prince Georges se duplique de façon illogique. Le visage de Kate Middleton qui semble copié d’une ancienne photo, des bras qui adoptent une pose étrange, une alliance absente... L’affreuse évidence : les Windsor ont menti, on a retouché à la truelle la photo de famille. Vue depuis 81 millions de fois en qq heures.

Etape importante et cruciale dans la recette, la validation du doute par une autorité.

Les grandes agences de presse (AP, Reuters, AFP)  suppriment l’image de leurs fils, expliquant qu'elle a été manipulée. Rien de tel pour pimenter une histoire comme jamais...  La machine à délire est lancée.

On peut difficilement faire pire qu’une fausse image pour rassurer.

Oh si, on peut. Un nouveau message de Kate Middleton sur les réseaux sociaux expliquant que comme tout photographe amateur, elle aime retoucher ses photos. Apothéose. Des déferlantes de théories sur le pourquoi du comment de la retouche. En voulant calmer l’histoire, les communicants lui ont donné un écho cent fois supérieur. Erreur de débutant. Ce retour de bâton s’appelle l’effet Streisand. Il tient son nom de la chanteuse Barbara Streisand qui, en 2003, voulant empêcher par un procès la publication de photos aériennes de sa maison avait rameuté la terre entière. Effet Windsor.

Qu’est-ce qui s’est passé avec cette photo ? On a le fin mot de l’histoire ?

Pas du tout. Mais on peut lire des centaines d’articles qui n’en savent rien, écouter des analystes qui n’en ont pas la moindre idée expliquer que c’est la fin de la monarchie, des milliers et des milliers de messages des habituels complotistes qui collent sur ce “photogate” leurs obsessions vaccinales. On a l’habitude. Le mécanisme est à chaque fois le même. Mais, là, on a pu observer le phénomène en accéléré, en pleine lumière, et à une échelle mondiale. Fascinant, inarrêtable. Et pour tout dire, désespérant d’irrationnalité. C’est people... Mais le mécanisme est le même pour les sujets les plus graves.