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Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.

Bonjour Nicolas Beytout, cette semaine vous n'avez pas aimé la polémique sur les indemnités de départ de Carlos Ghosn.

Effectivement, polémique qui a démarré après sa démission du conseil d’administration de Renault, où il a été remplacé par Jean-Dominique Senard. Le mot "démissionné" est d’ailleurs important, dans cette affaire. Le fait qu’il jette l’éponge ne signifie pas que Carlos Ghosn se reconnaît coupable, mais qu’il est parti avant d’être révoqué. C’est toujours le cas ou presque lorsqu’un patron est limogé par ses actionnaires. En général, il démissionne pour éviter la révocation, pour éviter l’humiliation. Au passage, notons-le, ça enlève une épine du pied à Bruno Le Maire.

Qui ne peut pas être accusé d’avoir lâché le patron de Renault ?

C’est ça. Mais les conditions de ce départ sont importantes pour comprendre la polémique sur les indemnités que Ghosn pourrait éventuellement toucher. Les chiffres vont de 1 à 30 millions d’euros. Des sommes gigantesques et qui choquent lorsqu’on se souvient que le patron de Renault-Nissan semble bien avoir abusé, financièrement, du quasi-pouvoir absolu qu’il avait installé à la tête de l’Alliance.

Et puis, dans le contexte actuel des "gilets jaunes", ça fait vraiment désordre !

Bien sûr, mais … parce qu’il y a un mais : il y a ce qu’on peut avoir comme sentiment face à des sommes de cette ampleur, et il y a la réalité. En d’autres termes, il y a la morale, et puis il y a le droit.

Le droit, c’est-à-dire ?

Carlos Ghosn avait un contrat. Je vous rappelle qu’il est parti là, début 2019, ce qui veut dire que, comme tout salarié, il a droit à son salaire de l’année échue, à ses primes de performance (si elles sont atteintes), à ses actions ou ses stock-options. Il en a 380.000, qu’il peut toucher, qui lui sont acquises selon son contrat. Et puis il y a dans ces accords (validés année après année par l’Etat, par le conseil d’administration) une retraite complémentaire de 765.000 euros par an.

C’est vertigineux !

Absolument, et ça rappelle cette démesure qui semble l’avoir peu à peu saisi, lui. Le problème, c’est que le droit n’a que faire de nos vertiges. Un contrat, c’est ce qui s’impose dans la relation entre une entreprise et son salarié. Et s’il n’y a pas de clause particulière dans le contrat de Carlos Ghosn, qui prévoirait un abandon de ses droits dans ce genre de circonstance, il n’y a que deux façons d’essayer de rapprocher le droit de la morale.

La première (mais c’est déjà trop tard), c’est qu’il fallait s’en offusquer avant. Tout le monde comprend que Carlos Ghosn a été avide, a été "greedy" comme disent les Anglais. Mais il était du devoir des actionnaires de Renault de résister avant à cette pression, lorsqu’elle s’est exercée.

La deuxième façon de faire, c’est d’amener Carlos Ghosn à renoncer de lui-même à une partie de ce pactole. Avant lui, d’autres grands patrons l’ont fait. Eux aussi sont partis dans de mauvaises circonstances, le plus souvent parce que la boîte qu’ils quittaient était en mauvaise santé. Ils ont alors fait un choix d’image personnelle, un choix de réputation. Ils ont fait le choix de la morale.