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Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.

Vous n’avez pas aimé la publication de deux études, l’une de l’OCDE et l’autre de l’Insee, sur la mobilité sociale en France.

C’est ça, deux travaux concomitants et qui sont comme un coup de poing dans l’estomac. Les deux institutions révèlent en effet que la France est, dans le monde développé, l’un des pays dans lesquels l’ascenseur social fonctionne le plus mal, celui où la mobilité sociale est la plus faible.

La mobilité sociale, c’est-à-dire la faculté pour quelqu’un de grimper, de changer de catégorie socio-professionnelle.

C’est ça, de changer de statut, de progresser en termes de revenus, de vie tout court. Or que dit l’OCDE : "Il faut plus de six générations en France aux descendants d’une famille qui est dans le bas des revenus pour en rejoindre la moyenne". Dans les autres pays, c’est en moyenne quatre générations. Seule la Hongrie fait pire que nous. En Suède, c’est trois générations pour sortir de la pauvreté et rejoindre la moyenne des revenus. En Hollande, au Canada, en Espagne, en Belgique, quatre générations, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis cinq. Quant à l’Allemagne, sa société est aussi figée que la nôtre : il faut là-aussi six générations pour sortir de la trappe dans laquelle on est enfermé, en bas de l’échelle de revenus. C’est un constat terrible.
Et que dit l’Insee ?

Ce qu’il dit est pire encore : ça n’a quasiment pas bougé chez nous depuis 40 ans. Il n’y a qu’un homme sur quatre qui parvient à prendre l’ascenseur social par rapport à son père. Pour les femmes, la proportion par rapport à leur mère est à peine supérieure. Et encore cet ascenseur ne grimpe-t-il que très lentement. Il ne va pas bien haut. Et ce n’est pas tout : parce qu’il y a aussi ceux qui descendent, qui changent de catégorie socio-professionnelle, vers le bas. Ils sont actuellement 15%. Ce chiffre a doublé depuis 40 ans.

On retrouve là une des angoisses exprimées par les "gilets jaunes".

Exactement, cette crainte de voir que ce sera plus difficile pour les enfants, ce sentiment de déclassement, de perte d’importance. Je ne sais pas si tout le monde se rend compte de ce que ça représente comme échec. Quoi, nous sommes le pays champion du monde des impôts, nous sommes le pays qui redistribue le plus d’argent, d’aides sociales, d’allocations, et résultat, nous sommes celui qui fige le plus ses populations dans le statut qui était le leur à la naissance.

Mais quel échec de l’Etat providence ! Quel échec de l’étatisme triomphant, du "je me mêle de tout", de cette machine à fiscaliser et à redistribuer. Une machine qui laisse des trous béants dans le dispositif.

Et on sait où sont ces trous, quelles sont les causes ?

Oui, l’OCDE le démontre clairement. Par exemple, elle explique que si les aides sociales "corrigent les inégalités les plus criantes", elles bénéficient peu aux classes moyennes qui, elles, se trouvent scotchées dans leur statut. De même, on voit que l’école ne joue plus son rôle, et fige les situations dès le plus jeune âge (l’étude date d’avant les réformes Blanquer). Vous voyez, on a beau être un pays qui a la passion de l’égalité, avec un Etat fort qui ponctionne et redistribue du pouvoir d’achat plus que partout ailleurs, nous sommes une société toujours aussi immobile qu’il y a 40 ans. Peut-être qu’un jour, on s’interrogera enfin sur notre modèle.