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Emmanuel Macron s'est employé à décrire l'économie de guerre vers laquelle la France se dirigeait en ces temps de confinement lié au coronavirus. Mais pour l'éditorialiste Nicolas Beytout, prôner le souverainisme dans certains domaines ne doit pas conduire le chef de l'Etat à rejeter en bloc la division internationale du travail.

Lors de sa visite à une entreprise de fabrication de masques, en Anjou, Emmanuel Macron a exhorté le pays à "retrouver sa souveraineté pleine et entière" en matière économique.

En l’occurrence, il évoquait la production de masques, ces fameux masques FFP2 et les autres que nous sommes obligés d’importer de Chine par centaines de millions. Le chef de l’Etat parlait d’ailleurs exactement comme le faisaient ses prédécesseurs, en 1914 et en 1939, lorsqu’il fallait armer (réarmer) le pays alors qu’il partait à la guerre assez démuni.

A chaque fois, il s’agissait d’entrer en économie de guerre.

Exactement. Etre en économie de guerre, c’est se mobiliser sur tous les fronts à la fois pour soutenir ceux qui se battent. C’est la deuxième ligne (dont parle Emmanuel Macron) qui se mobilise pour la première ligne, celle des soignants. Etre en économie de guerre, c’est être mobile et adaptable dans tous les domaines. C’est être capable de financer la guerre, en oubliant les règles budgétaires. C’est par exemple ce que recommande Esther Duflo, cette économiste française qui a reçu cette année le Nobel d’Economie : en ce moment, dit-elle, il faut "emprunter massivement et stimuler l'économie autant que possible". A vrai dire, elle avait déjà été entendue par la France qui, en matière de dépense publique, a une assez bonne expérience !

Mais l’économie de guerre, ça concerne aussi les entreprises.

Oui, en 1914 et en 1940, on demandait aux constructeurs automobiles, Renault, Peugeot et Citroën, de construire des camionnettes, des camions et puis des chars, aujourd’hui on les concentre sur les respirateurs. L’industrie textile se reconvertissait pour fournir les bandages, on lui demande aujourd’hui de travailler sur les masques. Un peu comme si la guerre n’était qu’un éternel recommencement… Sauf qu’Emmanuel Macron, lui, explique, je le cite, que "le jour d’après ne ressemblera pas au jour d’avant".

Oui, je l’ai entendu, lui comme tous ceux qui expliquent que rien ne sera plus comme avant. C’est un peu une formule fourre-tout, d’ailleurs tout le monde s’en sert pour prêcher son propre programme : contre la mondialisation, contre le libéralisme, contre la Chine, contre les Etats-Unis, contre… contre tout, en fait. Si c’est pour expliquer qu’il y aura des changements, des adaptations dans nos modes de production, dans nos échanges, c’est une évidence. Mais affirmer, comme on l’entend si souvent, que tout sera différent, c'est une fake news.

Donc, lorsqu’Emmanuel Macron affirme que "nous devons rebâtir notre souveraineté nationale et européenne", vous ne le suivez pas ?

S’il parle des domaines ou des produits stratégiques, ceux qui mettent en jeu notre sécurité nationale ou la sécurité individuelle de chacun, pourquoi pas ? Que toute notre production de médicaments, par exemple, dépende de zones hors d’Europe n’est plus possible. Mais penser que cette souveraineté sera celle de la France dans son ensemble, c’est à la fois impossible, et c’est surtout inutile. La division internationale du travail, elle survivra, aucun doute. C’est une règle militaire : avant, pendant et après la guerre, il faut bien choisir ses combats.