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SAISON 2020 - 2021

Le 30 janvier 1889, dans le pavillon de chasse de Mayerling, les corps de l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, Rodolphe et ​de sa maîtresse Marie Vetsera sont retrouvés… Suicide ? Assassinat politique ? Les plus folles rumeurs n’ont cessé de circuler sur leurs morts. Dans ce nouvel épisode du podcast d’Europe 1 Studio “Au cœur de l’Histoire”, Jean des Cars revient sur cette énigme très politique... 

En 1959, en raison de nouvelles rumeurs sur la tragédie de Mayerling, les pompes funèbres procèdent à l’exhumation du corps de Marie Vetsera. La thèse du tragique suicide des amoureux s'effrite... Dans ce nouvel épisode du podcast d’Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte l'énigme Mayerling.

Nous sommes en 1946. L’Autriche vaincue est occupée par les Alliés. Dans la zone sous commandement soviétique se trouve le hameau de Mayerling, tristement célèbre depuis le 30 janvier 1889 : à l’aube glacée, dans un pavillon de chasse, on avait trouvé le corps sans vie de l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, Rodolphe et de sa jeune maîtresse, la comtesse Marie Vetsera. Un scandale que la Cour n’avait pu étouffer, d’autant moins que Rodolphe était marié à la princesse Stéphanie de Belgique, et ils avaient une petite fille, Herzi ! 

La tragédie avait discrédité l’image de la double monarchie. Cinquante sept ans plus tard et après deux guerres mondiales, le général soviétique permet à quelques-uns de ses soldats, ivres de la vodka de la victoire, de profaner la tombe de Mary Vetsera au cimetière de Heiligenkreuz. Il ose leur expliquer que la déliquescence de la vieille Europe a commencé ici ! Les soldats détruisent une partie de la tombe, espérant y trouver des bijoux. Arrêtés, sanctionnés, les coupables, assistés de fossoyeurs, doivent tout remettre en place. Officiellement, cette profanation n’a pas eu lieu. Entre forces d’occupation, l’affaire était gênante. Donc, diplomatiquement, personne n’en parle. Les paysans des environs et les religieux de l’abbaye se taisent. Une habitude.

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En 1955, la signature du Traité du Belvédère redonne à l’Autriche sa personnalité juridique internationale. Les troupes d’occupation françaises, américaines, britanniques et soviétiques s’en vont. Les trafics de l’après-guerre sont remplacés par les coups bas de la guerre froide. 

Le 7 juillet 1959, en raison de nouvelles rumeurs sur la tragédie de Mayerling, les Pompes Funèbres sont autorisées à procéder à l’exhumation du corps de Mary Vetsera. Y assistent des policiers, un médecin légiste, deux moines de l’abbaye voisine de Heiligenkreuz dont dépend le cimetière et M. Baltazzi, un oncle de Mary Vetsera. Le constat rejoint le rapport soviétique confidentiel secret de 1946, en particulier sur un point essentiel : le corps de la jeune fille est toujours dans son tailleur vert mais "le crâne présentait sur le dessus un renfoncement ovale de sept centimètres. Il n’y avait pas de trou dans la tempe où, comme on l’avait prétendu, était entrée la balle de l’arme avec laquelle Rodolphe l’aurait tuée avant de se suicider". 

La thèse du tragique roman d’amour s’effritait. Une deuxième guerre mondiale et d’immenses bouleversements européens avaient relégué le scandale de Mayerling au rang d’un de ces faits-divers scandaleux dans le Gotha avant 1914. En 1973, le prince de Bourbon-Parme, parent de la dernière impératrice et reine Zita d’Autriche-Hongrie, affirme que Rodolphe ne s’est pas suicidé mais qu’on l’a tué, peut-être pour des raisons politiques, parce que l’héritier et successeur  désigné de François-Joseph était « trop libéral ». 

Le 10 novembre 1982, Zita est enfin autorisée à revenir en Autriche, après plus de soixante ans d’exil. Un retour triomphal de cet ultime grand témoin du « monde d’hier » selon l’expression de Stefan Zweig. Lors d’un interview exclusive pour le Figaro Magazine, la petite dame en noir au courage exemplaire et qui avait succédé à Sissi, me déclare : « Rodolphe ne s’est pas suicidé à Mayerling. On l’a tué ».

Je suis stupéfait. Sa Majesté me demande de garder cette révélation pour moi et d’attendre qu’elle en fasse d’abord l’annonce à la presse autrichienne, ce qu’elle fit le 15 mars 1983. Je consacrerai ensuite une biographie à Sissi avec un cahier spécial contenant cette révélation. Un coup de tonnerre qui me valut du succès, des contestations d’historiens et des interdictions médiatiques diverses car « cela dérangeait »… 

On avait oublié Zita, on pensait qu'elle était morte… Son retour et ses déclarations scandalisent l’Autriche républicaine et neutre mais n'étonnent pas les nostalgiques de la monarchie où depuis près d’un siècle, on défendait l’idée d’un complot. En effet, les affirmations de Zita provoquent un séisme remettant en cause la version officielle, très romanesque, d’un double suicide par amour, un amour interdit, la thèse évoquée par tant de livres et de films… Une sorte de « Roméo et Juliette » chez les Habsbourg…

L’étrange comportement de François-Joseph et Sissi

Le drame s’est déroulé à une trentaine de kilomètres de Vienne,  au pavillon de chasse de Mayerling, dans la nuit du mercredi 30 janvier 1889, tôt le matin. La forêt est sous une neige glacée. La nuit est noire, le sol blanc. Le valet de chambre de l’archiduc Rodolphe, le fidèle Loschek, frappe à la porte de la chambre de son maître à 7 heures, comme prévu. Silence. Il frappe à nouveau, ne parvient pas à forcer la serrure. Inquiet, il prévient le comte Hoyos, intime de Rodolphe. Hoyos lui révèle que l’archiduc n’est pas seul dans sa chambre. Il y a aussi une jeune fille, la baronne Marie Vetsera dont Rodolphe est amoureux depuis peu. Un amour interdit puisque adultère, ce qui aurait provoqué une scène violente entre l’empereur François-Joseph et son fils.

Toujours pas de réaction de Rodolphe. Loschek et Hoyos défoncent la porte à l’aide d’une hache de bûcheron. Le valet s’approche du lit. Rodolphe, habillé, le corps légèrement replié, gît sans vie, une mare de sang à ses pieds. Dans une première version, le domestique conclut à un empoisonnement par le cyanure ayant provoqué une hémorragie. Mais Loschek, comme beaucoup d’autres, variera dans son témoignage et c’est l’origine de la complexité du drame. 

Dans un premier temps, on ne mentionne pas la présence de Marie. Selon la deuxième  version colportée par la presse et l’opinion - mais qui variera elle aussi ! - Rodolphe a tiré un coup de revolver sur son amante, à travers un oreiller pour étouffer la détonation. Puis, ayant éloigné son valet sous prétexte de vérifier son équipement pour la chasse qui était prévue, l’archiduc se serait suicidé d’une balle dans la tempe. Un coup de feu n’avait rien d’anormal dans une région giboyeuse où l’on chasse tôt le matin. En revanche, la thèse de l’empoisonnement ne tient plus puisque le crâne de Rodolphe est fracassé. 

Dans la multitude des versions contradictoires qui seront, laborieusement, expliquées par des médecins et des chirurgiens puis étalées dans tous les journaux européens avec de nouveaux indices à chaque édition, il y a un évènement qui est très étrange et plutôt inexplicable, c’est l’attitude du couple impérial. Elle ajoute une terrible question à la confusion générale : pourquoi les parents de Rodolphe, François-Joseph et Sissi, informés dans la matinée de la mort de leur fils à Mayerling, ne se précipitent-ils pas à son chevet même si, par définition, il est trop tard ?  

Lorsque à Vienne, au palais de La Hofburg, vers 11 heures, Ida Ferenczy, la lectrice hongroise de l’impératrice, est informée, sans autres détails, du décès de l’archiduc et qu’elle veut, avec le grand-maître de la Cour, annoncer l’horrible nouvelle à Sissi, celle-ci s’effondre sur son lit en fer qu’elle fait sortir chaque soir et qui n’a pas encore été retiré. Sissi déteste les horaires et les contraintes. Avec une énergie calme, l’impératrice, réputée pour ses foucades et ses réactions imprévisibles, fait face à la douleur qui la submerge, comme si elle savait déjà ce qui était arrivé à son fils... A ce moment, on entend le pas rapide et souple de l’empereur, venant du salon du petit-déjeuner. Sissi crie à sa lectrice : « Qu’il n’entre pas ! Pas encore ! »

L’impératrice, soudain maîtresse d’elle-même, sèche ses larmes, trouve l’énergie de faire face, dissimule son désespoir et dit, dans un souffle : « Laissez-le entrer et que Dieu vienne à mon secours... » L’atroce tête à tête est bref. Personne ne pourra dire quel mots Sissi employa pour annoncer la terrifiante vérité au souverain. Mais bien plus tard, elle confiera que son pauvre mari chancela avant se redresser. La porte du petit salon s’ouvre. François-Joseph, brisé, accablé, parvient à reprendre le contrôle de son émotion. Il passe devant son chambellan et ne lui donne qu’un ordre étouffé : « Venez avec moi, baron... »

A aucun moment les parents de Rodolphe ne se rendent à Mayerling, sur les lieux du drame. Comment est-il concevable qu’ils ne se précipitent pas au pavillon de chasse où repose leur seul fils ? Ils ne viendront que plus d’un an après, quand un couvent sera édifié à la place du pavillon de chasse maudit. Seules les religieuses, des carmélites, seront instruites des prières répétées à la mémoire de l’archiduc Rodolphe. S’ils ne se précipitent pas à Mayerling, c’est qu’ils savent que c’est inutile, au-delà du traumatisme gigantesque et de ses conséquences politico-diplomatiques. Dans l’immédiat, il faut prévenir l’épouse de Rodolphe, l’archiduchesse Stéphanie et la Cour de Belgique. Son frère Philippe de Cobourg, était présent à la chasse le jour précédent. Mais en priorité, c’est Marie-Valérie, la sœur cadette  de Rodolphe dont le défunt était très proche, qu’on informe. 

Dans cette matinée tragique, il y a un moment qui frise la comédie : en descendant, de son pas rapide, chez sa fille, l’impératrice tombe sur Mme Schratt, maîtresse de l’empereur, comédienne de son état. Sissi fait un effort surhumain en la priant d’employer toute sa douceur pour aider ce père à surmonter ce choc effroyable, la mort du fils qu’il aimait même s’il ne savait pas le lui prouver. 

Avant midi, au palais de la Hofburg, Marie-Valérie demande à sa mère : 

  • Est-ce qu’il s’est tué ?
  • Pourquoi dis-tu cela ? Non… Non, il a sans doute été empoisonné. 

Cette réaction est essentielle dans l’engrenage du chaos. Ainsi, en fin de matinée, à la Hofburg, la confusion est totale sur les causes et les circonstances du drame. Personne à Vienne ne sait qu’à côté du corps de l’archiduc, se trouve celui de la jeune Marie Vetsera. A la Cour, on ne dispose officiellement que du récit contradictoire du comte Hoyos.  Deux théories s’affrontent, celle d’un « suicide assisté », celui de Marie Vetsera ne supportant pas de ne pouvoir vivre avec l’homme qu’elle aime et celle d’un « complot hongrois » insinuant que Rodolphe était impliqué dans une tentative de coup d’Etat manqué contre son père et qu’il se serait puni lui-même de sa lâcheté. 

En début d’après-midi, les journaux sortent des éditions spéciales, toutes bordées de noir. On lit, en titre, que « le prince héritier est décédé subitement d’une crise cardiaque ». Il n’est question ni de suicide, ni de crime, ni de Marie Vetsera. Des rumeurs extravagantes circulent dans Vienne. Si à la Cour, la cause naturelle est la seule présentable, au gouvernement, la panique devant le scandale qui couve oblige à aller vite. Une note du dossier du Préfet de Police en donne la mesure et le Premier ministre, le comte Taaffe lui dit : « Il s’agit maintenant d’éloigner l’autre cadavre et de le transporter hors du pavillon de Mayerling sans attirer l’attention »… 

Chez François-Joseph, le sens du devoir l’emporte toujours sur l’émotion. Le monarque porte une cuirasse qui aide l’homme à réagir. Même effondré, l’empereur s’est installé à son bureau pour écrire. Il n’a pas la même urgence que son gouvernement car en tant que souverain, il doit informer les cours étrangères. Son premier télégramme, d’une éloquente sobriété, est destiné à Guillaume II, lequel est déjà au courant par son ambassadeur depuis dix heures du matin, ce qui est surprenant :« Profondément bouleversé, t’informe que Rodolphe est mort ce matin à Mayerling où il était à la chasse. Embolie probablement. » La deuxième dépêche, en français, adressée au roi d’Italie, est plus émotionnelle :« C’est avec la plus profonde douleur que je viens t’annoncer la mort subite de mon fils Rodolphe qui a succombé ce matin à un coup de sang. Je suis sûr de la part sincère que tu rendras à cette perte cruelle. » 

Puis, c’est un télégramme destiné aux souverains belges, les parents de la belle-fille de François-Joseph et Sissi :« Avec le chagrin le plus profond, je suis dans l’obligation de vous informer que notre Rodolphe est mort subitement ce matin à Mayerling, où il s’était rendu pour chasser. Embolie probablement. Que Dieu nous aide tous. »

Ces messages vont, involontairement, nourrir les rumeurs. Un « coup de sang » autrement dit une crise d’apoplexie, est une hémorragie cérébrale tandis qu’une « embolie » est la présence d’un caillot bloquant le flux sanguin. Il faut choisir… Quant à Sissi, elle s’en tient, officiellement, à la thèse du poison. Ainsi, trois chefs d'États européens parmi les plus importants d’Europe ne reçoivent pas la même explication. Déjà, la confusion dépasse les frontières. 

Le dernier télégramme, écrit l’après-midi, est le plus important pour un monarque catholique héritier de siècles de christianisme. Il s'agit du message destiné au Saint-Père, le pape  Léon XIII. Son texte est en français :« C’est avec la plus profonde douleur que je viens annoncer à Votre Sainteté la mort subite de mon fils Rodolphe. Je suis sûr de la part sincère qu’Elle prendra à cette perte cruelle. J’en offre le sacrifice à Dieu auquel je rends sans murmure ce que j’ai reçu de Lui. J’implore pour moi et ma famille la bénédiction apostolique. »

Admirable d’abnégation et d’obéissance muette aux décrets divins, ce texte se distingue d’une manière frappante : il n’indique pas la cause du décès, ni apoplexie, ni embolie. Mais le Vatican ne se contentera pas d’un simple faire-part. Il faut en savoir plus sur les circonstances du drame et fournir une explication acceptable. Comment obtenir le droit de célébrer des obsèques religieuses pour un suicidé doublé d’un assassin ? Si elles étaient refusées, le scandale éclabousserait la monarchie… Mais qui est donc l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, un homme déprimé, lassé de l’existence au point de pouvoir se suicider ? Ou un futur empereur qui voudrait changer la politique conservatrice de son père, une perspective ne pouvant qu’inquiéter les alliés des Habsbourg… 

 

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière  
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais

Ressources bibliographiques :

Jean des Cars, Rodolphe et les secrets de Mayerling (Perrin, 2004, nombreuses rééditions)