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SAISON 2020 - 2021

Dans l’Angleterre victorienne, une série de meurtres d’une abominable cruauté ont semé la terreur. Un certain Jack L'Éventreur est en cause… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte comment, malgré les progrès de la police scientifique, le meurtrier n’a jamais été identifié.  

Dans les années 1880, la reine Victoria, comme toute l’Angleterre, tente de percer le mystère Jack L'Eventreur. Mais elle est loin de se douter que son propre petit-fils, le duc de Clarence, sera suspecté ​! Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars retrace l’énigme du terrifiant tueur en série. 

En cette fin d’été 1888, la reine Victoria s’ennuie un peu à Balmoral. Son protégé Abdul Karim, dit le Munshi, étant en congé aux Indes, elle est privée de ses leçons d’hindoustani. Qu’importe ! La souveraine sera désormais hypnotisée par ce qu’on appelle "Les meurtres de Whitechapel". Elle va se transformer en Sherlock Holmes. Le génial détective a été inventé un an auparavant par Sir Arthur Conan Doyle et ses enquêtes ont un grand succès. Victoria n’a pas manqué de les lire…

La reine est horrifiée par ces meurtres de prostituées, d’une barbarie extrême. Elle estime que la police n’en fait pas assez. Victoria bombarde son Premier ministre Lord Salisbury et son ministre de l’Intérieur de messages où elle suggère des pistes à suivre. Le meurtrier ne s’attaquant qu’à des prostituées, la reine demande « si l’on s’est efforcé de recenser le nombre de célibataires vivant seuls chez eux ». Elle observe aussi que : « Les vêtements du meurtrier doivent être imbibés de sang et qu’il doit bien les ranger quelque part ».

Elle interroge également le Cabinet pour savoir « si tous les navires, tant à bétail qu’à passagers, avaient été contrôlés pour retrouver un tueur en fuite ». Elle se demande s’il y a assez de surveillance la nuit dans ce quartier misérable et mal famé de  l’est de Londres. La reine est alors loin de se douter que des rumeurs tenaces désigneront comme coupable potentiel son propre petit-fils Eddy,  le duc de Clarence, et même le médecin de la famille royale, Sir William Gull…

Victoria regagne Londres par bateau le 19 novembre, juste à temps pour être sur place lors du dernier crime de la série à Whitechapel, deux jours plus tard. Mais pourquoi la reine s’émeut-elle autant à propos de ces horribles fait-divers ? C’est parce que toute la population britannique est en émoi grâce aux journaux qui n'épargnent aucun des détails atroces à leurs lecteurs, repris par la presse européenne.

Terreur à Whitechapel

Dans le quartier de Spitalfield, dans l’East End londonien, juste au nord de Whitechapel, les assassinats ne sont pas une rareté. Le 7 août 1888, on retrouve dans la rue une prostituée nommée Martha Tabram transpercée de... trente-neuf coups de couteau ! Le meurtre est brutal mais il ne suscite aucune « émotion particulière ». 

L’affaire débute réellement le 30 août lorsqu’on découvre dans Buck's Row, une ruelle de    Spitalfield, le cadavre de Mary Ann Nichols, une autre prostituée,  âgée et misérable, presque une clocharde à qui on avait refusé un lit à l’asile de nuit : elle n’avait pas les quelques pennies exigés... Elle a été égorgée d’une oreille à l’autre mais c’est seulement à la morgue qu’on découvre l’horreur du crime : elle a été éventrée et tous ses organes ont été retirés. Des détails abominables qui font frissonner tout le monde mais les choses s’aggravent quand une semaine plus tard, le 8 septembre, on découvre, au petit matin, dans la cour d’un immeuble lépreux de Hanbury Creek où les prostituées ont l'habitude de se rendre avec leurs clients, le corps de Annie Chapman. 

La victime avait 47 ans. Epouse séparée d’un cocher de fiacre, elle était une femme de mauvaise vie qui traînait de taudis en taudis dans ce quartier sinistre. La malheureuse a été égorgée avant d’être mutilée, ses intestins déroulés et posés sur son épaule, l’utérus enlevé. Une barbarie incroyable ! 

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Scotland Yard se met sur le pied de guerre. Des dizaines de policiers fouillent le quartier à la recherche du moindre indice. C’est alors que survient un coup de théâtre : le 27 septembre, l’agence de presse londonienne Central News Agency reçoit une lettre de l’assassin. Il déclare sa haine des prostituées et promet de couper les oreilles de sa prochaine victime. Et il signe « Jack the Ripper », « Jack l’Eventreur ». Un degré de plus dans l’horreur : le coupable se vante de ses crimes !

La lettre est diffusée à plusieurs milliers d’exemplaires en espérant que quelqu’un reconnaîtra l’écriture. Cela ne fait qu’exacerber la peur dans ce quartier de Londres. On va même croire à une imposture. Aujourd’hui, la plupart des chercheurs estiment que l’auteur de cette lettre serait un certain Thomas Bulling, un collaborateur de la Central News Agency, qui aurait voulu faire de la publicité à son entreprise. Ce n’était pas du meilleur goût…

Jack l’Eventreur frappe à nouveau…

Même si ces lettres sont apocryphes, le tueur, lui, est bien réel. Et pour tout le monde, il sera « Jack l’Eventreur ». Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1888, on découvre deux nouveaux meurtres, aussi effroyables que les précédents. On attribue ces massacres au « Doigt de Dieu », décidé à punir les monstrueux péchés de la bonne société victorienne. Que Dieu soit en cause ou pas, les crimes sont exécutés avec une habileté diabolique, à l’aide d’instruments de chirurgie. Les policiers commencent à penser que le meurtrier doit avoir de solides connaissances d’anatomie et de chirurgie. Le 1er octobre les journaux de Londres annoncent :« Nouveaux meurtres dans l’East End. Aux premières heures de la journée d’hier, deux  horribles meurtres ont été commis dans l’East End de Londres ; les victimes, dans les deux cas, appartiennent à la même et désolante profession. La police est convaincue que ces terribles meurtres sont des mêmes mains monstrueuses que celles qui ont déjà rendu Whitechapel si lamentablement célèbre. »

En effet, à 1 heure du matin, à Berner Street, dans la cour d’un club pour travailleurs étrangers, on a trouvé le corps d’Elizabeth Stride, une veuve d’origine suédoise, tombée dans la prostitution. Elle a été égorgée mais son corps n’a pas été mutilé. C’est un lieu très fréquenté et l’assassin a dû être dérangé. Frustré, il a frappé une seconde fois, à quelques rues de là, prenant des risques insensés. Cette fois c’est à Mitre Square, une petite place en bordure de la City. Trois rues y débouchent, il pouvait être surpris à tout moment. Pourtant, il a aussi  égorgé Catherine Eddowes, une prostituée alcoolique libérée une heure plus tôt d’une cellule de dégrisement puis il l’a éventrée, a déroulé ses intestins et lui a enlevé un rein… 

Sir Charles Warren, le chef de Scotland Yard, se rend sur la scène du crime. Tout près de là, sur un mur de Goulston Street, se trouve une inscription à la craie mettant en cause les Juifs. Sir Charles la fait aussitôt effacer sans même la faire photographier. Il est responsable de l’ordre public et redoute un pogrom. On lui reprochera ce geste mais il recevra aussi les remerciements du Consistoire israëlite. 

Le double meurtre est suivi de l’envoi d’une nouvelle lettre, cette fois non signée et envoyée « From Hell » , c’est à dire « Depuis l’Enfer ». Elle est adressée au Président du Whitechapel Vigilance Committee, « Comité de Vigilance de Whitechapel ». Détail horrible : Elle contient aussi… la moitié d’un rein ! L’auteur se vante d’avoir fait frire et mangé l’autre moitié et de s’en être régalé ! Aujourd’hui, l’analyse ADN pourrait nous permettre d’être sûrs qu’il s’agissait bien de la moitié d’un rein de Catherine Eddowes. A l’époque, en 1888, les médecins ont seulement pu confirmer qu’il s’agissait bien de la moitié d’un rein d’un être humain d’une quarantaine d’années.

A Whitechapel, lors d’une réunion de la paroisse, la discussion porte sur les meurtres récents. On supplie le gouvernement de Sa Majesté de faire tous les efforts possibles pour découvrir le criminel. La police fait ce qu’elle peut depuis le premier crime. Une douzaine de suspects ont été appréhendés. Quatre aveux spontanés se sont révélés fantaisistes et l’Eventreur court toujours… Les critiques se multiplient contre Sir Charles Warren au point que le Home Secretary, c'est-à-dire le ministre de l’Intérieur, Sir Henry Matthews exige sa démission. Le policier la lui remet le 10 novembre, le jour où Jack l’Eventreur commet son dernier forfait.

Le dernier crime de Jack L’Eventreur

Le 10 novembre 1888, à Miller Court, une impasse qui donne dans Dorset Street, un employé du propriétaire de l’un des immeubles vient réclamer son loyer en retard à une locataire du rez-de-chaussée, Mary Jane Kelly. Il frappe à la porte mais personne ne répond. Avant de partir, il jette un œil par une lucarne. Il est horrifié par ce qu’il voit. Il dira : «  C’était l'œuvre d’un démon plutôt que celle d’un homme ».

Mary Jane Kelly était aussi une prostituée mais plus jeune et plus jolie que les autres. Elle est la seule à avoir été assassinée chez elle, ce qui a permis à Jack l’Eventreur de prendre son temps. La pièce est littéralement inondée de sang. Il a commencé par trancher la gorge de sa victime, la vider de ses intestins, il a coupé et dispersé un peu partout dans la pièce son nez, ses oreilles, ses seins, son cœur et ses reins. La scène du crime a été photographiée mais l’image n’a été rendue publique que deux décennies plus tard. C’est, en effet, le comble de l’horreur. 

Si Mary Jane Kelly est sa dernière victime, Jack l’Eventreur fera néanmoins une ultime tentative d’assassinat le 21 novembre suivant. Il s’attaque encore à une prostituée Annie Farmer mais il n’a pas le temps d’achever son travail, il a été surpris. La jeune femme n’a été que blessée au cou. C’est la seule survivante de ses victimes.

On se perd en conjectures sur l’identité de l’assassin. Comment surprend-t-il ses victimes ?  Est-il déguisé en policier ? En  prêtre ? Comment parvient-il à s'enfuir couvert de sang sans se faire remarquer ? Passe-t-il par les égouts ? Est-il tueur aux abattoirs ? Est-ce un médecin ? Un professeur d’anatomie, un chirurgien ou un simple boucher ? Si la presse britannique est déchaînée, la presse française n’est pas en reste. « La Lanterne » titre le 13 septembre 1888 : "Mystères de Londres. Les quatre victimes de Whitechapel"

Quand ils parlent de Paris, les Anglais ont des mines épouvantées : Paris, disent-ils, est la cité de tous les crimes et de tous les vices. De tous les vices ? Les révélations de la Pall Mall Gazette ont démontré surabondamment que les plus libertins des Parisiens sont des petits anges comparés aux sadiques débauchés de la haute aristocratie londonienne. De tous les crimes ? Les mystères de Whitechapel, sans compter mille assassinats odieux, accomplis avec une froide cruauté, avec une placide férocité, nous prouvent que c’est bien Londres qui mérite ce nom sanglant : la ville du crime. »

Une énigme impossible à résoudre ?

Le ministre de l’Intérieur a eu beau remplacer le directeur de Scotland Yard et la reine Victoria continuent de s’impatienter, l’enquête n’aboutit pas. On en est réduit à émettre des hypothèses. Pour la bonne société londonienne, Jack l’Eventreur ne peut sortir que des bas-fonds de l’East End. Il ne peut davantage s’agir d’un Anglais. On présume que le suspect est étranger ; on parle d’un barbier juif ou d’un anarchiste russe, sans plus de détail à ce moment-là... Au contraire,  dans les quartiers pauvres, on pense que les crimes sont commis par quelqu’un qui n’habite pas l’East End, une personne de la haute aristocratie ou peut être une sorte de « Dr. Jekyll et Mr. Hyde » : le roman de Stevenson était sorti deux ans auparavant, en janvier 1886. 

Les Britanniques avaient adoré se faire peur avec le récit de la métamorphose de ce médecin respectable le jour en tueur sanguinaire la nuit. On l’imagine très bien dans les brouillards de l’East End, portant pelisse, chapeau haut de forme et une sacoche de médecin pour cacher les armes de ses crimes… C’est, évidemment, cette seconde image qui va s’imposer dans les nombreux romans et films racontant cette série de meurtres abominables.

Si Scotland Yard décide de refermer le dossier « Jack l’Eventreur » en 1892, ce qui est un aveu d’impuissance, de nombreux chercheurs vont tenter de résoudre l’énigme. Ils n’auront pas grand-chose à découvrir puisque pendant un siècle, le dossier sera inaccessible. On devra se contenter de confidences plus ou moins avérées, sous condition d’anonymat. Les accusations iront très loin, voire très haut, jusqu’à la famille royale. Jack l'Éventreur se cacherait-il à Buckingham Palace ?!

Ressources bibliographiques 

Stanley Weintraub, Victoria, une biographie intime, Traduit de l’anglais par Béatrice Vierne (Robert Laffont, 1988)

Jacques de Langlade, La reine Victoria, préface de Robert Merle (Perrin, 2000)

Bernard Oudin, Les multiples fantômes de Jack l'Éventreur, dans Les énigmes de l’histoire du monde, sous la direction de Jean-Christian Petitfils (Perrin/Le Figaro Histoire, 2019)

  

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière  
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais