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SAISON 2019 - 2020

En 1880, deux mois après la mort de la grande-duchesse Maria Alexandrovna, le Tsar Alexandre II épouse Katia Dolgorouki. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars revient sur une histoire d'amour interdite au dénouement tragique.

Quelques jours après la Saint-Valentin, Jean des Cars vous raconte l'histoire d'un amour passionné, interdit et finalement tragique. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, découvrez le coup de foudre entre le tsar de Russie Alexandre II et la belle aristocrate Katia Dolgorouki. 

Le 18 juillet 1880, à 15h, dans le grand palais de Tsarskoïe Selo, Alexandre II, 62 ans, vêtu de l’uniforme bleu pâle des Hussards de la Garde, va chercher dans sa chambre Katherine Dolgorouki, sa maîtresse, âgée de 34 ans. Elle porte une robe de drap beige, aucune fleur, aucun diadème et pourtant, si le Tsar vient la chercher, c’est parce que l’on va célébrer leur mariage. Ils s’aiment depuis quatorze ans. Pour le Tsar, c’est le plus beau cadeau qu’il puisse lui offrir. Pour elle, c’est une sorte de triomphe. Tous deux traversent le palais jusqu’à un petit salon, isolé et sans meuble. Au milieu, une simple table qui va servir d’autel. L’archiprêtre du Palais d’Hiver y a disposé une croix, un Evangile, deux flambeaux, les couronnes indispensables au rite orthodoxe et deux alliances.

Deux seuls témoins, des généraux proches de l’Empereur, feront office de garçons d’honneur et tiendront les couronnes au-dessus de la tête des fiancés. Derrière eux, un couple d’amis de Katia. Et c’est tout. Bien sûr, il s’agit d’un mariage morganatique. Ce qui veut dire que la mariée ne deviendra pas tsarine et les trois enfants qu’elle a eu du tsar ne seront pas héritiers. Néanmoins, le souverain va faire de sa nouvelle épouse la princesse Yourievski. Les enfants porteront le même titre avec le prédicat de altesses sérénissimes.

Un scandale, un sacrilège ! 

Pour les enfants du premier mariage du tsar, qui ne sont même pas au courant, c’est une véritable provocation. Pour la Cour, c’est un scandale. Pour le clergé orthodoxe, c’est un sacrilège : la première épouse du tsar, Maria Alexandrovna, s’est éteinte il y a moins de deux mois, victime de la tuberculose. Si le deuil de Cour, de 40 jours, est effectivement terminé, il est, en principe, impossible de se remarier moins d’un an après le décès de la légitime épouse. Mais Katia compte tellement pour le tsar, il est tellement fou d’elle, il a été si malheureux de lui imposer une vie clandestine de quatorze ans qu’il est prêt à tout pour se racheter.

Quant à Katia, certes amoureuse du souverain, mais aussi ambitieuse, elle accomplit le premier acte de son rêve : épouser le tsar ! Il ne lui reste plus qu’à se faire couronner impératrice.

Mais qui sont réellement la belle Katia et cet homme de 62 ans ? Et comment est-il tombé amoureux de cette jeune princesse désargentée ?

Coup de foudre à l’Institut Smolny

Alexandre II est monté sur le trône des Romanov en 1855. Son père, le tsar Nicolas 1er, ne lui laisse pas un héritage facile : une guerre de Crimée inachevée et qui tourne au désastre pour la Russie et un pays révolté par la poigne de fer de celui qui était surnommé "le gendarme de l’Europe". 

Pour ne rien arranger, le traité de Paris, en 1856, met fin à la guerre de Crimée dans des conditions désagréables pour la Russie. Elle se voit privée d’accès aux Détroits et donc d’un accès à la Méditerranée. 

Alexandre II se veut un tsar réformateur. Il va mettre six ans à imposer l’abolition du servage en Russie. C’est une idée généreuse et courageuse. Mais elle ne lui vaudra que des ennuis. L’aristocratie proteste, les paysans vont s’endetter pour acheter leurs terres. Beaucoup vont gagner les villes qui s’industrialisent, en particulier Saint-Pétersbourg. Ils constituent un prolétariat misérable qui sera le terreau des idées révolutionnaires. Un mouvement nihiliste est constitué. Et le tsar réformateur qui voulait faire le bonheur de son pays sera victime de huit attentats.

En famille, le tsar a été très heureux avec sa ravissante et intelligente épouse. Elle lui a donné sept enfants, six garçons et une fille. Mais Maria Alexandrovna est de santé fragile. Elle est épuisée par ses maternités successives et sans doute déjà rongée par la phtisie, qui finira par l’emporter. Alexandre II est beau, séduisant, il aime les femmes. Il aura quelques aventures sans suite. C’est au moment où son épouse lui ferme sa chambre, car elle ne peut plus risquer d’être de nouveau enceinte, qu’Alexandre II choisit de s’en détourner complètement et rencontre celle qui sera le véritable amour de sa vie.

Catherine Dolgorouki, Katia pour les intimes, appartient à une famille noble ruinée. Elle est pensionnaire à l’Institut Smolny.  C’est une institution fondée par la fille de Pierre le Grand, Elisabeth 1ère, pour l’éducation des jeunes filles de l’aristocratie. L’équivalent russe du Saint-Cyr de Madame de Maintenon.

La tsarine vient souvent visiter Smolny. Elle s’intéresse à ses pensionnaires. Alexandre II l’accompagne parfois et remarque le regard malicieux de la jeune Katia. Un jour de printemps, alors qu’il se promène au Jardin d'été, il la croise, la reconnaît et commence à lui parler. L’académicien Henri Troyat, d’origine russe, nous décrit la scène : "A la fois fière et effrayée d’avoir été distinguée par Sa Majesté, elle n’a qu’une hâte, c’est de s’échapper et disparaître. Alexandre, cependant, la dévore du regard. Elle a des traits fins, un teint d’ivoire, des tresses chatain, souples et soyeuses, des yeux fendus en amande et un sourire enjôleur. Tant de joliesse et de naïveté le transportent".

Tout Saint-Pétersbourg est au courant de cette nouvelle liaison

Elle a 17 ans. Il va la revoir souvent. Ils se promènent dans les parcs impériaux. Alexandre lui déclare son amour. Elle se refuse. Elle mettra deux ans à lui céder. C’est le 13 juillet 1866 que Katia devint la maîtresse du Tsar. Ils se sont retrouvés au belvédère de Babygone, un ravissant pavillon à colonnade dominant la Baltique dans le parc du palais de Peterhof. Il a 29 ans de plus qu’elle mais qu’importe ! C’est une révélation sensuelle réciproque que le temps n’émoussera jamais. Ils échangent une correspondance érotique. C’est le tsar qui s’exprime : "N’oublie pas que toute ma vie est à toi, ange de mon âme, et que le seul but de cette vie est de te voir heureuse, autant qu’on peut être heureux au monde... Je me sens tout imprégné de notre délicieuse soirée d’hier et de nos... (mot censuré) délirants qui nous ont fait jouir à crier. Et à nos ébats..."

La réponse de Katia n’est pas moins inouïe puisqu’elle ose écrire : "Je t’aime à la folie, mon cher mari délirant, ma vie, mon tout, et cela déborde de moi. Je n’en reviens pas du bonheur de t’avoir vu hier et avoir tant joui vraiment de ces délices n’a pas de nom. Et certes, rien au monde ne peut y être comparé".

Il faut noter que Katia appelle le tsar "mon cher mari". Lui a-t-il promis quelque chose ? Ou lui suggère-t-elle que cela pourrait arriver un jour ? Le tsar remet à Katia une clé. Ainsi, elle pourra s’introduire, par une petite porte du Palais d’Hiver, jusqu’à ses appartements privés. Ils ont des rendez-vous qu’ils croient discrets mais hélas, rien dans la vie du souverain ne peut-être complètement secret. Tout Saint-Pétersbourg est au courant de cette nouvelle liaison. C’est fâcheux car au même moment, la Monnaie de la capitale russe émet une pièce d’un rouble en or qui célèbre les 25 ans de mariage du couple impérial !

La liaison s'organise

Depuis deux ans, Katia, qui a fini ses études, vit chez son frère et sa belle-sœur, le prince et la princesse Michel Dolgorouki. La princesse est inquiète des rumeurs circulant sur la liaison de Katia. Elle juge qu’il faut protéger la jeune fille. Elle l’emmène avec elle à Naples, dans sa famille. Alexandre II est désespéré. Il lui écrit tous les jours. Elle lui manque terriblement, au point qu’à l’occasion d’une visite d’Etat à Paris, à l’été 1867, il demande à Katia de le rejoindre. 

Napoléon III loge ses hôtes officiels à l’Elysée. Katia arrive de Naples et s’installe dans un hôtel du boulevard des Capucines. Elle retrouve son amant le soir à l’Elysée, par une porte secrète. Alexandre II a bien besoin d’être réconforté. Certes, il est ébloui par les fastes de la Fête Impériale pour l’Exposition Universelle. Mais il est sans cesse insulté et agressé par des Polonais en exil. Même les Français s’en mêlent !  Au passage du cortège du tsar, le républicain Charles Floquet lui lance : "Vive la Pologne, Monsieur !" Pire, un Polonais tire sur le tsar devant la grande cascade au Bois de Boulogne, le manquant de peu. Alexandre II est furieux et il faudra tout le charme et la persuasion de l’impératrice Eugénie pour qu’il n’abrège pas son séjour.

A son retour de Paris, la liaison s’organise. Katia réside toujours chez son frère et sa belle-soeur dans un hôtel particulier du quai des Anglais, à Saint-Pétersbourg. Katia a ses propres domestiques et son équipage. Au Palais d’Hiver, le tsar met à sa disposition l’ancien Cabinet de travail de son père Nicolas 1er. Lors des séjours aussi bien Tsarskoïe Selo qu’à Peterhof ou en Crimée, à Livadia, elle dispose d’une villa à proximité de la résidence du tsar.

Pour justifier sa présence à la Cour, Alexandre II la fait nommer demoiselle d’honneur de l’impératrice. Celle-ci avale, résignée, cette nouvelle couleuvre. Mais Katia profite peu de cette fonction. On ne la voit pas dans la voiture officielle de la tsarine. Elle tient, par-dessus tout, aux moments d’intimité qu’elle partage avec le tsar. Lors de ses voyages à l’étranger, elle l’accompagne. A Ems, en Rhénanie, en juin 1870, lors de la rencontre d’ Alexandre II avec le roi de Prusse Guillaume 1er, elle dispose d’une petite villa.

La favorite s'installe au Palais d'Hiver

Le 3 avril 1872, au Palais d’Hiver, Katia accouche de son premier enfant avec Alexandre II, le petit Georges. Pour éviter un scandale, le bébé est placé dans une maison surveillée par la police secrète. Une nourrice russe et une gouvernante française prennent soin de lui. En 1873, c’est la naissance d’une fille, Olga. En 1876, un nouveau fils, Boris, vient au monde mais il meurt très vite. En 1877, le tsar engage une guerre contre l’Empire Ottoman. La campagne est rude mais victorieuse. La paix de San Stefano, en 1878, est très avantageuse pour la Russie. Mais le Congrès de Berlin réduit considérablement ces dispositions. Le tsar est déçu, amer, et comme toujours, c’est auprès de Katia qu’il trouve du réconfort. Il prend alors une décision provocante. : il installe sa seconde famille au deuxième étage du Palais d’Hiver... juste au-dessus de ses propres appartements ! La tsarine, épuisée et malade, subit l’affront. Elle se confie à son amie la comtesse Alexandrine Tolstoï : "Je pardonne les offenses qu’on fait à la souveraine ; je ne peux prendre sur moi de pardonner les tortures qu’on inflige à l’épouse".

En imposant la présence de sa favorite au palais, Alexandre II satisfait, certes, son désir d’intimité avec Katia mais il dresse toute la Cour contre elle. Bien que Katia se montre discrète, elle est en contact avec la domesticité impériale, femmes de chambre, valets, cuisiniers, cochers, intendants et même avec quelques dignitaires.

Certains courtisans s’adressent à elle pour qu’elle use de son influence auprès du tsar en leur faveur. On cherche son appui dans une entreprise commerciale. Mais même ceux qui la sollicitent la condamnent. Le tsar vieillit, il est fatigué, amaigri et voûté. Et pourtant, il est heureux. Katia, le 9 septembre 1878, donne naissance à leur quatrième enfant, une petite Catherine, qui le comble de bonheur. Joie intime d’un côté, désapprobation générale de l’autre : la double vie du tsar est très mal perçue, particulièrement par l’héritier, le tsarévitch, futur Alexandre III.

Un attentat et la fin d'un amour

Cependant, les Nihilistes sont de plus en plus audacieux. En janvier 1878, une terroriste blesse grièvement, par balles, le chef de la police de Saint-Pétersbourg. Non seulement, cette femme est acquittée lors de son procès mais portée en triomphe comme une héroïne. Le 2 avril 1879, un homme tire à cinq reprises sur le tsar place de l’Etat-Major. Alexandre II ne doit son salut qu’à sa fuite en courant ! Il passe ses vacances avec Katia en Crimée. A leur retour à Moscou le 19 novembre, le train impérial échappe de peu à une bombe. Le 5 février 1880, c’est dans le Palais d’Hiver que les terroristes réussissent à faire exploser une bombe. Elle avait été placée dans la salle à manger où devait avoir lieu un dîner d’apparat en l’honneur du grand-duc Alexandre de Hesse et de son fils, Ferdinand de Bulgarie. Le train qui les amenait ayant pris du retard, le tsar et sa suite attendaient dans un salon. A quelques minutes près, ils auraient tous péri. L’attentat fait quand même 11 morts et 56 blessés ! L’explosif, dissimulé dans les soubassements, a détruit tout le corps de garde sous la salle à manger. C’est d’une incroyable violence !

Katia était dans ses appartements au deuxième étage, avec ses enfants. Elle ne pouvait être invitée au dîner officiel. Elle est terrorisée : les ennemis du tsar prennent de plus en plus de risques. Ils veulent le tuer... Au printemps suivant, l’impératrice meurt et moins de deux mois plus tard, le tsar épouse Katia. Elle n’est qu’une épouse morganatique mais c’est quand même la femme du tsar.

La situation de Katia n’est acceptée ni par sa famille ni par la Cour. Elle doit céder le pas à tous les grands-ducs et à toutes les grandes-duchesses. Pour elle, le protocole est une humiliation permanente. Le tsar songe alors à la faire couronner impératrice. Ce serait une première en Russie, la tsarine étant toujours couronnée en même temps que son époux. Ce serait aussi le dernier cadeau du souverain à Katia. Très las, il abdiquerait et irait vivre ensuite avec Katia et leurs trois enfants en France, sur la Côte d’Azur. Il s’est fait communiquer une liste de propriétés à vendre dans la région. Mais le destin  en décide autrement...

Le dimanche 1er mars 1881, comme chaque semaine, Alexandre II se rend à une parade au Manège Michel, non loin du Palais d’Hiver. En début d’après-midi, le tsar revient du manège. Il fait froid mais il fait beau. Alors que le cortège  longe le canal Catherine, perpendiculaire à la perspective Nevski, quelqu’un jette une bombe qui tue deux cosaques de l’escorte et un jeune pâtissier qui allait livrer des gâteaux. Indemne, le tsar sort de son coupé. Le lanceur de bombe a été interpellé. Quelques secondes plus tard, un complice jette une seconde bombe. Cette-fois ci en direction du tsar debout. C’est un carnage. Son pied gauche a été arraché par l’explosion. Il est atteint au visage et gît dans un bain de sang. On le ramène rapidement au Palais d’ Hiver. Katia se jette sur son corps déchiqueté, le couvre de baisers en criant : "Sacha ! Sacha !"

A 15 h 35, Alexandre II expire, entouré de toute sa famille. Son successeur, Alexandre III, est accompagné du nouvel héritier, le futur Nicolas II est horrifié par la vision de son grand-père martyrisé. Il n’oubliera jamais. Son père non plus : voilà où conduisent les réformes. Les deux  prochains tsars refuseront d’en faire. Quant à Katia, son rêve est brisé. Alexandre II l’a financièrement mise à l’abri. Elle part seule, avec ses trois enfants, s’installer à Nice. Elle y mourra en 1922, âgée de 75 ans. A ce moment-là, l’Empire des Romanov n’existe plus et il n’y a plus de tsar en Russie.

 

"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars 

Cheffe de projet  : Adèle Ponticelli

Réalisation : Guillaume Vasseau

Diffusion et édition : Clémence Olivier

Graphisme : Europe 1 Studio

Direction Europe 1 Studio : Claire Hazan

 

 

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