Le diamant bleu de Louis XIV (partie 1)

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SAISON 2020 - 2021, modifié à

Sous le règne de Louis XIV, une trentaine de voleurs parviennent à dérober les joyaux de la Couronne dont l’inestimable diamant bleu, la pierre favorite du roi… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte l’histoire de ce diamant mythique de 112 carats. 

Fasciné par les diamants et les pierres précieuses, Louis XIV enrichit considérablement les joyaux de la Couronne. Il fait façonner son diamant bleu brut pour en faire un véritable symbole de pouvoir. Mais depuis le vol du trésor royal en 1792, le destin du diamant bleu a connu de nombreux rebondissements. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur le mystère de la disparition de la pierre favorite du roi…

L’idée d’une collection de joyaux de la Couronne est due à François 1er. C’est ce souverain qui avait déclaré ces biens inaliénables. Ses successeurs, et particulièrement Louis XIV, l’ont considérablement enrichie. Mais lorsque la Révolution éclate, une lourde menace pèse sur ces trésors. En 1791, ils quittent Versailles pour être conservés au nouveau Garde-Meubles Royal, notre actuel Hôtel de la Marine. Il est situé sur la place Louis XV, nommée alors place de la Révolution. C’est aujourd’hui notre place de la Concorde. La même année, l’Assemblée Constituante, dans un souci de transparence, publie naïvement « L’inventaire des diamants de la Couronne ». Cette liste est largement diffusée pour discréditer la monarchie en démontrant ses goûts de luxe. Mais le seul résultat est d’attiser la convoitise de tous les voleurs de Paris ! 

En août 1792, la publication du Manifeste de Brunswick qui menace les Parisiens et les Français de représailles si on s’attaque à la famille royale provoque en retour de violentes émeutes, le sac des Tuileries, le massacre des Gardes Suisses, la destitution du Roi et l’emprisonnement de la famille royale au Temple. Les émeutes ne cessent pas pour autant. Lors des terribles massacres de septembre dans les prisons, une trentaine de voleurs, bien informés, profitent de cette confusion pour piller le Garde-Meubles Royal pendant six jours et six nuits, du 8 au 16 septembre 1792. Tous les joyaux de la Couronne disparaissent alors. Le scandale est énorme. On trouve bien quelques coupables qu’on guillotine immédiatement… mais on ne retrouvera qu’une faible partie des bijoux dérobés, dont deux des plus gros diamants, le Régent et le Sancy, trop connus et réputés invendables. 

Les autres inestimables trésors sont perdus. Ainsi, les plus prestigieux insignes royaux de chevalerie, comme ceux de la Toison d’Or et du Saint-Esprit et des objets majeurs, telle l’épée de diamants de Louis XVI, disparaissent définitivement. Quant à l’inestimable Diamant Bleu de Louis XIV, toujours inséré dans la Toison d’Or de Louis XV, on perd momentanément sa trace. Mais pour quelle raison ce fameux Diamant Bleu, acquis par Louis XIV, était considéré comme l’un des plus beaux, sinon le plus beau, des joyaux de la Couronne de France ?

Louis XIV acquiert son Diamant Bleu

De toutes les merveilles produites par la Terre, à une échelle de plusieurs milliards d’années, le diamant est probablement celui qui exerce la plus grande fascination. Jusqu‘au XVIIIe siècle, seule l’Inde recelait des diamants appréciés en Occident à la mesure de leur rareté. Louis XIV a été un très grand amateur et collectionneur de diamants. Ce goût lui venait sans doute de sa mère Anne d’Autriche (n’oublions pas les "Ferrets de la Reine", ces diamants montés à parures qui ont inspiré Alexandre Dumas, ils ont vraiment existé !) mais aussi de Mazarin, autre collectionneur compulsif de diamants. C’est d’ailleurs le Roi qui a hérité de la magnifique collection du cardinal.

Son fournisseur principal était un personnage étonnant, Jean-Baptiste Tavernier. Ce grand voyageur, né à Anvers en 1605, effectua entre 1631 et 1668, six longs voyages en Perse et en Inde. Fils d’un marchand de cartes géographiques, Tavernier avait déjà parcouru longuement l’Europe, dont il parlait à peu près toutes les langues, lorsqu’il entreprit de se rendre en Orient. Très intelligent, fin connaisseur de pierres précieuses, ce négociant habitué à traiter avec les princes de l’époque, jouissait d’une réputation de grande probité. Un nombre impressionnant de potentats indiens lui ont ainsi ouvert les portes de leurs royaumes. Il est l’un des rares Occidentaux à s’être rendu dans ce qu’on appelait alors les Mines de Golconde, au centre de l’Inde, dans la région de Hayderhabad. Il a même eu la chance d’être admis à la Cour de Auranzgzeb, qui régnait sur l’Empire Mogol des Indes, à l’époque où Louis XIV régnait sur la France. Tavernier a également eu le privilège de contempler les trésors du Grand Mogol et en a fait une description émerveillée. Lors de ses périples, il a acquis des quantités de pierres magnifiques dont vingt gros diamants de 30 à 35 carats chacun. Ils avaient ébloui le Roi Soleil, qui s’empressa de les acheter. Mais pour Louis XIV, le plus merveilleux reste le Grand Diamant Bleu que Tavernier rapporte de son sixième et dernier voyage en Inde, en décembre 1668. 

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Tavernier vend au Roi ce diamant brut de 112 carats pour la somme conséquente de 220.000 livres tournois, soit le prix de 150 kilos d’or pur ! François Farges, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et commissaire de l’exposition à découvrir très bientôt, estime que cela représenterait aujourd’hui l’équivalent de 4 millions et demi d’euros. Tavernier tient un catalogue extrêmement précis de tous les joyaux qu’il a rapportés et vendus. Chacun est dessiné sous deux ou trois angles différents. A propos du Diamant Bleu, il indique qu’il est taillé à la mode indienne, c’est-à-dire au plus près de la pierre brute, de manière à perdre le moins de poids possible…

Louis XIV est tout de suite séduit par cette pierre d’un bleu profond, presque violet. C’est étonnant car au XVIIIe siècle les diamants de couleur étaient moins appréciés que les diamants blancs, considérés comme purs. Néanmoins, en 1672, le Roi décide de faire retailler la pierre afin de lui donner encore plus d’éclat et d’en faire le joyau de ses collections.

Jean Pittan retaille le Diamant Bleu

La lourde responsabilité de la retaille du Diamant Bleu est confiée à Jean Pittan, le joaillier de la Cour. Le dessin qu’il a proposé devait être exceptionnel pour que le Roi et Colbert acceptent de financer la taille au prix exorbitant d’un dixième de la valeur du diamant ! Et en effet, le travail est exceptionnel, autant par sa difficulté que sa durée. Il faudra deux ans à Pittan pour venir à bout de la retaille… Mais le résultat sera éblouissant ! 

Pittan a donc supervisé esthétiquement et artistiquement ce travail, de la conception à la réalisation finale. Le joyau est taillé en forme de cœur, à soixante-douze facettes. Son bleu sombre brille comme aucun joyau n’avait encore brillé. Le pavillon, c’est-à-dire la partie au revers, a la forme d’une étoile à sept branches. C’est une taille d’une extrême complexité puisqu’elle est asymétrique. Evidemment, on ne distingue cette étoile qu’en transparence. C’est une prouesse technique hallucinante. Le diamant facetté étincelle. 

Bien entendu, cette taille a une signification symbolique. Le diamant est serti dans une coquille d’or posée à l’arrière et sur les côtés de la pierre. La coquille se prolonge d’un bâton émaillé, sans doute pour le tenir et l’admirer. En plus de l’éclat incomparable de la retaille, il apparaît au fond du cœur une étoile d’or à sept branches. On peut l’assimiler à l’éclat du Soleil, symbole du monarque. Mais le chiffre 7 est aussi celui du culte d’Apollon, le dieu des Armes et des Sciences. C’est également le nombre des sept planètes alors connues : Mercure, Vénus, Mars,Jupiter, Saturne, la Terre et la Lune, cette dernière étant alors considérée, au XVIIe siècle, comme une planète. Tous ces symboles célèbrent la gloire du souverain de droit divin. Il faut préciser que la retaille a fait passer le joyau de 107 carats à un peu plus de 69 carats.

Désormais, Colbert le nomme "Le Diamant Bleu de la Couronne de France". François Farges, commissaire de l’Exposition, revient sur le travail essentiel du joaillier qui a retaillé cette pierre :"Pittan fera surtout un chef d’oeuvre à la gloire de son Roi, un concentré d’art et de sciences, un symbole du pouvoir, une vision cosmologique de l’absolutisme irréversible et unilatéral de Louis XIV. Aucun autre objet ne posséda autant de symbolismes hermétiques et naturalistes, aussi parfaitement conçus et intégrés de manière aussi discrète et subliminale...A l’égal de Le Nôtre, Le Brun, Mansart, Molière, Lulli et quelques autres artistes de grand renom du Grand Siècle, Pittan doit être enfin reconnu comme le grand génie fondateur d’une tradition de haute joaillerie parisienne qui perdure encore de nos jours".

Pittan mourra trois ans après avoir réalisé son chef d’œuvre. Il sera enterré de nuit, au cimetière parisien des Saints-Pères, car il était protestant. La reconnaissance du Roi n’allait pas jusqu’à lui pardonner sa religion...

Le Roi a-t-il porté le Diamant Bleu ?

Mais le Roi a-t-il vraiment porté le Diamant Bleu ? Louis XIV aimait se couvrir de diamants. Il n’en manquait pas, depuis le Sancy aux 55 carats qu’il portait au chapeau. La grande chaîne qui pendait à son cou comportait quarante-cinq diamants dont la plus grande partie provenait de la collection de Mazarin, cent vingt-trois boutons de diamants sans compter les plaques des Croix du Saint-Esprit. 

Saint-Simon, véritable concierge du Grand Siècle, nous en apporte la preuve :"Le Roi entra dans la galerie… Son habit était garni des plus beaux diamants de la Couronne. Il y en avait pour douze millions cinq cent mille livres, il ployait sous le poids… Il craquait de diamants".

On peut se demander si dans cette forêt de carats, le fameux Diamant Bleu ornait sa cravate comme on l’a souvent raconté. On n’en est pas sûr. Il est plus vraisemblable que le Diamant Bleu devait constituer la pièce phare du Cabinet de Curiosités du Roi. Ce Cabinet comprenait toutes sortes d’objets hétéroclites, des objets d’art à proprement parler mais aussi des pièces d’histoire naturelle, d’archéologie et d’anthropologie. Une sorte de petit Muséum personnel… Mais il y avait aussi une place importante réservée aux diamants. 

Sa favorite, Madame de Montespan, le raconte dans son journal : "Le Roi, par un étrange hasard, partage ce goût des diamants avec moi. Il a, dans son troisième Cabinet, deux immenses piédestaux, plaqués en bois de rose, et distribués, dans leur intérieur, comme des médailliers à plusieurs étages. C’est là qu’il fait apporter successivement tous les plus beaux diamants de la Couronne. Il consacre à leur examen, à leur étude, à leur admiration, les courts moments que lui abandonnent ses affaires. Et lorsque, par ses ambassadeurs, il vient à découvrir quelque nouvelle apparition de ce genre, ou en Asie, ou en Europe, il fait tout ce qu’il est possible de faire pour écarter ses concurrents".

Après Louis XIV, la collection royale continue de s’enrichir

Après la mort du Roi, le Régent ne fait qu’une acquisition, mais quelle acquisition ! Il achète à l’Anglais Thomas Pitt une pierre splendide de 140,50 carats appelée « Le Grand Pitt ». Ce dernier l’avait proposé à tous les souverains d’Europe, y compris à Louis XIV, qui le refusa, jugeant le prix exorbitant. C’est seulement en 1717 que le Régent Philippe d’Orléans, poussé par le financier Law et par Saint-Simon, se décide à acheter le diamant pour le compte de la Couronne. Le prix de deux millions de livres tournois est la plus forte somme payée à ce jour pour un joyau. Désormais, il s’appellera le Régent et se révèlera une excellente opération financière. En 1791, son estimation est passée à douze millions ! Cependant, pour la Couronne, les grands achats de diamants sont terminés... Louis XV se contentera de porter les diamants de son arrière-grand-père. Le Sancy et le Régent seront montés sur la somptueuse Couronne de Sacre. Quant au Diamant Bleu, il sera le plus bel ornement de son insigne de la Toison d’Or.

Plus tard, Louis XVI, on le sait, se contentait de régler les dépenses de son épouse Marie-Antoinette. Mais il s’agissait d’achats privés et « l’Affaire du collier » nous prouve que ni le Roi ni la Reine n’étaient prêts à investir de grandes sommes dans des joyaux. C’est cet ensemble exceptionnel de couronnes, de bijoux, de plaques du Saint-Esprit et d’insignes de la Toison d’Or qui a été déménagé de Versailles au Garde-Meubles de l’Hôtel de la Marine. Et c’est là, comme je vous l’ai raconté, qu’ils ont tous été volés en septembre 1792. Tous, y compris le Diamant Bleu. Ce dernier est-il perdu à tout jamais ? Peut-être pas…

Ressources bibliographiques :

Professeur François Farges (direction scientifique), Pierres précieuses, catalogue de l’exposition au Muséum national d’Histoire naturelle (Van Cleef & Arpels - Flammarion, 2020)

Robert Maillard (direction), Le Diamant, mythe, magie et réalité (Flammarion, 1979)

François Georgeon, Abdul Hamid II, le Sultan Calife (Fayard, 2003)

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière 
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais

Cet épisode a été réalisé en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle à l’occasion de l'exposition "Pierres Précieuses" que vous pourrez découvrir à Paris dès que les musées rouvriront leurs portes.

 

 

 

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