Désolé, ce contenu n'est plus disponible.
  • Copié
SAISON 2019 - 2020

En 1790, les Français célèbrent le premier anniversaire de la prise de la Bastille. La fête organisée pour l’occasion se tient en grande pompe le 14 juillet, en présence de Louis XVI et de Marie-Antoinette. L'unité nationale semble alors retrouvée. Mais ce n'est qu'une illusion... Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte l'histoire de la fête de la Fédération.

Pas de défilé militaire mais une cérémonie en hommage aux soignants : crise sanitaire oblige, l’édition 2020 du 14 juillet promet d’être moins festive que les années passées. Peut-être est-ce l’occasion de nous replonger dans les origines de notre fête nationale… En 1790, un an après la prise de la Bastille et le début de la Révolution, la première fête de la fédération célébrait en grande pompe l’unité des Français. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte l'histoire du premier 14 juillet. 

Depuis quelques jours, Paris ne dort plus. D’immenses torchères éclairent le Champ de Mars, cette belle promenade qui, à l’époque, va de l’École Militaire jusqu’à la Seine. Ce chantier gigantesque où s’activent près de mille deux cents ouvriers, c’est celui de la Fête de la Fédération. Un an après la prise de la Bastille, il s’agit de célébrer, en grande pompe, l’événement fondateur de la Révolution française.
En juin 1790, l’Assemblée Constituante décide de célébrer l’anniversaire de la prise de la Bastille sur le Champ de Mars, et il faut que ce soit grandiose ! En moins de trois semaines, trente rangées de gradins pour les spectateurs doivent être établies autour de la zone. Devant l’École Militaire, un amphithéâtre doit s’élever pour accueillir les Corps constitués. Il est dominé par une  tribune couverte d’un dais, où prendront place les députés de la Constituante, la reine et la famille royale. En avant de cette tribune, deux sièges identiques, côte à côte : le premier pour le président de l’Assemblée, le deuxième, un peu surélevé, accueillera le roi.  

Mais il n’y a pas que ça ! Il faut aussi construire un arc-de-triomphe au bord de la Seine. Et au milieu du Champ de Mars, un monticule sur lequel doit prendre place l’autel de la patrie. Comme les mille deux cents ouvriers ne suffisent pas à cet immense projet, les Parisiens ont été priés de venir aider à l’aménagement du Champ de Mars.

Madame de Tourzel, la gouvernante des Enfants de France, c’est-à-dire le dauphin et sa soeur Madame Royale, décrit cette folle activité : "Chacun voulait avoir sa part à l’ouvrage ; c’était la terre sacrée, malheur à celui qui n’y aurait pas mis la main ! Les dames même se faisaient conduire en carrosse pour charger la brouette ; et toute personne qui serait passée tranquillement près du Champ de Mars sans s’y arrêter courait le risque d’être insultée. C’était une exaltation dont on ne peut se faire l’idée. On voyait à la fois à l’ouvrage des ouvriers, des bourgeois, des chartreux et autres religieux des différentes ordres, des militaires, de belles dames, des hommes et des femmes de toutes les classes et de tous les états de la société, travailler suivant leur facultés."

Une coopération qui aurait enchanté les philosophes des Lumières s’ils avaient encore été là… Certains ouvriers chantent et crient pacifiquement "Vive la Nation !", d’autres scandent "Ca ira ! Ca ira !" Mais que s’est-il passé depuis le 14 juillet 1789 pour pousser l’Assemblée Constituante à imaginer une fête qui célèbre le retour de l’union nationale ? 

Pourquoi une fête de la fédération ? 

Après les violences de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, le 6 octobre, le roi et la famille royale arrivent à Paris. Ils sont installés aux Tuileries. Cela fait suite à un épisode violent : un cortège de femmes était venu à Versailles depuis Paris, réclamant du pain au roi. La situation avait dégénéré, le château avait été envahi, les gardes assassinés. 

Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants sont désormais sous surveillance, au cœur de la capitale. L’Assemblée de Versailles s’est transformée en Constituante et s’est installée au Manège, à deux pas des Tuileries. Le 10 octobre, elle décide que Louis XVI n’est plus roi de France et de Navarre mais roi des Français. Petit à petit, elle réduit ses pouvoirs. 

Devant l’ampleur du déficit, Talleyrand, évêque d’Autun, propose aux députés de s’emparer des biens du clergé, estimés à environ trois milliards de livres. En contrepartie, l’État se charge des frais du culte et de la rémunération du clergé. Le décret est voté à une large majorité le 2 novembre 1789. La Constitution civile du clergé est en gestation. La Constituante décide aussi d’une réforme administrative importante : la France est désormais divisée en 83 départements, de tailles sensiblement égales. 

Dès la fin de 1789 et le début de 1790, en raison de troubles et de révoltes dans les provinces, les patriotes décident de se lier fraternellement dans les villages, les villes et les départements, afin de s’opposer aux ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. Ces groupements ont pris le nom de Fédérations. Et le 5 juin 1790, Bailly, le Maire de Paris, propose à l’Assemblée d’organiser une Fête de la Fédération. 

Les délégués des gardes nationales dans chaque province sont conviés à Paris, soit 14.000 participants. La date fixée est le 14 juillet 1790, premier anniversaire de la prise de la Bastille. Il s’agit d’en faire un événement prestigieux pour célébrer les Fédérations, symboles de l’union nationale, mais pas seulement… Lors de cette cérémonie, le roi doit aussi prêter serment à la nouvelle constitution. C’est plutôt paradoxal car l’écriture de ladite Constitution n’est pas encore terminée ! 

La veille, le 13 juillet, le roi passe en revue les Fédérés des départements arrivés depuis leurs provinces. La plupart d’entre eux ne connaissent pas Paris. On les fait défiler devant lui et la famille royale au pied du grand escalier des Tuileries. La reine leur présente ses enfants. Le premier contact du roi avec les Fédérés est un succès.

La grandiose fête de la Fédération

Tout Paris veut assister au spectacle. Certains passent même la nuit au Champ de Mars pour être sûrs d’avoir des places ! Dès le matin, de l’autre côté de la Seine, une foule immense s’est massée sur les collines de Passy et de Chaillot, pour avoir une vue plongeante sur la scène. 

Ce 14 juillet, il pleut. Mais cela n’a découragé personne. Tous les gradins du Champ de Mars sont remplis. On voit des parapluies de toutes les couleurs. Le cortège des Fédérés se met en marche à 6 heures du matin. Deux compagnies de Volontaires ouvrent le défilé. Précédés d’une bannière où on a inscrit leurs noms, les représentants des quarante-deux premiers départements s’avancent. Les officiers portent l’épée nue, les chasseurs, les maréchaux de camp, les hussards et l’artillerie suivent. En tête des délégués de la Marine, s’avance le comte d’Estaing, l’un de vainqueurs français de la guerre d’indépendance américaine. Des torrents d’eau tombent sur les troupes mais personne ne se plaint. La foule des spectateurs les applaudit sur leur passage.

L’immense colonne n’arrive place Louis XV (l’actuelle place de la Concorde) qu’à midi. Le président de l’Assemblée, marchant entre deux haies de porte-drapeaux, l’escorte jusqu’au Champ-de-Mars. Arrivés par les quais de la rive droite, ils traversent la Seine par un pont bateaux installé pour l’occasion. Ils passent ensuite sous un gigantesque arc de triomphe qui élève ses trois arches à 25 mètres de haut et qui a été construit pour l’occasion en un temps record. Ils aperçoivent l’autel de la Patrie au milieu du Champ-de-Mars. Et, tout au fond, la magnifique tribune. 

Leur arrivée est annoncée par des salves d’artillerie. Une autre annonce l’apparition du roi et de la famille royale. Ils arrivent en dernier, en grande cérémonie et accompagnés d’un nombreux cortège. Quand chacun a gagné sa place, Talleyrand, s’avance en claudiquant. Il bénit les drapeaux avant de célébrer la messe sur l’autel de la Nation. Il est déjà quatre heures de l’après-midi. En passant devant La Fayette, Talleyrand lui glisse : "Surtout, ne me faites pas rire..."

On raconte que Talleyrand avait si peu l’habitude de célébrer la messe qu’il l’avait répétée la veille avec Mirabeau. L’aristocrate méridional, au visage grêlé et au parcours au moins aussi tortueux que celui de Talleyrand, connaissait très bien la liturgie. Lorsqu’il était prisonnier à Vincennes à la requête de son père, pendant trois ans, il avait assisté à la messe tous les jours. Depuis, il était devenu athée ! 

"A la Nation, au roi, à la loi !"

Sitôt la messe terminée, La Fayette, qui est un peu le maître de cérémonie, s’avance. Il dégaine son épée, la pose sur l’autel et prononce un serment : "Je jure d’employer tout le pouvoir qui m’est délégué par acte constitutionnel de l’État, à maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par moi." Il conclut par cette formule :"A la Nation, au roi, à la loi !", reprise par 300 000 voix.

La Fayette est quasiment porté en triomphe lorsqu’il se dirige vers la tribune royale. Le public est survolté. Il cherche à voir le couple souverain mais la pluie l’en empêche. Des cris insolites retentissent : "A bas les parapluies !" La Fayette pâlit. Il n’a entendu que le début du cri : "A bas..." et croit que c’est pour lui ! Une fois rassuré, il s’avance vers le roi. Lui aussi va prononcer son serment mais sans se déplacer jusqu’à l’autel. La foule est en délire. Elle crie "Vive le roi !" 

Le triomphe est décuplé lorsque la reine, qui arbore une coiffure garnie de plumes bleu, blanc, rouge, prend le dauphin dans ses bras pour le présenter à la foule. Ces moments exaltants ont fait écrire à l’historien Lenôtre : "Depuis que la Révolution a commencé, je ne vois guère qu’un jour où tous les Français se soient trouvés d’accord : ce jour-là, ce fut le 14 juillet 1790"

C’est, en effet, un moment étonnant. Le roi prête serment, il accepte de se plier à la nouvelle Constitution. La France passe de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle. Le rêve des philosophes des Lumières est en train de se réaliser. Après le sacre du roi, à Reims, en 1774, ce serment est un nouveau pacte avec la Nation. Une immense partie du peuple de Paris, les Fédérés venus de toutes les provinces de la France profonde, les Corps constitués, l’Assemblée Constituante : tous font un triomphe au roi et à la famille royale. Accompagné des siens, Louis XVI regagne les Tuileries aux cris répétés de "Vive le roi ! Vive la famille royale !"  Mais d’autres voix s’élèvent : "En dépit des aristocrates et de la pluie, nous nous mouillons mais ça finira"...

Les festivités s’achèvent à 6 heures du soir. Les Fédérés vont dîner au château de La Muette. La Fayette vient s’y faire applaudir. Il est au comble de sa popularité. Il y a aussi un banquet à l’Hôtel de Ville, des bals dans Paris, devant les Tuileries, sur la place Louis XV et même sur les ruines de la Bastille, où une guinguette est installée. C’est le premier bal du 14 juillet.

Des lendemains qui déchantent

Louis XVI et la famille royale restent encore quelques jours à Paris, jusqu’au retour des Fédérés dans leurs provinces. Le roi veut profiter de ce petit regain de popularité pour se montrer sous son meilleur jour à tous ces gens qui le voient pour la première fois. En effet, Louis XVI n’avait "voyagé" que deux fois dans sa vie, en dehors de ses déplacements vers Fontainebleau et Marly : la première, pour son sacre à Reims le 11 juin 1775 et la seconde pour passer la flotte en revue à Cherbourg, le 23 juin 1786.

La famille royale dîne en public tous les jours. Le dauphin vient les rejoindre ensuite. Les Fédérés s’extasient devant ce charmant petit garçon, si aimable avec eux. Le roi les passe en revue à l’Étoile - sans Arc de Triomphe à l’époque-  avec quelques bataillons de l’armée. Il est à cheval. La reine l’accompagne en calèche découverte, avec leurs deux enfants et Madame Elisabeth, la sœur du roi. Marie-Antoinette parle à tous ceux qui s’approchent d’elle. Les soldats et leurs officiers manifestent alors un attachement sincère au souverain et à sa famille.
Après cela, le roi et ses proches regagnent Saint-Cloud où ils  ont obtenu de séjourner du 23 mai au 2 novembre 1790. Saint-Cloud n’a pas la mauvaise réputation de Versailles. Ce château est très près de Paris. Marie-Antoinette l’aime profondément. Elle l’a d’ailleurs très récemment fait restaurer par son architecte, Richard Mique. Le roi, dont l’embonpoint a considérablement augmenté, peut à nouveau chasser, un bonheur dont il est privé à Paris. Le dauphin et Madame Royale peuvent profiter du parc sans être obligés de supporter la curiosité des Parisiens, comme c’est le cas aux Tuileries.
Cependant, malgré les heureux moments de la Fête de la Fédération, le climat politique se détériore en cet été 1790. Deux jours avant la fête, le 12 juillet, la Constituante a voté la Constitution civile du clergé. Pour le roi, c’est un crève-cœur. La loi réorganise les diocèses et les paroisses, réforme les offices ecclésiastiques et change le mode de nomination des évêques. Ceux-ci seront désormais élus par le peuple et non plus nommés par le roi. Une rupture avec le Concordat de Bologne de l’année 1516.
Louis XVI sait très bien que le pape est tout à fait opposé à cette réforme. Le 9 juillet 1790, Pie VI avait adressé une lettre très claire au roi, l’invitant à ne pas approuver la Constitution civile du clergé. Selon lui, elle précipiterait son royaume dans le schisme et, peut-être, dans une nouvelle guerre de religion.
Malgré tout, le roi donnera son accord le 23 juillet. Pourquoi Louis XVI contrarie-t-il le pape et se renie-t-il lui-même ? Pour deux raisons. D’une part, parce que certains ecclésiastiques qu’il a consultés n’y sont pas défavorables. D’autre part, Louis XVI pense que le pape finira par accepter la Constitution civile du clergé. Le roi avait demandé à son ambassadeur à Rome, le cardinal de Bernis, de faire autoriser, au moins provisoirement, les nominations des nouveaux évêques. Pie VI ne répondra même pas…
Dès le mois d’août 1790, les évêques commencent à faire de la résistance et condamnent la nouvelle loi. Devant la vigueur de cette opposition, l’Assemblée décide, le 26 novembre, que tous les membres du clergé, des curés jusqu’aux évêques, devront prêter serment à la Constitution civile du clergé. Louis XVI est horrifié. Il écrit une nouvelle fois au pape pour lui demander des concessions, mais Pie VI refuse encore. Le 26 décembre 1790, Louis XVI sanctionne le devoir de la prestation de serment. On en connaît les conséquences : le clergé sera déchiré entre prêtres jureurs et prêtres réfractaires.
Les persécutions contre le clergé réfractaire vont commencer dès janvier 1791. Louis XVI réalise qu’il est pris au piège et totalement dans les mains de l’Assemblée. Il décide de s’enfuir avec sa famille. Au mois de juin, il est reconnu et arrêté à Varennes. Dès lors, le roi n’est plus qu’un otage. Les journées du 10 août 1792 et la prise des Tuileries en feront un prisonnier. La famille royale est conduite au Temple. Louis XVI est destitué, la République proclamée. La tragédie est en marche. Devenu le citoyen Louis Capet l’ex-roi Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793, et l’ex-reine Marie-Antoinette, devenue "la veuve Capet", est exécutée le 16 octobre 1793. La Terreur frappe la France. La fête du 14 juillet 1790 n’était qu’une illusion.

 

Vous voulez écouter les autres épisodes de ce podcast ?

>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr et sur Apple Podcasts, SoundCloud, Dailymotion et YouTube, ou vos plateformes habituelles d’écoute.

>> Retrouvez ici le mode d'emploi pour écouter tous les podcasts d'Europe 1

 

"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

 

Auteur et présentation : Jean des Cars 

 

Cheffe de projet  : Adèle Ponticelli

 

Réalisation : Laurent Sirguy et Guillaume Vasseau

 

Diffusion et édition : Clémence Olivier

 

Graphisme : Europe 1 Studio