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SAISON 2020 - 2021, modifié à

[1955-1965] A partir de 1956 et l'échec de Suez, les crises politiques le disputent aux crises privées pour la reine. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment Elizabeth II a fait ses armes de dirigeante entre frictions conjugales et affaires d'espionnage dignes d'Hollywood.  

La débâcle de Suez en 1956 est le premier d'une série de revers politiques et privés qu'Elizabeth II devra affronter au fil des années 60. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars détaille ces épreuves qui ont forgé le caractère de la souveraine et l'ont préparée à une suite de règne tout aussi mouvementée…   

L’échec de Suez déstabilise la reine 

Le 26 juillet 1956, au Caire, le président Nasser, au pouvoir depuis quatre ans, décide de nationaliser le Canal de Suez. Les biens de la compagnie du Canal sont mis sous séquestre. Une provocation pour le Royaume-Uni et la France, qui se partagent les actions de ladite compagnie. L’heure est grave. Le Premier ministre britannique, Anthony Eden, qui a succédé à Churchill, demande à la reine de parapher l’ordre d’envoi de troupes britanniques en Egypte pour sauvegarder les intérêts de Londres. La souveraine est le Commandant en Chef de toutes ses armées mais c’est la première fois de son règne qu’elle autorise une opération militaire importante. 

La Royal Navy et la Flotte française font route vers l’Egypte. Anthony Eden pense que Moscou encourage Nasser et lui livre des armes. Les Etats-Unis, qui ont refusé de financer le barrage d’Assouan, redoutent une intervention soviétique si l'Egypte est attaquée, ils refusent d’intervenir. En revanche, la coalition franco-britannique est soutenue par Israël. Les opérations militaires débutent le 29 octobre et sont un complet succès qui se solde par l’occupation de la zone nord du Canal. En représailles, Nasser y coule des navires pour le rendre impraticable. Il coupe ainsi la route du pétrole à l'Europe occidentale. Les Américains condamnent l’opération franco-anglaise, l'URSS menace. Le 7 novembre, l’intervention est stoppée par l'ONU et se transforme en défaite. Les troupes franco-britanniques vont devoir piteusement évacuer la zone…

C’est une épreuve pour Elizabeth II, car son gouvernement a échoué en son nom. Elle réalise que le cabinet lui a caché la réalité de la situation. Le résultat est que Washington a pris ses distances et que Nasser devient, grâce à ce fiasco, le leader du monde arabe. Il a réussi à venger son pays d’une humiliation.

Tout aussi grave, l’image de la reine est attaquée par un jeune pair du royaume, Lord Altrincham, très soutenu par la presse qui diffuse ses propos extrêmement violents. Il dépeint la famille royale comme "une clique de hobereaux en tweed" et demande la suppression de la Chambre des Lords. Il va jusqu’à attaquer Elizabeth dans le ton de ses discours : "La reine devrait dire des choses dont les gens se souviendront et faire des choses de sa propre initiative. Jusqu’ici, il n’y a pas le moindre signe qu’une telle personnalité soit en train de naître."

Elle est profondément blessée par ces critiques, et furieuse contre Lord Altrincham. Elle tente de reprendre la main en nommant un nouveau Premier ministre. Ce sera Harold Macmillan. Toutes ces épreuves, Elizabeth II les a affrontées seule. Philip n’est pas auprès d’elle. Il a quitté Londres début octobre, avant la crise de Suez, à bord de Britannia, en compagnie de son secrétaire privé Michael Parker. Il se rendait à Melbourne pour l’ouverture des Jeux Olympiques. Son périple de plus quatre mois le mène ensuite vers la station scientifique britannique en Antarctique. C’est la première séparation aussi longue du couple, et Philip est en crise.

La crise existentielle du mari de la reine

Pourquoi Philip est-il parti si longtemps ? Le mari de la reine déteste être enfermé dans un carcan. Son secrétaire privé, Michael Parker, très conscient de cela, a essayé de lui procurer une bouffée d’oxygène. Peu avant son mariage, il introduit Philip au Thursday Club, dont les membres se réunissaient tous les jeudis dans un restaurant du quartier chic de Mayfair. Le président en est un étonnant personnage, un photographe nommé Baron. Ce club réunit des personnalités très diverses, des journalistes, des acteurs comme David Niven et Peter Ustinov et quelques aristocrates. Outre les déjeuners, ses membres se retrouvent parfois pour des dîners dans des night-clubs. Il arrive souvent à Philip de participer à ces escapades nocturnes. Bien sûr, les joyeuses soirées du duc sont connues de Buckingham Palace. Des rumeurs de liaisons commencent à circuler dans la presse américaine. Ces ragots sur de potentielles infidélités ont finalement obligé le duc et son secrétaire à démissionner du Thursday Club.

La séparation des époux pendant quatre mois était-elle une confirmation de leur mésentente ou plutôt la volonté de prendre du champ pour permettre une réconciliation ? Sur le chemin du retour de Philip, un nouveau scandale conjugal éclate. Cette-fois, il concerne son secrétaire Michael Parker. Celui-ci est informé que son épouse vient de déposer une demande de divorce car elle ne supportait plus les absences prolongées de son mari. Il quitte le Britannia à l’escale de Gibraltar après avoir donné sa démission à Philip. Un futur divorcé ne peut être au service d’un membre de la famille royale… 

Les retrouvailles d’Elizabeth et Philip ont lieu à l’aéroport de Lisbonne le 18 février 1957. Elles sont guettées par une armée de photographes. Les journalistes en sont pour leurs frais : chacun des époux affiche un sourire éclatant. La reine a compris qu’il fallait donner un statut à son mari. Quatre jours plus tard, le 22 février 1957, elle octroie à Philip le titre de prince consort. La réconciliation est actée. Elle sera consacrée lors d’un voyage officiel à Paris, en avril 1957.

La bonne entente des époux est évidente, et en juin 1959, lors d’un autre voyage officiel, au Canada cette fois, un communiqué de Buckingham Palace annonce qu’Elizabeth attend un heureux évènement. Le 19 février 1960, elle donne naissance à un deuxième héritier mâle pour la couronne, le prince Andrew. Son patronyme est Mountbatten-Windsor. La reine a cédé : Andrew et les autres enfants à naître porteront un nom qui associe celui de la dynastie à celui de leur père. Philip a gagné. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, trois mois plus tard, Margaret, enfin consolée, épouse le photographe Tony Armstrong Jones. Sa sœur lui accorde le titre de Lord Snowdon. La princesse rebelle a enfin trouvé le bonheur… pour l’instant !

Elizabeth II, cheffe du Commonwealth 

C’est à cette époque que la reine et Philip font presque du Britannia leur résidence secondaire. Ils sillonnent les mers et les océans du monde lors d’une série de voyages officiels à travers les Etats du Commonwealth. Ces voyages nécessitent une incroyable logistique et la préparation, minutieuse, d’un agenda millimétré. La Royal Navy  assure la sécurité du yacht, accompagnant le Britannia, parfois aussi avec le concours de la Royal Air Force. La garde-robe de la reine est confiée à celle qui avait été sa nurse, sa chère Bobo, et ce n’est pas une mince affaire ! Dans ces périples, Elizabeth II se change plusieurs fois par jour : robes, chapeaux, chaussures, gants, tout est prévu à l’avance, sans compter les robes du soir et les joyaux qui les accompagnent. C’est la reine elle-même qui sélectionne les tiares et les colliers qu’elle portera le soir, ainsi que les broches qui scintilleront au revers gauche de ses tenues de ville.

En janvier 1961, le couple arrive en Inde. Elizabeth est le deuxième souverain britannique à se rendre dans ce pays après son grand-père George V, en 1911. De Bombay à Delhi puis à travers le Rajasthan, c’est une succession de fêtes somptueuses, de promenades à dos d’éléphant, de chasses au tigre… L’Inde des Maharadjahs fait un triomphe à la reine. En novembre, ce sera l’Afrique. Elizabeth II se rend au Ghana, contre l’avis de son premier ministre Macmillan. En effet, le président Nkrumah revient de Moscou, faisant du Ghana un pion soviétique en Afrique, en pleine Guerre Froide. 

Mais la reine, qui avait déjà annulé un voyage dans cette ancienne colonie en 1959 car elle était enceinte d’Andrew, avait promis de revenir. Et pour Elizabeth II, une promesse de venir dans un État du Commonwealth doit être tenue. Elle a eu raison : ce voyage est un succès, le président Nkrumah est sous charme. Ils vont danser ensemble lors d’une réception : la photo fait le tour du monde. Macmillan reconnaît que la reine a bien fait de vouloir, à tout prix, maintenir les liens avec le Commonwealth, quelles que soient les nouvelles options politiques de l’Etat membre.

En janvier 1963, Elizabeth est en Australie et en Nouvelle-Zélande avec Philip lorsqu’elle apprend que le général de Gaulle a opposé son veto à l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché Commun. C’est une grande déception pour celle qui avait magnifiquement reçu le président français en 1960. Elle le tenait en grande estime. Les relations vont se refroidir entre la République et le Royaume-Uni.

Londres nid d’espions 

Au retour de sa tournée dans l’hémisphère sud, Elizabeth II va avoir un autre sujet de contrariété. En juin 1963, John Profumo, ministre de la Défense du Cabinet Macmillan, est contraint de démissionner. Quelques mois plus tôt, il avait rencontré, lors d’une partie fine chez le vicomte Astor, une très jolie femme, Christine Keeler. En réalité, c’est une call-girl et elle devient sa maîtresse. Peu de temps après, la jeune femme, accompagnée d’une autre call-girl, Mandy Rice Davies, passent un week-end chez un célèbre ostéopathe londonien, le Dr. Ward. Quelques jours plus tard, Christine Keeler accuse le médecin de l’avoir violée. La presse s’empare volontiers de cette croustillante affaire, d’autant plus que le Dr. Ward est très connu. A la faveur de l’enquête, on découvre que Christine Keeler est aussi la maîtresse de l’Attaché Naval de l’ambassade d’URSS à Londres, Ivanov, un agent du KGB. On apprend bientôt qu’elle est aussi celle du ministre de la Défense John Profumo ! Le scandale mondain se transforme en véritable affaire d’espionnage. Les confidences que la call-girl a arrachées sur l’oreiller du ministre étaient transmises directement à l’agent du KGB, donc à Moscou.

Dans un premier temps, le ministre nie, mais il finit par avouer la vérité à sa femme, puis au Premier ministre, à qui il donne sa  démission le 4 juin 1963. Désormais, il se consacrera à des œuvres caritatives. Quant au docteur Ward, on découvre qu’il dirigeait un réseau de call-girls. Attaqué de toutes parts, lâché par ses amis, il se suicide en absorbant des barbituriques. Or, il était un membre du Thursday Club quand le prince Philip en faisait partie... Leurs relations étaient amicales et le médecin avait fait plusieurs croquis du mari de la reine. Il avait un certain talent et ses dessins sont mis en vente après sa mort. Buckingham Palace va faire appel au conservateur des collections de peintures et de dessins de la reine pour racheter toutes les œuvres impliquant le prince, voire d’autres membres de la famille royale. Il s’appelle Anthony Blunt. Lui aussi va faire parler de lui…

L’affaire Profumo est grave puisqu’elle a contraint le ministre  de la Défense à démissionner en pleine guerre froide. A l’automne suivant, le 18 octobre 1963, le Premier ministre Macmillan démissionne également pour raisons de santé. Il est remplacé par Sir Alec Douglas Home, ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères.

Si l’affaire Profumo est retentissante, elle n’est hélas pas la seule affaire d’espionnage qui déstabilise le Royaume-Uni. Une autre, plus grave, a commencé dans l’ombre, il y a déjà quelques années. C’est l’affaire des "Cinq de Cambridge". 

Dans les années 30, cinq étudiants du Trinity College de Cambridge sont recrutés par les services secrets soviétiques. Ils appartiennent tous à la "Société des Apôtres", une  sorte de club datant de 1820, devenu le haut-lieu de la contestation sociale au sein du Trinity College. Grace aux romans de John Le Carré, lui-même ancien agent au service secret de Sa Majesté, leurs noms sont aujourd’hui connus de tous : Kim Philby, appartenant à la bourgeoisie aisée, Anthony Burgess, un aristocrate homosexuel flamboyant, en révolte contre son milieu. Il y avait aussi deux Ecossais, Maclean et Cairncross. Le cinquième n’est autre qu'Anthony Blunt. Tous vont appartenir au service secret de Sa Majesté, mais ce sont des agents doubles. Burgess et Maclean seront exfiltrés par le KGB vers l’URSS, Philby arrêté. Il va alors dénoncer Blunt. 

C’est grave pour la reine car cet agent avait  beaucoup travaillé pour son père pendant la guerre et dirigeait les collections royales. Il vaut mieux que cette affaire reste secrète. Un pacte d’immunité est conclu avec le conservateur après qu’il ait donné les noms de son réseau. Il restera sous haute surveillance et continuera à diriger les collections d’Elizabeth II. L’affaire ne sera révélée qu’en 1979 par Margaret Thatcher, au grand courroux de la reine. Elle en voudra énormément à son Premier ministre.

Ces affaires d’espionnage vont beaucoup perturber Elizabeth II mais elle va tout de même avoir une occasion de se réjouir : le 19 mars 1964, elle donne naissance à son quatrième enfant, un troisième fils, le prince Edward. Elle déclare alors : "Quel bonheur d’avoir de nouveau un bébé à la maison."

 

 

Ressources bibliographiques : 

Sarah Bradford, Elizabeth II (Penguin Books nouvelle édition 2002)

William Shawcross, Queen Elizabeth the Queen Mother (Pan Books, 2009)

Sarah Bradford, George VI (Penguins Books, 1989)

Jean des Cars, Elizabeth II, la Reine (Perrin, 2018)

 

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"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production, diffusion et édition : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Graphisme : Karelle Villais